Depuis quelques années, les initiatives publiques et privées se multiplient pour séduire les plus éminents représentants de la diaspora d’affaires libanaise et les convaincre de participer autrement au développement économique de leur terre natale. Dernière en date, le Global Lebanese Investors Summit, organisé par l’antenne libanaise du réseau de mentorat entrepreneurial Endeavor et l’association Life (Lebanese International Finance Executives).

«Investissez au Liban et pariez sur sa croissance ! » : davantage qu’un slogan, le message de la première édition du Global Lebanese Entrepreneurs and Investors Summit, le 23 décembre à l’hôtel Phoenicia, sonne comme une invitation. Une invitation que ses organisateurs, l’antenne libanaise du réseau de mentorat entrepreneurial Endeavor et l’association Life (Lebanese International Finance Executives), ont adressée à près de 250 entrepreneurs et financiers libanais établis à l’étranger. L’objectif : profiter de leur passage pour les fêtes pour leur présenter un panorama des opportunités d’affaires à saisir dans leur patrie d’origine, à travers des rencontres avec une centaine de représentants de ses cercles politiques et d’affaires, ainsi qu’une série de conférences thématiques. « En mettant en avant l’attractivité du pays à travers ce type d’initiatives, nous souhaitons ouvrir des passerelles entre les talents restés dans le pays et des professionnels expatriés qui ne sont pas toujours au courant de ce qui s’y passe », résume Adel Afiouni, le directeur qui dirige le comité “promotion” de Life. Fondé en 2009, ce réseau international d’entraide entre professionnels libanais de la finance compte déjà  à son actif plusieurs mesures de soutien aux acteurs économiques libanais, comme l’attribution à des étudiants prometteurs de bourses annuelles d’études à l’étranger ou la création, avec les réseaux d’expatriés Seal et Lebnet, de la plate-forme Lebanon for Entrepreneurs (LFE) qui vise notamment à connecter les start-up technologiques libanaises avec des bailleurs étrangers.

Réorienter les transferts

Avec environ 14 millions d’expatriés (ressortissants du Liban ou descendants de Libanais) estimés par la Fondation maronite, la diaspora libanaise constitue un formidable réservoir de ressources encore inexploitées pour accélérer le développement économique et social du pays. Un développement qui passerait par celui de ses petites et moyennes entreprises (PME), lesquelles représentent plus de 90 % des sociétés du pays et environ 51 % des emplois, selon des chiffres communiqués par le ministère de l’Économie et du Commerce. « Ces entrepreneurs ont gagné en maturité au fil des générations et ont appris à fonder dès l’origine la croissance de leurs sociétés sur un rayonnement commercial international. De plus, il y a matière à miser sur la dynamique portée par un certain nombre de signaux positifs émis en 2014, tels que les reventes à plusieurs millions de dollars de sociétés comme Diwanee ou Shahiya, ou l’émergence d’un écosystème technologique dans le sillage de la circulaire 331 de la Banque du Liban », explicite Tarek Sadi, directeur d’Endeavor au Liban. Créé en 2011, ce chapitre local du célèbre réseau américain sélectionne un petit groupe d’entrepreneurs au potentiel de croissance et de création d’emplois importants afin de les faire échanger avec leurs homologues de tous horizons (voir Le Commerce du Levant n° 5639).
Parmi les canaux privilégiés de cette contribution accrue de la diaspora à l’essor entrepreneurial libanais, les investissements directs figurent sans doute en tête de gondole. Les capitaux ne manquent pas : avec 7,6 milliards de dollars de remises reçues en 2013, selon la Banque mondiale, le Liban se situait au 18e rang mondial en termes absolus et au premier rang régional en termes de contribution relative au PIB (16 %). « Jusqu’à présent, ces remises alimentent essentiellement les dépôts bancaires, la consommation des ménages ou les placements dans l’immobilier ou les établissements d’hôtellerie-restauration », regrette Tarek Sadi. Un système sur lequel repose une grande partie du fonctionnement de l’économie du pays, mais accentue aussi indirectement ses failles, encourageant ultérieurement le conservatisme traditionnel des banques libanaises dans le financement de l’économie productive ; leurs exigences en termes de garanties et de taux d’intérêt s’avérant souvent inaccessibles pour de petites entreprises. Du coup, les décideurs tentent désormais d’agir directement du côté des sources de financement afin de réorienter une partie de ces transferts financiers vers des activités générant davantage de valeur ajoutée et d’emploi. Lesquelles ? « Le Liban possède déjà plusieurs secteurs dynamiques pouvant séduire différents types d’investisseurs : l’écosystème technologique est en plein essor et bénéficie désormais des ressources nécessaires pour émerger sur le plan régional, le secteur du design et de la mode commence à avoir une renommée internationale, et le vin libanais bénéficie d’un potentiel de notoriété intéressant dans un marché toujours plus globalisé. Il est très important de pousser chacun de ces secteurs indépendamment et en fonction de ses spécificités », détaille Habib Kairouz, associé gérant chez l’investisseur américain Rho Capital et membre des conseils d’administration de Life et d’Endeavor Liban. Un appel en partie entendu si l’on en juge par certaines initiatives comme le lancement par Idal, en mars 2013, d’une plate-forme Internet spécifiquement dédiée aux investissements directs à l’étranger, avec une volonté affichée de cibler ceux de la diaspora. Plusieurs investisseurs réfléchissent de leur côté à la création de fonds spécifiquement dédiés au placement de ses capitaux, notamment dans l’économie numérique ou la mode.

Faciliter l’accès aux marchés internationaux

Au-delà de leurs investissements en capital productif, les expatriés sont aussi attendus pour la dimension qualitative de leur contribution. « Qu’il s’agisse d’hommes d’affaires, d’entrepreneurs, de dirigeants de grandes sociétés ou d’investisseurs ; les expatriés ont un haut niveau d’expertise sur les spécificités des pays dans lesquels ils opèrent et bénéficient de fortes connexions avec leurs acteurs. Ce sont autant d’avantages qu’ils peuvent mettre à disposition de leurs compatriotes pour les aider à accéder à de nouveaux marchés tout en tirant également profit », plaide Adel Afiouni. Un réseau informel d’intelligence économique sur lequel les pouvoirs publics tentent désormais de capitaliser : la stratégie nationale pour le développement des PME, lancée mi-décembre par le ministère de l’Économie et du Commerce, affiche ainsi parmi ses objectifs une meilleure coopération entre les services diplomatiques et la diaspora d’affaires, devant notamment concrétiser par un registre national semblable à ceux mis en place dans la plupart des pays développés. Enfin, « pour accélérer ultérieurement le développement de l’écosystème, il est aussi important de convaincre certains expatriés qui ont connu le succès à l’étranger de rapatrier tout ou partie de leur savoir-faire », suggère Walid Hanna, du fonds d’investissement en capital-risque MEVP. Le retour au pays, c’est le pari tenté au lendemain de la guerre de 2006 par Fadi Daou qui a décidé de mettre à profit près d’un quart de siècle d’expériences dans le secteur technologique américain pour créer au Liban MultiLane, l’un des poids lourds mondiaux de la fabrication de semi-conducteurs. « De Google à Fujitsu en passant par Cisco, tous nos clients reçoivent des composants avec la mention “Conçu au Liban” », s’enorgueillit-il.
“Conçus” et “non fabriqués” car, à son grand dam, il a dû renoncer à y implanter ses usines du fait des “complications” administratives liées à l’importation régulière de matériel ou du manque d’infrastructures. D’autres expatriés confient de manière anonyme avoir renoncé à leurs velléités d’installation, dépités par l’instabilité chronique du pays, les obstacles opposés par un système réglementaire et fiscal jugé obsolète, ou encore l’omniprésence de la corruption à tous les maillons de la chaîne de production. « La diaspora est souvent démoralisée par la situation du pays, mais, en même temps, elle peut mesurer concrètement à quel point une partie de son tissu économique arrive à passer à travers les gouttes. Même si le verre est à 90 % vide, c’est sur la partie pleine qu’il faut focaliser son attention ! » préfère souligner Habib Kairouz. « Avoir appris à travailler dans un environnement si difficile apporte un gain d’expérience considérable et valorisable pour les entrepreneurs libanais », abonde de son côté Tarek Sadi, qui y verrait presque un argument de vente pour valoriser l’esprit d’entreprise à la libanaise…