Grâce à une innovation technologique qui améliore le processus de production de la freekeh libanaise, Usaid espère développer son exportation et répondre à un marché potentiellement juteux au Liban, dans la région et voire aux États-Unis.

La freekeh, un ingrédient récurrent de la cuisine traditionnelle libanaise, est convoitée dans tout le Moyen-Orient, surtout pendant le ramadan. Cette céréale grillée est obtenue après un long processus de transformation : récolté à peine mûr, le blé vert doit être séché et grillé à même le sol. Un modèle peu hygiénique non conforme aux standards internationaux qui est sur le point d’être bouleversé par le projet de la Lebanon Industry Value Chain Development (LIVCD). Elle a lancé en mai le prototype de deux machines permettant aux agriculteurs de produire de façon plus productive une freekeh standardisée de qualité. Le but de ce programme financé à hauteur de 40 000 dollars par l’Agence gouvernementale américaine d’aide au développement (Usaid) : conquérir le marché local avant de se lancer dans l’exportation.
Un jeune ingénieur libanais, Ali Ammouri, a donc été sollicité pour concevoir les deux machines à partir de la technologie de la filiale libanaise de la société d’ingénierie National Instruments qui a mis 40 000 dollars sur la table. Le déshydrateur et le torréfacteur – encore au stade de prototype – sont testés depuis le mois de mai dans le sud du Liban par la coopérative Hariss. La première machine, qui pourrait être commercialisée à 1 200 dollars, torréfie le blé vert. L’autre, qui serait vendue à 7 000 dollars, déshydrate la graine à haute température en quelques heures au lieu de la laisser sécher pendant plusieurs jours sur le bord d’une route. Les tests étant encourageants, le but est de vendre les machines la saison prochaine aux producteurs de blé sur tout le territoire libanais, en les incitant à se regrouper pour réaliser l’investissement.
La LIVCD espère que l’équipement des villages libanais sera suffisamment important et rapide pour que le Liban conserve son avantage technologique par rapport aux machines à torréfier qu’utilisent d’autres pays. « Notre nouvel outil sèche la graine avec un degré de précision inégalé », affirme Nasser Lama, directeur technique du projet. « Les droits des machines appartiennent à la start-up Mekatronico d’Ali Ammouri qui pourra la commercialiser et l’exporter après l’achèvement du projet en 2017. Pour l’instant, la commercialisation se fait dans le cadre de la LIVCD et nous espérons que cette technologie restera une spécificité libanaise ! »

À la conquête du marché local

Car l’objectif est d’abord de concurrencer les importateurs syriens et égyptiens qui dominent le marché et satisfont aujourd’hui l’essentiel de la forte demande de freekeh au Liban, estimée à 100 tonnes consommées par an. Par comparaison, la production locale atteint à peine les 20 tonnes, vendue entre 8 000 et 12 000 livres libanaises le kilo, explique Nasser Lama, contre 3 000 à 6 000 livres libanaises le kilo pour la céréale provenant d’Égypte ou de Syrie. « Nous souhaitons encourager la substitution aux importations grâce à des produits de meilleure qualité. »
La nouvelle cible : les classes moyennes et élevées du Liban. Initialement vendue dans les zones rurales, la freekeh commence en effet à intéresser une clientèle plus urbaine du fait de ses vertus pour la santé. Le but du projet est donc de mettre en contact les agriculteurs producteurs de freekeh, surtout dans le sud du pays, avec les distributeurs qui la vendent à travers le Liban. Des entreprises libanaises comme Mymouné ou Second House ont déjà manifesté leur intérêt pour un approvisionnement local, affirme Nasser Lama. Un petit distributeur de céréales de la Békaa confirme être prêt à payer 4 500 livres libanaises le kilogramme à la coopérative Hariss plutôt que d’importer la freekeh « de mauvaise qualité » de Syrie et d’Égypte pour 3 750 livres libanaises.

Vers l’exportation de la freekeh

La « standardisation de la production ouvre aussi la voie à plus long terme à l’exportation de la freekeh libanaise », déclare Georges Frenn, spécialiste de la croissance économique à l’Usaid-Liban et responsable du projet. Il pense d’abord s’attaquer au marché régional, sachant que la demande au Moyen-Orient est estimée à 500 tonnes de freekeh par an, selon Nasser Lama, pour l’instant comblée par la céréale syrienne, égyptienne et turque. « J’ai été surpris de l’intérêt des industriels qui veulent exporter à Dubaï, au Koweït et dans d’autres pays du Golfe », se félicite Nasser Lama. L’autre marché convoité est celui des États-Unis, qui est estimé à des centaines de millions de dollars. Après le boom du quinoa et du soja, la freekeh serait le nouvel aliment “tendance”. Forte en protéines et en fibres, la céréale attire pour son faible indice glycémique. Une nouvelle mode à laquelle la vingtaine de femmes de la coopérative Hariss veulent se préparer. Elles ont investi dans 4 000 m2 de terrain supplémentaires pour pouvoir planter davantage de blé la saison prochaine.

Un programme de développement rural

La Lebanon Industry Value Chain Development (LIVCD) est un programme doté d’un budget de 41,7 millions de dollars pour cinq ans, financé par l’Agence gouvernementale américaine d’aide au développement (Usaid). L’objectif est de « développer des produits artisanaux qui ont un potentiel sur le marché local et international », détaille Georges Frenn, spécialiste de la croissance économique à l’Usaid-Liban et responsable du projet. La LIVCD veut développer les initiatives agroalimentaires au Liban, en favorisant la production d’huile d’olive, de vignes, de fruits, du miel, ainsi que des aliments transformés et du tourisme rural. La logique sous-jacente est de contribuer à la stabilité socio-économique du monde rural en y créant de nouveaux emplois, en apportant des outils techniques et créant des liens entre les producteurs et le marché.