L'usine Fattoria des Sole produit environ une tonne de fromages par jour.
L'usine Fattoria des Sole produit environ une tonne de fromages par jour.

À Qab Élias, une cinquantaine de bufflonnes quittent nonchalamment leur étable. On est très loin de la Campanie, zone traditionnelle de production de la “mozzarella di buffala”. Qu’importe, pour ces ruminants à la peau noire, c’est l’heure de la traite.

Leur lait, riche en protéine et en calcium, est collecté puis transformé dans l’usine Fattoria del Sole à Araya, dans la journée, en généreuses boules blanches prêtes à être dégustées le soir même.

Installé dans les bureaux de l’usine, Nagi Khairallah, 62 ans, fondateur de cette marque libanaise, en attrape une, la fend, laissant couler une crème juteuse, qui se répand dans toute l’assiette. « La différence avec les mozzarellas italiennes ? Les nôtres sont meilleures, affirme-t-il. Ici, pas d’additifs ; zéro conservateur : tout est ultrafrais. » La production locale a un énorme avantage : la fraîcheur. Ses concurrents étrangers allongent en effet les délais de péremption, jusqu'à deux ou trois semaines, pour vendre en grande distribution et, surtout, exporter.

Ancien architecte d’intérieur, Nagi Khairallah s'est lancé dans la mozzarella il y a 20 ans avec l’aide de deux partenaires italiens, alors installés au Liban. « J’ai passé 30 ans en Italie. De retour au Liban, je ne me voyais pas vivre sans fromages italiens. » Les débuts sont durs pourtant : le pays n’a pas encore succombé à l’attrait des fromages filés de la gastronomie italienne. « Au mieux, les Libanais étaient habitués à des mozzarellas “vieilles”, qui commençaient déjà à ramollir », se rappelle-t-il.

À force, Fattoria del Sole s’est imposée. Son usine, où « tout est fait main », produit environ une tonne de fromages par jour. Mozzarella, bocconi (boules de mozzarella de 50 grammes), ricotta, scamorza (mozzarella fumée)… En tout, 17 spécialités y sont fabriquées. On les retrouve ensuite dans la plupart des restaurants, spécialement italiens, mais également dans les supermarchés, où leur prix s’aligne sur celui des marques importées. « Nous proposons du sur-mesure à nos clients. Du light, du sans sel… ? On vous le fait », explique Jad Rizk, directeur commercial de la marque.

Seule usine de la région Mena à produire des fromages frais italiens, Fattoria del Sole truste 55 % des ventes locales. « Mais la crise économique au Liban nous pousse à chercher d’autres débouchés », précise-t-il. Depuis 2018, on retrouve ses mozzarellas en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et à Qatar où elles sont expédiées par avion. Objectif à court terme ? Que ces ventes représentent 30 % de son chiffre d’affaires. « Nous avons un avantage sur nos concurrents italiens : nous ne payons pas de droit d’entrée sur ces marchés du fait des accords de libre-échange entre pays arabes. »

Une opportunité qui explique que Nagi Khairallah ait investi 100 000 euros pour doubler la capacité de production de son usine, qui peut désormais atteindre cinq tonnes quotidiennes. « Nous avons la chance de figurer, souvent, dans le cahier des charges des franchises de restauration libanaise qui s’installent dans les pays du Golfe. Cela nous aide à y pénétrer. »

Maintenant son équipe voit plus loin : elle développe une franchise, la Mozzarella Factory, Italian Cheese Store & Café, à la fois un restaurant et un magasin de vente de leurs produits. Le premier espace doit ouvrir dans les prochains mois à Djeddah, en Arabie saoudite. « Dans les pays du Golfe, les fromages italiens sont peu connus. D’où ce concept qui nous permet aussi d’“éduquer” les curieux à de nouveaux goûts. » Des curieux qui vont découvrir que leur mozzarella italienne est en fait libanaise.