La marque libanaise de produits du terroir célèbre son 25e anniversaire par un tournant stratégique : elle se repositionne pour cibler davantage les consommateurs étrangers sur un créneau plus haut de gamme.

C’est la révolution chez Mymouné, la marque pionnière des produits du terroir libanais. Début juin, Amine Goraieb, son nouveau directeur général, a organisé sur le site de l’usine de Aïn al-Kabou une journée portes ouvertes pour célébrer les 25 bougies de la marque. L’occasion pour lui d’annoncer le repositionnement marketing de l’entreprise familiale, fondée par sa mère, Youmna Goraieb, et sa tante, Leila Maalouf. Ce fabricant local, qui emploie 25 salariés à temps plein, propose une trentaine de produits : confitures, sirops, vinaigres, conserves…
Depuis qu’il en a repris en partie les rênes, le nouveau directeur espère donner un sérieux coup de jeune à une marque qui bénéficie d’un fort capital de sympathie auprès des Libanais, mais s’avère quasi inconnue des consommateurs étrangers. Pour cela, Mymoumé entend quitter le réseau de la distribution ethnique, où il s’est fait connaître à l’étranger, pour mieux s’imposer dans le circuit des épiceries fines comme La Fayette Gourmet ou La Grande Épicerie du Bon Marché en France où la marque est déjà présente. Objectif ? Une croissance moyenne annuelle de 15 % sur les cinq prochaines années. « Nous allons faire un effort marketing pour être mieux visible dans les supermarchés libanais. Mais notre investissement va en priorité porter sur les marchés étrangers. L’international représente déjà les deux tiers de notre activité, Liban inclus. »
Le pari n’est pas si osé qu’il y paraît : « Dans un magasin oriental à Londres, Paris ou New York, notre bouteille d’eau de rose, par exemple, est en concurrence frontale avec des marques discount. Pour le Tunisien ou le Libanais qui vient y faire ses courses, Mymouné est perçue comme une marque chère, peut-être même la plus chère de la gamme proposée. A contrario, dans les épiceries fines, cette même eau de rose se retrouve, cette fois, en concurrence avec des marques de distributeurs ou des marques “gourmet” haut de gamme. Dans ce cas, Mymouné se positionne en milieu de gamme. Son message qualitatif est plus audible. »

Nouveaux marchés

Si la France et le Royaume-Uni représentent déjà 45 % du chiffre d’affaires de la société, le fabricant a de belles marges de manœuvres dans d’autres régions : Mymouné parie en particulier sur une meilleure pénétration du marché américain, où sa présence se limite pour l’heure à la côte est. « Si notre stratégie américaine réussit, nous pourrions doubler notre chiffre d’affaires », fait valoir Amine Goraieb, qui se refuse toutefois à communiquer des chiffres plus précis ou une feuille de route plus claire. Conscient des risques, il ne met pas tous ses œufs dans le même panier et espère mettre également un pied dans les pays du Golfe, à Hong Kong ou en Amérique latine. Pour se faire connaître aux États-Unis comme ailleurs, le fabricant intègre les grands rendez-vous internationaux de l’industrie agroalimentaire : il était ainsi présent sur un stand du Gulf Food qui se tenait à Dubaï il y a quelques mois, le plus important salon professionnel de la région. « C’est une vitrine indispensable pour démarcher une nouvelle clientèle. »
Mais pour toucher davantage les marchés internationaux, encore faut-il répondre aux normes en vigueur. D’où, par exemple, la mise en place du système HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point) dans l’atelier de fabrication de Aïn el-Kabou : cette procédure de contrôles, qu’on retrouve dans beaucoup d’ateliers de production agroalimentaires dans le monde, permet de limiter les risques sanitaires et de garantir le niveau d’hygiène requis pour ensuite exporter les produits transformés. Dans un autre registre, il lui faut aussi accorder davantage d’importance à l’image de marque de Mymouné et renforcer sa communication, en particulier sur les réseaux sociaux où la marque était inexistante. Après la transformation de l’identité visuelle (c’en est fini de l’emblématique toile de jute qui entourait les pots de confitures ou les bouchons des bouteilles de sirop, jugée vieillotte et trop “ethnique”), le fabricant s’attaque à ses outils de communication : un nouveau site Internet (en anglais) ainsi qu’une page Facebook ont été lancés.

Recapitalisation

Depuis longtemps, l’équipe dirigeante de Mymouné était consciente de l’importance de ces “grands chantiers” si elle voulait davantage se développer à l’export. Mais elle n’avait pas les moyens financiers de ses ambitions. C’est pourquoi le rôle d’Amine Goraieb a été déterminant. À l’époque, il y a deux ans, il venait juste de démissionner de son poste à la banque UBS à Hong Kong. « J’avais donné 17 ans à la banque. Je voulais changer de métier », explique le spécialiste des produits dérivés. Sa liberté retrouvée, il investit à titre privé dans des start-up asiatiques. « Je suis entré au premier tour de table de deux jeunes pousses, l’une australienne, l’autre chinoise. Je les suis toujours. » Mais Noël oblige, l’ex-banquier rentre à Beyrouth. « En discutant, avec ma famille, je me suis rendu compte que je tenais une pépite : Mymouné était une entreprise qui méritait que je m’implique. L’entreprise avait besoin de capitaux pour se développer. Je pouvais les lui apporter. »
Pour l’heure, les statuts légaux sont encore en cours de révision. Une injection de capital devrait être menée, mais Amine Goraieb ne souhaite préciser aucun détail financier, insistant toutefois sur le fait que le capital restera « exclusivement familial. »
La mutation de Mymouné lui a aussi permis de mobiliser des fonds (dont le montant n’est pas communiqué) de l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid) afin d’acheter de nouveaux équipements (chaîne d’embouteillage et d’étiquetage, alambic de distillation…).
Les premiers résultats de cette métamorphose en cours se retrouveront début juillet sur le marché, avec de premières créations spéciales (sous le label Mycreation) qui signaleront la montée en gamme de la marque avec en particulier une confiture de fraises et de pétales de rose, et une autre à base d’oranges amères et d’eau de fleurs d’oranger.

Une entreprise pionnière

Mymouné figure parmi les pionniers du créneau des produits du terroir libanais. « En créant cette marque, ma mère et sa sœur tentaient de répondre à la situation de crise qui touchait leur village de Aïn el-Kabou : en 1989, des villageois s’étaient retrouvés au chômage technique, l’usine où la plupart d’entre eux travaillaient ayant explosé. Youmna et Leila ont alors lancé Mymouné pour tenter de leur trouver un revenu alternatif. » Présente dans une centaine de points de vente au Liban, Mymouné collabore avec 17 fournisseurs réguliers : des agriculteurs de toutes les régions du Liban, qui assurent 98 % de leur approvisionnement en matières premières. Mais la marque démarre également une activité de production, sur les terrains détenus par la famille ou par des proches afin de mieux garantir la chaîne d’approvisionnement, en particulier sur des produits rares comme les roses de damas, la fleur d’oranger, les figues blanches, ou encore le sumac. « In fine, nos propres productions pourraient couvrir entre 20 et 50 % de nos besoins. »