Comment continuer à innover dans une économie de la connaissance aux expertises toujours plus pointues ? Le 17 février, l’Université libano-française accueillait un séminaire consacré à “l’innovation collaborative”. Les partisans de ce concept prônent la mise en commun des compétences, la défense d’un monde où les universités, les laboratoires de recherches et les industriels innoveraient main dans la main. Un modèle qui fait ses preuves, mais qui implique des fonds, ainsi qu’une culture ouverte et décloisonnée susceptible de garantir les droits de propriété intellectuelle. Avec sa plate-forme de recherche, le Beirut Ressources Innovation Center (BRIC), Hassan Ghaziri est l’un des premiers à explorer ce terrain au Liban depuis 2013.

Comment se porte l’innovation collaborative au Liban ?
Nous essayons d’explorer cette voie qui n’est pas encore très développée. Les Libanais n’ont pas un penchant naturel pour l’entreprise en commun, non parce qu’ils n’aiment pas travailler ensemble, mais surtout parce que les conditions ne le facilitent pas. Mettre en place, par exemple, une collaboration entre une université et le monde de l’industrie reste très difficile. Quelques initiatives commencent à émerger pour encourager l’innovation collaborative entre différentes facultés, comme à l’Université américaine où un fonds de recherche a vu le jour pour encourager, voire exiger que les sommes débloquées se dirigent vers des projets mêlant une faculté de médecine et une  faculté d’ingénierie. Mais c’est encore un écosystème embryonnaire.

Dans quels domaines pourrait s’appliquer ce modèle au Liban ?
Tous les secteurs porteurs d’innovations sont compatibles. La plate-forme du BRIC réunit plusieurs chercheurs, quatre universités libanaises (l’Université américaine, l’Université libanaise, l’Université Notre-Dame de Louaizé et l’Université franco-libanaise) et cinq universités en France, en Suisse, aux États-Unis et en Colombie. L’un de nos trois projets, favorisé par un fonds du Centre national de recherche scientifique (CNRS) de Beyrouth, porte sur le déminage humanitaire. En plus des experts, une vingtaine de personnes de disciplines diverses sont mobilisées sur ce programme. Le but étant de mettre en place des détecteurs de mines plus performants et travailler à la neutralisation des mines à distance avec des ondes électromagnétiques. Tout ce travail s’effectue en coordination avec l’armée libanaise via son Lebanon Mine Action Center, qui met à disposition des experts locaux et internationaux pour nous guider dans nos recherches et identifier les problèmes pertinents.

Comment encourager les acteurs de l’innovation à travailler ensemble au Liban ?
Il faut avant tout renforcer le lien entre les industriels et le milieu de la recherche académique. Deux mondes qui n’ont pas l’habitude de communiquer et donc de collaborer. Des bureaux de transfert de technologie spécialisés peuvent être installés pour assumer cette fonction, créer une passerelle entre ces deux univers. L’innovation collaborative passe aussi par la mise en place d’un mécanisme pour rassurer l’industriel ou l’entrepreneur. Garantir par exemple que son investissement dans un doctorat industriel sera protégé est crucial. Les droits de chacun doivent être préservés. Enfin, ce modèle peut être encouragé tout simplement par le lancement de fonds à caractère collaboratif. Les obstacles ne sont pas que d’ordre financier, il s’agit aussi d’une question de confiance.

Un levier à destination de l’économie de la connaissance existe à travers la circulaire 331 de la Banque centrale du Liban. Ce dispositif concerne-t-il l’innovation collaborative ?
Ce n’est malheureusement pas encore le cas. Le problème de la circulaire 331 et des 400 à 600 millions de dollars garantis par la Banque centrale est qu’il s’agit d’un instrument financier conçu par des banquiers pour les banquiers. Les entrepreneurs en bénéficient, mais pas vraiment les innovateurs, dans le sens où la circulaire 331 finance des projets quasiment aboutis, qui se trouvent à six ou neuf mois du marché. Or, l’innovation collaborative implique des projets à long terme de trois à cinq ans. Les banquiers préfèrent miser sur le développement d’une entreprise, un “business model” plutôt que sur une nouvelle technologie. Il n’y a pour l’instant rien de concret, mais nous œuvrons pour tenter d’élargir le dispositif de la 331 à l’innovation collaborative dans sa phase d’amorçage. Car ce programme a complètement bouleversé l’écosystème de l’innovation au Liban et a eu un impact formidable qui a mis en marche une dynamique très enthousiaste.