Au regard de la dégradation de la situation économique dans le pays, de nombreuses entreprises ont réduit la rémunération de leurs salariés.
Au regard de la dégradation de la situation économique dans le pays, de nombreuses entreprises ont réduit la rémunération de leurs salariés.

Le problème Monsieur F. travaille dans un magasin d’électroménager à Achrafié, qui subit une diminution significative de son activité. Dans ce contexte, la direction de la société a décidé de réduire de moitié les salaires et l’horaire de travail de tous les employés. Elle a obligé ses employés à signer un avenant à leur contrat initial dans lequel ils approuvent les nouvelles conditions et renoncent irrévocablement à tous les droits, demandes ou procès en relation avec la baisse des salaires, sous réserve de licenciement en cas de refus. Monsieur F. désire savoir quelles sont les implications d’un tel document et s’il est en droit de refuser de le signer ?

Le conseil de l’avocat Au regard de la dégradation de la situation économique dans le pays, de nombreuses entreprises ont réduit la rémunération de leurs salariés et instauré une activité partielle afin de compenser les pertes subies. Le code du travail libanais ne comporte pourtant aucune disposition autorisant une baisse de salaire, même dans le cas de circonstances exceptionnelles. Cette modification de la rémunération constitue donc un amendement unilatéral du contrat de travail dont la validité peut être remise en cause par les tribunaux compétents. En effet, selon l’article 221 du Code des obligations et des contrats, toute modification à un contrat doit être approuvée par les deux parties.

Il existe toutefois une distinction entre modification du contrat de travail et modification des conditions de travail. De cette distinction va découler la possibilité pour l’employeur d’imposer un changement des conditions de travail à son salarié sans requérir son accord. De telles modifications peuvent concerner par exemple un changement de lieu de travail dans le même secteur géographique. Dans ce cas, tout refus injustifié du salarié peut entraîner son licenciement pour cause réelle et sérieuse, voire pour faute grave.

À l’inverse, le salarié a la possibilité de refuser une modification de son contrat de travail, lorsque celle-ci touche l’un de ses éléments essentiels, en l’occurrence le salaire. Ainsi, tout employeur qui impose unilatéralement une réduction de rémunération est en tort.

Il convient également de souligner que le salaire constitue un droit acquis pour les salariés. C’est un avantage qui s’incorpore à leur contrat de travail et dont ils bénéficient à titre personnel. Le principe du maintien de rémunération ne peut donc être remis en cause par l’employeur. Toute modification du contrat de travail doit être matérialisée par la signature d’un avenant au dit contrat comprenant l’acceptation du salarié.

Beaucoup de sociétés libanaises sont donc en train de recourir à ce procédé pour se prémunir en cas de procès intentés par les salariés. De leur côté, les employés sont dans une double contrainte d’accepter la réduction de leur salaire et signer l’accord, ou être tout simplement licenciés sans toucher leur dû. Les salariés sont en fait dans une forte dépendance à la fois juridique et économique envers l’entreprise. Les tribunaux ont considéré dans des situations similaires que le salarié est en situation de “crainte révérencielle” vis-à-vis de l’employeur. Il n’a pas donné son consentement de son libre arbitre, mais a signé des documents contraires à ses droits acquis sous l’emprise de la menace de perdre sa situation professionnelle. Dans ce cas, l’employé peut porter l’affaire devant le conseil arbitral du travail. Il pourra réclamer soit le rétablissement de ses anciennes conditions de travail, soit la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur afin de bénéficier des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au vu de cette situation sans précédent, le ministère du Travail tente de jouer un rôle de médiateur entre les salariés et les entreprises. Il prône l’acceptation par les employés de la baisse de leur salaire, qui reste une meilleure option que le licenciement fut-il considéré comme abusif au regard du code du travail. En pratique, les employeurs imposent au salarié une baisse de rémunération ou un licenciement avec une indemnité dérisoire. Ils agissent en connaissance de cause sachant qu’un procès en licenciement abusif peut traîner jusqu’à quatre ans devant le conseil arbitral du travail, voire plus en comptant la cassation et cela en dépit du texte très clair de l’article 50 du code du travail qui impose aux tribunaux de trancher les litiges dans un délai n’excédant pas trois mois. Là encore, le ministre du Travail entend intervenir afin de favoriser l’adoption d’un texte de loi qui créerait des conseils arbitraux supplémentaires. Comme les tribunaux sont actuellement saturés, cela pourrait permettre d’accélérer la cadence des décisions de justice.

Toutefois, il n’est pas du ressort du ministère du Travail d’intervenir dans les cas de baisse de rémunération ou même de changement de durée du travail. Seule la procédure de licenciement collectif pour raisons économiques, prévue à l’article 50 du code du travail, oblige l’employeur à notifier le ministère du Travail trente jours à l’avance avant la résiliation des contrats de travail. L’employeur doit alors prouver l’incapacité de l’entreprise à garder les salariés et, par conséquent, la nécessité du licenciement. Dans le cadre d’un licenciement collectif, un plan social doit être mis en place avec le ministère du Travail qui prend en compte l’ancienneté des salariés dans l’entreprise, leurs compétences, leur âge et leur statut familial et social. En outre, l’employeur doit s’engager à réintégrer les salariés licenciés dans l’entreprise quand celle-ci aura récupéré ses capacités financières. En pratique, le ministère du Travail agit comme un médiateur entre l’employeur et un représentant des salariés visés par le licenciement. Son rôle consiste à superviser la procédure. Il n’a pas de pouvoir coercitif. Il s’agit d’éviter les abus par l’analyse de la situation financière réelle de l’entreprise. Cette médiation est indépendante du recours en justice qui doit impérativement être fait en parallèle, afin de respecter le délai d’un mois octroyé aux salariés pour pouvoir réclamer le paiement de l’indemnité pour rupture abusive du contrat de travail.

Actuellement et au vu des circonstances exceptionnelles que traverse le pays, le ministère du Travail essaye de convaincre les entreprises d’éviter les “licenciements préventifs”, qui consistent à se débarrasser d’un plus grand nombre de salariés que ne le nécessite réellement leur situation économique.

De plus, et face à la recrudescence des procédures de licenciement collectif (70 sociétés depuis novembre 2019), le ministre du Travail a créé par décret une commission ad hoc au sein de son ministère qui a pour mission de veiller à l’accélération du processus de médiation prévu à l’article 50-(6) du code du travail.

À noter toutefois que le conseil arbitral du travail considère que le respect par l’employeur des conditions énumérées à l’article 50, alinéa 6, est d’ordre public et que le défaut de notification du ministère du Travail du licenciement collectif par l’employeur équivaut à un licenciement abusif. L’entreprise peut alors être condamnée au paiement de l’indemnité de licenciement abusif précitée qui varie entre 2 et 12 mois de salaire et est fixée par les magistrats.