Ils ont leurs propres contentieux dans le petit monde des métiers juridiques
au Liban. Les jeunes avocats en particulier s’exposent
à des obstacles en pagaille, dont, disent-ils,
la prédominance des grands noms...

Ils sont environ 9 000 avocats déjà inscrits à l’Ordre (7 500 au barreau de Beyrouth et 1 500 au barreau de Tripoli) ; puis quelque 1 000 nouveaux candidats se présentent chaque année, mais près de 300 seulement intègrent effectivement l’Ordre, selon le bâtonnier Raymond Chédid. C’est dire que la profession connaît une crise de surpopulation : «Beaucoup d’avocats sont en situation de chômage partiel ou déguisé, car leur nombre est trop élevé pour notre petit pays. Et le nombre de candidats à l’examen du barreau, qui a lieu trois ou quatre fois par an, est toujours plus élevé : 250 en moyenne pour chaque session.
Selon l’Ordre des avocats, État et universités sont conjointement responsables de cet état de fait. «Trop d’autorisations sont accordées par l’État aux universités et instituts, regrette Me Chédid. Et les établissements d’enseignement supérieur ne font pas une sélection suffisamment stricte des étudiants. Tous ceux qui échouent dans d’autres formations se tournent vers le droit et sont admis. Ces établissements fournissent chaque année des diplômés dont la plupart n’auront jamais assez de travail pour vivre décemment».
À tel point que, toujours selon le bâtonnier, les nouveaux venus sur le marché professionnel seraient très peu regardants en matière de salaire ou d’honoraires. Si quelques rares privilégiés ont les moyens d’ouvrir leur propre cabinet, la majorité doit se faire embaucher. Or, le salaire d’un jeune diplômé peut varier du simple au double. «Nous ne pouvons qu’émettre des recommandations, plaide Chédid, et les salaires sont parfois bas, de l’ordre de 500 $. Mais les débutants s’estiment déjà heureux d’avoir trouvé un emploi».
À cela s’ajoute l’effritement de la demande : «Actuellement, les procédures judiciaires coûtent cher, précise Chédid. De sorte que beaucoup de clients potentiels ne vont plus au procès, car ils n’ont tout simplement pas les moyens de payer les frais de justice. Cela se répercute sur les avocats qui ont donc moins de travail et qui doivent souvent attendre la fin du procès pour percevoir leurs honoraires». D’ailleurs, de l’avis de plusieurs avocats, le taux d’impayés ou de retard excessif de paiement est devenu alarmant.

Pour ceux
qui ne sont pas découragés

Pratiquement, une fois sa licence de droit en poche après quatre années d’études, le diplômé va devoir trouver un cabinet qui accepte de présenter sa candidature à l’examen du barreau. Celui-ci se compose d’épreuves écrites (tests de culture générale et de langues, questionnaire sur les différentes matières du droit…), suivies en cas de réussite d’un oral. Afin de contrer l’excès de candidats et de maintenir un bon niveau, le conseil de l’Ordre des avocats, qui organise ces épreuves, se veut très strict. Seuls 30 % des candidats passent l’examen dès la première session, les autres devront attendre une prochaine session, selon des conditions précises.
Une fois devenu avocat, le jeune diplômé devra alors effectuer ses trois années de stage dans le cadre d’un cabinet établi. Les cabinets renommés sont d’ailleurs assaillis de demandes de stagiaires, mais n’en ont droit qu’à un nombre limité. Trois années laborieuses en tout cas, faiblement rémunérées ou pas du tout, qui ne déboucheront pas forcément sur une embauche et qui seront rythmées de conférences et autres séminaires obligatoires. Enfin, un autre examen auprès de l’Ordre des avocats permettra au diplômé d’être inscrit au Grand Tableau. Seulement alors, le jeune professionnel pourra plaider.
Un Libanais qui a poursuivi des études de droit à l’étranger pourra se présenter à l’examen du barreau à condition d’être détenteur de la licence de droit libanais, suite à une année d’études complémentaires dans une université locale pour acquérir les notions de droit libanais. Néanmoins, rares sont ceux qui font cette démarche (5 % seulement des candidats) : ceux qui ont étudié le droit à l’étranger préfèrent le plus souvent poursuivre leur carrière hors des frontières.
Démarquez-vous

Bien que la licence soit le seul diplôme exigé, une spécialisation est à recommander. «Le droit des affaires, même s’il n’est pas encore très répandu au Liban, est une voie d’avenir, conseille Chédid. Il est appelé à prendre une place d’envergure avec l’entrée du Liban dans la mondialisation. De même pour le droit fiscal et le droit du travail. Dans tous les cas, le droit général ne suffit plus. Et il faut par ailleurs que les jeunes diplômés maîtrisent au moins une langue étrangère, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas».
Cependant, au Liban, les avocats ont rarement le luxe d’exercer en tant que spécialistes. Un même cabinet – ou un même avocat – devra aussi bien plaider pour une banque que pour un particulier. À moins qu’on soit chargé des contentieux d’un certain nombre de sociétés, où l’on est payé à l’année. Ça c’est le rêve pour les avocats, car on est sûr d’avoir des rentrées fixes. Et de rester “libéral”. Les professionnels qui souhaitent être embauchés dans d’autres structures, comme une banque ou une compagnie d’assurances pour gérer le juridique de la société, devront d’abord demander à être rayés du barreau, ce qui arrive le plus souvent «pour des motifs économiques», dit Me Chédid. Une façon de dire : faute de clientèle suffisante.
Autre voie : un licencié peut présenter le concours de l’École de la magistrature et devenir éventuellement juge au bout de trois années d’études supplémentaires. Bien sûr, bénéficier d’une expérience professionnelle ou d’une spécialisation est préférable, mais la loi ne l’exige pas. Le futur juge entre alors dans la Fonction publique. Une carrière qui, selon Me Chédid, ne tente guère de monde, malgré la stabilité du statut et les privilèges sociaux liés à cette fonction. En plus, le taux de réussite reste très faible. Ce qui aboutit à une pénurie permanente de juges. Exceptionnellement, on nomme des juges parmi les avocats, sans passer par le cursus de l’École de la magistrature, par le biais d’une loi. «Mais cela se produit rarement et ce type de loi n’est pas toujours mis en application, ce qui est regrettable».
Enfin, quelques avocats décident d’ouvrir un cabinet de notaire, une profession qui, là encore, ne requiert que la détention d’une licence de droit mais qui semble aller mieux que les autres : davantage de clients et une meilleure rémunération, car elle est encore peu connue. Pour certains idéalistes du cursus juridique, il s’agit là du “parent pauvre” du métier. Mais certains notaires sont devenus des références dans des domaines précis et leur étude ne désemplit pas.
En tout cas, il faut savoir que cette profession, malgré sa notoriété sociale toujours en vogue, est ponctuée d’aléas, et le filtrage de facto est devenu la règle.