Plus d’un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté. Ce chiffre justifie à lui seul l’explosion de colère des Libanais, notamment à Tripoli.

Ghadi Smat

« Quand les riches volent les pauvres, on appelle ça du “business” ; quand les pauvres leur rendent la pareille, on parle de “violence”, lisait-on sur la pancarte d’un manifestant qui, comme des centaines de milliers de Libanais, réclame un revenu décent et davantage de justice sociale.

Les chiffres sont là pour rappeler la désolante réalité : 27 % de la population libanaise est pauvre. À Tripoli, l’un des bastions de la contestation, ce sont même 36 % qui vivent sous le seuil de pauvreté. Cela signifie que 1,2 million de Libanais vivent avec moins de 8,6 dollars par jour, tandis que 250 000 à 300 000 d’entre eux survivent avec moins de 5,7 dollars par jour, le seuil d’extrême pauvreté.

Selon des données collectées par la Fondation Safadi et publiées en 2017, dans la vieille ville de Tripoli, 60 % des habitants sont au chômage et 72 % des ménages vivent avec un revenu inférieur au salaire minimum (450 dollars par mois). « Depuis la fin de la guerre civile de 1975, cette ville est laissée à l’abandon : la responsabilité en incombe aux pouvoirs publics qui n’ont pas assumé ici leur fonction », déclarait le millionnaire Mohammad Safadi, qui était à l’époque député de la ville.

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La guerre en Syrie n’a fait qu’aggraver la crise sociale : selon la Banque mondiale, plus de 200 000 Libanais ont basculé dans la pauvreté depuis 2011. La présence de 1,5 million de réfugiés syriens (au moins) créant un dumping social (71 % des réfugiés syriens présents au Liban vivent en dessous du seuil de pauvreté et ne survivent que grâce aux aides des organisations humanitaires), entraînant entre autres une concurrence accrue sur le marché du travail local.

Malgré la paupérisation d’une part croissante de la population, aucune mesure n’a été prise pour lutter contre le phénomène, ni épargner les plus démunis des mesures d’austérité prises dans le budget 2019.

Il a fallu attendre la mobilisation de la rue pour que Saad Hariri propose dans sa “feuille de route” de consacrer 20 milliards de livres libanaises (environ 13,27 millions de dollars) à la lutte contre la pauvreté. Le Premier ministre a également annoncé l’octroi d’un prêt de 100 millions de dollars de la Banque mondiale pour financer le programme d'aide aux familles les plus démunies géré par le ministère des Affaires sociales. Une annonce qui est allée un peu vite en besogne. Contactée par Le Commerce du Levant, l’organisation, qui a octroyé 25 millions de dollars de dons depuis 2013 à ce programme, a précisé que les modalités du prêt n’ont pas encore été finalisées.

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Ce programme permet actuellement à 43 000 familles vivant sous le seuil d’extrême pauvreté de bénéficier de soins médicaux et de services d’éducation gratuitement. « Il est encore tôt pour afficher des résultats », souligne Haneen Ismaïl Sayed, responsable au sein de la Banque mondiale. Car faute de moyens, seules 10 000 d’entre elles bénéficient d’une aide alimentaire, à travers une carte alimentaire. « Le gouvernement souhaite augmenter le nombre de bénéficiaires de cette carte, pour englober à terme les 43 000 ménages identifiés. Il faut injecter davantage de fonds pour réduire le taux de pauvreté de manière significative », explique-t-elle.

Le Bloc national, lui, estime à 110 millions de dollars par an le budget nécessaire pour lutter contre l’extrême pauvreté. Le parti a lancé, le 16 octobre, une campagne pour promouvoir la proposition de loi Afaal, présentée en 2014 par l’ancien député de Tripoli, Robert Fadel. Le texte propose une assistance financière mensuelle de 150 dollars cette fois pour chaque famille libanaise vivant sous le seuil de l’extrême pauvreté. Ce coup de pouce étant cependant conditionné par la scolarisation des enfants de la famille concernée et par l’inscription du chef de famille à une formation professionnelle (ou l’apprentissage d’un métier). « Le financement serait prévu dans le budget et ne serait donc pas dépendant d’aides internationales », ajoute Amine Issa, coordinateur politique du Bloc national.