Le choc est rude pour le secteur aérien au Liban, dont les pertes provoquées par l’épidémie du coronavirus, estimées à 365 millions de dollars, s’ajoutent aux dégâts provoqués par la crise financière que traverse le pays.

Anwar Amro/AFP
Anwar Amro/AFP

C’est une situation « sans précédent », selon l’Association du transport aérien international (IATA). « La crise que traverse le secteur est bien plus grave et plus étendue que les attentats du 11-Septembre, l’épidémie de SRAS ou la crise financière mondiale de 2008 », explique Alexandre de Juniac, son directeur général.

Les projections de l’association, qui regroupe 290 compagnies aériennes et concentre 82 % du trafic aérien mondial, sont extrêmement alarmantes : si l’épidémie est contenue, la facture serait de 63 milliards de dollars, soit un recul de 11 % de l’activité aérienne... Si le monde ne parvient pas à juguler la pandémie, le coronavirus pourrait coûter jusqu’à 113 milliards de dollars, soit une baisse de 19 %. Et encore, ces estimations ne prennent pas en compte les pertes liées au transport de marchandises ni, plus grave encore, la fermeture de l’espace aérien américain. C’est pourquoi l’IATA a depuis revu ses pertes de chiffre d'affaires à 252 milliards de dollars, soit 44 % de moins par rapport à 2019.

Le Liban, qui a fermé son aéroport depuis le 18 mars, ne fait pas exception : l’IATA prévoit pour lui une perte de 365 millions de dollars en 2020 et une baisse de fréquentation de 21 % par rapport à 2019. Ce qui est dans le même ordre de grandeur que les pays les plus touchés par cette pandémie, comme la Chine, la Corée du Sud, l’Iran ou l’Italie par exemple. L’heure est grave: ce sont les quelque 51 700 emplois, que compte le secteur aérien, qui sont directement menacés au Liban, selon l’association.

Les compagnies aériennes vont payer très cher l’effondrement de leur activité. Mais elles ne sont pas les seules. Les quelque 800 agences de voyages recensées au Liban et dont le travail dépend très étroitement de l’activité des compagnies aériennes sont aussi très affectées. «Notre seule activité consiste désormais à rembourser les clients dont les vols ont été annulés ou à modifier leurs réservations», explique Walid Temsah, président de l’agence Tala Tour.

Pour limiter la casse, les agences ont pris des mesures drastiques : les horaires des employés ont été modulés, des mesures de chômage technique (non payé) ont été mises en place et les licenciements se sont accélérés. Mais certaines pourraient bien ne pas échapper à la faillite. «Nous ne savons pas combien d’entreprises reprendront leurs activités une fois l’épidémie contenue», indique Jean Abboud, président de l’Association des agences de voyages au Liban (Attal).

Pour le secteur, l’épidémie de Covid-19 aura été le coup de grâce. Car l’année 2019, si elle avait bien commencé (voir encadré), s’est terminée en catastrophe, avec une perte de 50 % du chiffre d’affaires de l’ensemble des opérateurs sur les trois derniers mois par rapport aux mois précédents, estimée à plus de 25 millions de dollars par mois. Et la tendance s’est maintenue sur les deux premiers mois de 2020. La cause principale de cet effondrement : les limitations bancaires imposées sur les transferts de devises à l’étranger depuis le dernier trimestre 2019.

Mais les choses se sont encore plus aggravées à partir de fin février-début mars. Les restrictions sur les virements bancaires à l’étranger se sont alors resserrées et les agences n’ont plus été en mesure d’assurer les réservations du type “soto” (sold outside, ticketed outside), lesquelles exigent de pouvoir virer une partie de l’argent perçu sur le compte des compagnies aériennes étrangères. L’option, qui était particulièrement appréciée de la diaspora libanaise du Golfe et des Syriens, n’ayant plus accès au réseau IATA depuis 2012, permettait aux tour-opérateurs de vendre des billets d’avion sans que les voyageurs transitent par Beyrouth. « Cela représentait environ 30 % de notre activité », fait valoir Jean Abboud.

Ces restrictions ont également eu une autre incidence : Citibank, via son établissement local, n’a plus réussi à transférer les devises dues par les agences de voyages libanaises aux compagnies aériennes internationales. Jusqu’alors, la banque transférait ces montants à l’IATA tous les quinze jours. À charge pour l’association de les redistribuer à ses membres au prorata de leurs activités au Liban. Cette défaillance risque d’avoir un prix très lourd : le pays pourrait bien se retrouver sur la liste noire de l’IATA. « Si nos liens avec l’IATA sont interrompus, l’AIB restera désert, que l’épidémie de coronavirus soit endiguée ou pas. Cela serait la véritable catastrophe », conclut, pessimiste, Élie Nakhal, directeur général de l’agence Nakhal.

2019, une année décevante pour le tourisme

En 2019, l’aéroport de Beyrouth (AIB) s’apprêtait à battre son record de fréquentation, alors que le nombre de passagers enregistrait une hausse de 2,8 % sur les neuf premiers mois, en glissement annuel. En continuant au même rythme, il aurait dépassé, pour la première fois, la barre des neuf millions de voyageurs sur un an. Le nombre de touristes étrangers était, lui aussi, en nette progression, avec 7,1 % de plus sur cette même période, s’apprêtant à enregistrer sa meilleure année depuis 2010. Mais la crise a tout remis en cause et 2019 s’est finalement terminée avec une fréquentation (8,7 millions de passagers), en baisse de 1,8 % par rapport à 2018 et de 17,4 % au dernier trimestre, en glissement annuel. Même son de cloche du côté du nombre de touristes. Il a atteint 1,9 million de visiteurs sur toute l’année, soit une baisse de 1,4 % par rapport à 2018, alors que sa performance au dernier trimestre est, elle, en baisse de 29,4 % en glissement annuel.