Depuis l’annonce de la fermeture des bars-restaurants et boîtes de nuit afin de limiter la propagation du coronavirus, le secteur cherche une planche de salut.

En quarante ans d’existence, Barbar n’avait fermé que deux fois ses portes : une demi-journée lors de l’assassinat de Rafic Hariri, en 2005, et une journée à la mort du père du fondateur de l’établissement dans les années 1990. Pourtant, le 12 mars, la célèbre enseigne de restauration rapide de la rue Spears a baissé le rideau.
C’est la double peine pour le secteur de la restauration. Touché de plein fouet par la crise économique, qui, selon ses représentants, a provoqué la fermeture de 785 établissements et mis à la porte 35.000 employés entre septembre 2019 et février 2020, le secteur subit les conséquences d’une crise sanitaire sans précédent.

Dans la tempête, les professionnels qui tenaient encore debout ont misé sur la livraison, pour poursuivre a minima leur activité. « Quand on a compris que l’épidémie touchait également le Liban, on a tout de suite renforcé la livraison à domicile », explique Ali Ghaziri, directeur des opérations de Barbar. En l’absence de recommandations précises du ministère de la Santé, l’enseigne a mis en place ses propres mesures : masque et gants obligatoires, prise de la température toutes les heures pour les employés, stérilisation systématique de tous les scooters.

Barbar a en outre embauché des spécialistes en matière de sécurité alimentaire. Mais ces mesures ne parviennent pas à enrayer la baisse des ventes qui ont plongé de 75% à la mi-mars.

« D’autant que ces précautions sanitaires et les frais de livraison amputent de 35 à 40 % notre revenu. La plupart des restaurateurs ne peuvent pas se le permettre », constate Ali Ghaziri dont environ 75% des effectifs ont été renvoyés à la maison tout en étant payés.

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Pour ces restaurants, la livraison n’a finalement rien d’une panacée : de nombreux clients préférant ne pas y recourir, faute de garantie quant aux risques de contamination. «Les gens veulent éviter le maximum de contacts», abonde Dany Aprat, propriétaire du bar Wise & Witty et des restaurants Tavolina et Slate. Ses trois établissements, qui n’avaient pas de réels services de livraison jusque-là (seulement 10% du chiffre d’affaires), n’ont d’ailleurs pas réussi à basculer. Et si tous les salariés ont été payés fin mars, la direction avoue ne pas savoir quelle sera sa politique en avril. «On ne va pas pouvoir continuer ainsi», assure Dany Aprat.

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D’autres ont opté pour une fermeture totale : à Saïfi, le restaurant Le Petit Gris a décidé de ne pas mettre en place de service de livraison, ni de vente à emporter.

«C’est un facteur supplémentaire de risque de propagation du virus. La seule solution, c’est la patience», explique son propriétaire Makram Rabbath, dont le restaurant générait environ 1,5 million de dollars de chiffre d’affaires par an. Ses vingt salariés ont été priés de rester chez eux avec la garantie d’être payés en mars. «Nous avons la chance d’avoir un établissement qui fonctionne bien. Mais pour de nombreux restaurants, cette crise sanitaire, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase», prévient-il.

500 millions de pertes mensuelles

Dans un communiqué publié le 19 mars, Tony Ramy, le président du Syndicat des restaurants, cafés, night-clubs et pâtisseries, a tiré la sonnette d’alarme. «Le secteur était en agonie avec la crise économique, maintenant il est mort», tranche-t-il, qui estime les pertes à 500 millions de dollars par mois, en se basant sur les revenus annuels de 6 milliards de dollars du secteur touristique. «Les plates-formes de livraisons parlent d’une baisse des commandes de 50 à 55%. Mais, selon nos estimations, la baisse est plus proche de 60 ou 70%. En comptant seulement sur les livraisons, les restaurateurs perdent de l’argent. Ils continuent de livrer pour se donner un bol d’air, mais c’est insuffisant.»

Chez Toters, la plate-forme de livraison à domicile lancée en 2014, l’impact du coronavirus est bien visible. «Il y a clairement un impact sur nos volumes, explique son directeur Nael Halawani, sans vouloir rentrer dans le détail des chiffres. On note une baisse concernant l’offre de restauration et une hausse sur nos produits d’épicerie. La confiance des consommateurs n’est pas aux rendez-vous, ils ne sont pas au courant des différentes mesures qui ont été prises par les restaurants et les sociétés de livraisons pour limiter la propagation du virus. Mais la confiance finira par revenir.»

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Le syndicat a en effet mis en place un ensemble de règles visant à garantir la sécurité des clients et des livreurs, comme l’obligation du port de masques, une prise de température régulière des employés ainsi que des recommandations pour les clients qui doivent s’orienter vers des restaurants respectueux des règles d’hygiène. Le syndicat a même réalisé un film, en collaboration avec Zomato, à destination des réseaux sociaux, mais le message ne semble pas encore avoir trouvé son public.

En attendant, Tony Rami a exhorté le gouvernement à mettre en place des mesures de soutien, comme des exemptions fiscales, des baisses de charges, un gel du remboursement des prêts et des crédits, ou encore un report de paiement des loyers pour les établissements du secteur.