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L'assurance-vie, un placement délaissé

Le potentiel de l’assurance-vie, outil de protection et d’épargne de long terme, reste bridé par la concurrence des dépôts bancaires et une fiscalité défavorable.

Avec 522 millions de dollars de primes en 2018, ce segment ne représente qu’un tiers du chiffre d’affaires total du secteur.
Avec 522 millions de dollars de primes en 2018, ce segment ne représente qu’un tiers du chiffre d’affaires total du secteur.

Absence d’un véritable système de retraite, explosion des frais de scolarité, incertitudes politiques et économiques… les raisons d’investir dans une assurance-vie au Liban ne manquent pas. Pourtant malgré une offre riche, avec une trentaine d’assureurs sur le marché, cet outil de protection et d’épargne sur le long terme a toujours du mal à séduire.

Avec seulement 4,6 milliards de dollars d’actifs en 2017, le secteur des assurances, en général, est sous-développé par rapport à un secteur bancaire qui pèse plus de 220 milliards de dollars, et c’est particulièrement le cas pour l’assurance-vie. Avec 522 millions de dollars de primes en 2018, ce segment ne représente qu’un tiers du chiffre d’affaires total du secteur, à contre-courant de la tendance mondiale qui fait la part belle aux assurances-vie.

Dans l’étude qui lui a été commandée par le gouvernement libanais, le cabinet de conseil McKinsey souligne la faible pénétration de l’assurance-vie dans le pays, avec un ratio des primes par rapport au PIB d’à peine 1 %, contre une moyenne de 2,2 % dans les pays de référence. Ce benchmark inclut des pays où les taux de pénétration sont faibles comme la Turquie et l’Arabie saoudite (0,2 % et 1 %), et des économies développées comme la France et le Royaume-Uni où les assurances-vie représentent 5,6 % et 7,4 % du PIB.

En termes de densité, c’est-à-dire de prime moyenne par an par habitant, le Liban se situe à un peu plus de 80 dollars, sur une estimation de la population à 6,5 millions d’habitants, quand la France et le Royaume-Uni avoisinent les 2 400 dollars et 3 700 dollars, selon les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

"L'épargne n'est pas une priorité"

Les Libanais manquent-ils de prévoyance ? En plus des écarts de niveau de vie entre les pays, ce décalage est en partie culturel, affirment les principaux assureurs sur le marché. « L’épargne n’est pas une priorité et l’assurance-vie est méconnue », explique Bassem Assi, directeur général d’Allianz SNA. Pour les produits d’épargne, l’immobilisation du capital pendant plusieurs années est dissuasive. En conséquence, « beaucoup de personnes n’y souscrivent que par obligation, comme pour l’assurance automobile », ajoute le chef d’entreprise. L’assurance-vie est en effet obligatoire en garantie de beaucoup de prêts bancaires et notamment des prêts logement.

Lorsqu’ils sont contraints d’y souscrire, les emprunteurs se dirigent majoritairement vers la police la plus simple et la plus abordable : l’assurance-vie temporaire ou “term life”. Cette forme “classique” d’assurance-vie ne comprend qu’un volet protection : les primes sont versées aux bénéficiaires uniquement en cas de décès ou d’invalidité de l’assuré. Ces contrats, dits “à fonds perdus”, représentent plus de 34 % des primes totales de l’assurance-vie.

Croissance de 4%

Très liée à l’activité de prêt et donc à la conjoncture, la croissance de ces contrats a été freinée par le ralentissement économique et celui du secteur immobilier. Selon l’autorité de contrôle des assurances (ICC), les primes d’assurance-vie ont augmenté de 4 % en 2018, une croissance similaire à celle de ces dernières années, mais loin de la croissance à deux chiffres du secteur il y a dix ans.

Plus récemment, l’épuisement des prêts logement subventionnés accordés par la Banque de l’habitat et l’Établissement public de l’habitat (EPH) a provoqué une nouvelle dégringolade des souscriptions à ce type de contrats. « Rien que pour l’EPH, le nombre de prêts octroyés est passé de 6 000 en 2016 à moins de 1 000 en 2018 », pointe Bassem Assi. Cette chute a eu un impact sur le chiffre d’affaires de la plupart des bancassureurs (des compagnies détenues par des banques qui commercialisent leurs produits d’assurance). Les primes d’Arope par exemple, la compagnie du groupe Blom Bank, ont baissé de près de 6,5 % en 2018.

Concurrence des dépôts à terme

Mais l’assurance-vie en tant que placement financier est, elle aussi, mise à mal. Certains produits, dits “à fonds récupérables”, comprennent à la fois un volet protection et une dimension épargne. Au terme du contrat, en moyenne d’une dizaine d’années, l’assuré se voit reverser ses primes plus des intérêts, variant selon la stratégie d’investissement choisie.

Ces contrats d’épargne d’assurance-vie subissent la concurrence d’un autre placement, grand favori des Libanais : le dépôt à terme, dont la rémunération est particulièrement attractive depuis l’instauration de la parité entre la livre libanaise et le dollar dans les années 90.

Cette concurrence s’est néanmoins accrue ces derniers mois. Entre 2017 et 2018, le taux moyen de rémunération des dépôts est ainsi passé de 3,65 % à 4,30 %, et l’augmentation s’est poursuivie au premier trimestre 2019. Il ne s’agit toutefois que d’une moyenne, la rémunération des dépôts pouvant aller jusqu’à 8 % en dollars et 12 % en livres libanaises pour des dépôts d’un an, selon un récent accord entre les banques libanaises.

Des rendements sur le long terme pour l'assurance-vie

Pour l’assurance-vie, la rémunération de l’épargne dépend du contrat, qui peut être soit à taux minimum garanti, soit à taux variables, dits “en unités de compte”.

Pour le premier, où les primes sont investies dans des titres à revenus fixes comme les dépôts bancaires, les obligations ou les bons du Trésor, la rémunération moyenne des contrats en dollars en 2018 avoisinait les 5 %, d’après les compagnies d’assurances interrogées par Le Commerce du Levant (voir par ailleurs).

Pour les produits à rendements variables, placés dans des titres plus risqués et des fonds étrangers, les taux peuvent être plus élevés, variant selon la stratégie choisie par le client. À titre indicatif, Metlife Liban affirme avoir servi un taux moyen de 6 % ces 15 dernières années sur ce type de contrats.

Si ces produits peinent à rivaliser avec les rendements de court terme offerts par les banques, les professionnels assurent que l’assurance-vie peut s’avérer plus rentable à long terme, notamment pour les petits épargnants qui «n’ont de toute façon pas accès aux taux compétitifs accordés par les banques », pointe Bassem Assi.

De petites mensualités

Le placement en assurance-vie est aussi plus accessible, puisque certaines polices permettent un versement mensuel de 50 dollars par mois, contre les 1 000 dollars généralement nécessaires pour l’ouverture d’un dépôt à terme. L’assurance-vie a d’autre part l’avantage de contraindre l’assuré à l’épargne, par l’intermédiaire de versements réguliers.

Mais ces avantages sont relativement méconnus. « Beaucoup d’intermédiaires ou d’employés des compagnies d’assurances manquent des qualifications nécessaires et d’accès à des formations continues pour pouvoir bien expliquer le fonctionnement et l’intérêt de ces polices au client », déplore un expert du secteur, qui préfère ne pas être cité. Dans son rapport sur le Liban dévoilé en janvier, le cabinet de conseil McKinsey recommande ainsi « le développement de nouveaux produits et l’amélioration des méthodes de marketing, de vente et de distribution pour toutes les polices d’assurance-vie ».

Fiscalité défavorable

Ajoutons à ce combat à armes inégales la fiscalité peu amène de l’assurance-vie. Les rendements sont imposés à 10 %, quand les intérêts des dépôts bancaires ne le sont qu’à 7 %. « Les Libanais n’ont aucune incitation fiscale à souscrire à une assurance-vie. C’est même pire, ils en sont découragés, commente le même expert. Et encore, ce déséquilibre s’est réduit, car avant 2017 l’imposition des intérêts sur les dépôts n’était que de 5 %. »

Un répit de trois ans devrait être accordé aux assurances-vie sur ce point avec le budget 2019 qui prévoit d’élever à 10 % l’imposition des intérêts bancaires.

D’autre part, les bénéficiaires des “prestations” d’assurance-vie – le capital versé en cas de décès de l’assuré – sont redevables d’un droit forfaitaire de 5 %. À l’inverse, les dépôts à terme, quand il s’agit de comptes joints, échappent aux droits de succession.

Enfin, les produits collectifs d’épargne en assurance-vie ont une fiscalité dissuasive pour les entreprises. Si l’employeur y contribue, sa participation est considérée comme part de la rémunération de l’employé et fait donc l’objet de cotisations sociales et patronales. « Nous faisons du lobbying par l’intermédiaire de l’Association des compagnies d’assurances au Liban (Acal) pour actualiser ce cadre fiscal », remarque Bassem Assi.

Un levier économique

Pourtant, dans beaucoup de pays, les produits d’assurance bénéficient d’un régime fiscal favorable, les États reconnaissant la fonction économique de cette industrie. L’assurance-vie peut en effet jouer un rôle de stabilisateur économique, en protégeant les ménages en cas de chocs, qu’ils soient de nature privée ou collective comme les catastrophes naturelles ou les crises financières.

L’assurance est également une source de financement stable pour l’économie, car elle favorise le crédit et l’investissement dans une perspective de long terme. Cette capacité de levier dépend toutefois des opportunités d’investissement. Or au Liban, où les assureurs sont tenus d’investir au moins la moitié de leurs actifs, le panel de placements de long terme est restreint. L’essentiel des actifs sont placés dans des bons du Trésor ou des dépôts bancaires, et servent donc à financer l’État.

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