Cofondateur de la start-up Vinli, qui commercialise une innovation pouvant potentiellement bouleverser les habitudes des automobilistes du monde entier, le Libanais Mark Haidar s’affirme comme l’une des nouvelles figures de proue de l’exportation des cerveaux libanais.

Beyrouth, novembre 2014, une nouvelle star libanaise est née. Parmi la cinquantaine d’intervenants venus de tous les horizons pour partager leur vision et leur expérience de l’économie numérique auprès des 2 000 participants de la première édition du forum BDL Accelerate de la Banque centrale (voir Le Commerce du Levant n° 5659), c’est notamment autour de Mark Haidar qu’entrepreneurs et journalistes se pressent pour découvrir le parcours atypique de cet expatrié que rien ne destinait à la célébrité.
Une célébrité que lui a d’abord valu sa dernière invention, Vinli, présentée en septembre à la finale de la célèbre compétition Techcrunch Disrupt de San Francisco. Le concept de ce petit appareil commercialisé en février pour une cinquantaine de dollars ? « Apporter l’expérience des “smartphones” au monde automobile en proposant un outil capable, à travers des applications spécifiques, de rendre les voitures plus intelligentes », explique-t-il. Parmi les plus de 70 applications disponibles au lancement, développées en interne ou par des tiers moyennant redevance, Vinli proposera notamment : un système de diagnostic intelligent des pannes intégrant une plate-forme d’enchères pour les mécaniciens situés à proximité, un module transformant le véhicule en point d’accès à l’Internet sans-fil ou encore un système d’alerte automatique des secours en cas d’accident… « Vinli devrait véritablement changer les règles du jeu dans le secteur. Il peut être connecté sur le port ODB II qui équipe tous les modèles assemblés depuis 2001 (1996 pour les États-Unis) et décloisonne les barrières imposées par les systèmes propriétaires des manufacturiers qui empêchent une véritable diffusion de l’innovation », affirme cet inventeur en série qui compte déjà plus de projets à son actif – une quarantaine – que d’années au compteur.

Rêve américain

Au-delà du succès annoncé de son dernier bébé, c’est sans doute le cheminement tortueux l’y ayant conduit depuis sa Wadi al-Zeina (banlieue de Saïda) natale, qui a dû forcer l’admiration de son “public” libanais. Une saga digne de Hollywood qui débute à l’orée des années 2000, lorsqu’après une scolarité passée à Aïn el-Héloué, il décide à 17 ans de créer sa première compagnie pour payer les 4 000 dollars de frais d’inscription universitaires, hors de portée pour sa famille modeste. Depuis, il enchaîne les innovations : à l’âge de 21 ans, il a, entre autres, conçu le premier système de gestion universitaire entièrement en ligne, développé le premier moteur de jeu 3D de la région et été récompensé pour la mise au point d’un système de numérisation des registres des municipalités...
Une série de prouesses précoces qui lui valent d’obtenir un visa d’étudiant pour les États-Unis en 2006, juste avant l’offensive israélienne de juillet. « Cela a été terrible : j’ai vu la maison construite par mon grand-père rasée et certaines connaissances trouver la mort. J’ai eu alors une conversation très dure avec mon père qui m’a dit : “Il faut qu’au moins l’un d’entre nous s’en sorte et tu es le seul à pouvoir partir… Voici 1 800 dollars sur mes 2 100 d’économies, utilise-les pour quitter le pays”», se souvient Mark Haidar. La mort dans l’âme, il se résout à fuir avec l’aide d’un contrebandier et entame un long périple qui le fait traverser la Syrie, la Turquie, l’Allemagne et New York avant d’échouer à Detroit.
Reste que l’asile n’est pas si paisible et dans l’attente de lendemains qui chantent, il lui faut encore faire face à la dure réalité du quotidien. « Je n’avais plus un sou en poche et certainement pas de quoi payer les 30 000 dollars annuels de frais de scolarité du master. Pour survivre, j’ai dû travailler clandestinement 70 heures par semaine pour une station-service d’un quartier chaud de la ville. Parallèlement, j’ai proposé à un professeur qui concourait pour une dotation de recherche de l’armée américaine de travailler sur le projet, à condition qu’il prenne en charge mes frais de scolarité si je parvenais à lui obtenir cette dotation. Pendant plus d’un an, j’ai donc bossé comme un dingue, pas dormi plus de quatre heures par nuit et me suis nourri presqu’exclusivement de burritos industriels à 90 cents », s’amuse-t-il aujourd’hui. Il continue ensuite de fourbir ses armes et met au point plusieurs projets pour le compte de l’armée américaine, notamment un service de communication automatisé entre véhicules et robots militaires. Master en poche, il s’installe ensuite à Dallas où il travaille en tant que salarié pour deux sociétés technologiques locales tout en cultivant le désir de s’installer à son propre compte. Ce sera fait en 2010, lorsqu’il décide de surfer sur l’engouement généralisé pour les innovations technologiques et de créer Dialexa avec son ami Scott Harper.

Accélérateur interne d’entreprises

« Dialexa est une compagnie de développement de produits : lorsqu’un acteur public ou privé a une vague idée d’innovation technologique mais ne sait pas comment l’implémenter, il vient nous voir pour que nous le transformions en produit fini », résume-t-il. Un concept de sous-traitance de luxe en quelque sorte, qui va aider le duo à s’affranchir de certaines contraintes pesant sur tout lancement de start-up. Plutôt que d’effectuer une tournée des grands ducs pour glaner des fonds, les deux compères fondent Dialexa avec 25 dollars chacun et optent pour un autofinancement intégral de leur croissance organique, à travers leur carnet de commandes. Et le succès est au rendez-vous : en un peu plus de trois ans, leur société croît à une vitesse exponentielle et compte des clients du monde entier, allant de la start-up texane à des multinationales et des gouvernements étrangers.
Pas de quoi rassasier le duo qui décide parallèlement de réinvestir ses profits – non révélés – dans la création d’une succursale, Dialexa Labs. Celle-ci reprend en partie le concept de la maison mère, mais pour développer des idées internes. « Dialexa Labs est une sorte d’incubateur intégré, ou plus exactement une machine à transformer des idées en sociétés technologiques plutôt que de simples produits. Chacune de ces compagnies aura une mission : identifier un problème sur le marché, et le résoudre à travers un produit spécifique. Vinli est la première d’entre elles, trois autres devraient suivre dans le courant 2015 et on devrait ensuite tourner aux alentours de 4-5 lancements par an », affirme-t-il avec l’aplomb de ceux qui finissent toujours par trouver les moyens de leurs ambitions.

Passeur d’expérience

Des ambitions qui ne l’ont pas pour autant coupé de sa terre natale, de ses problèmes, voire des opportunités qu’elle peut encore offrir. À l’instar de nombreux expatriés libanais ayant connu le succès ailleurs (voir page 30), il choisit de mettre à profit son expérience et son réseau en lançant, à l’occasion du BDL Accelerate, une association de soutien au service des jeunes pousses prometteuses. Baptisée Lisa (pour Levant International Start-up Association), cette structure mêlant des professionnels de tous horizons aura pour but de faciliter l’accès des entrepreneurs technologiques de la région aux marchés internationaux et en particulier américain. Les modalités de ce soutien iront de la promotion de la scène levantine aux États-Unis aux programmes de mentorats en passant par l’attribution de bureaux partagés. « Au-delà de Lisa, si j’ai un message à faire passer aux jeunes Libanais, ce serait : brisez votre plafond de verre ! Vous valez mieux que de croupir dans un emploi sans intérêt ou d’attendre les faveurs d’un politicien. Si vous avez le cran pour tenter de créer une start-up et la persévérance de la mener à terme, vous finirez gagnant. Ou, dans le pire des cas, vous ferez faillite et aurez quand même gagné de l’expérience et des contacts qui seront utiles pour le reste de votre vie professionnelle », s’enthousiasme-t-il, sans doute conscient que son parcours constitue en soi un accélérateur de vocations…