Malgré le blocage politique sur le dossier libanais du gaz et du pétrole, plusieurs sociétés de services libanaises se positionnent sur ce nouveau secteur. Petroserv et Energy & Environment Holding (EEH) viennent de signer un contrat à Chypre pour évaluer le potentiel gazier et pétrolier terrestre de l’île, en partenariat avec la société américaine Neos GeoSolutions, détentrice de la technologie.

Petroserv est l’une des sociétés de services qui a été créée au Liban en 2012 pour accompagner la naissance d’un secteur pétrolier et gazier jugé prometteur. Près de quatre ans plus tard, le blocage institutionnel qui entrave le processus d’attribution des premières licences d’exploration offshore ne décourage pas ses trois actionnaires libanais, Samer Machalany, Gaby Hanna et Ziad Abs. En partenariat avec Energy and Environment Holding (EEH), le cabinet de conseil du Libanais Roudi Baroudi, Petroserv, qui représente la société américaine Neos GeoSolutions dans la région, vient de signer le 25 septembre 2015 un accord avec Chypre pour explorer le potentiel en hydrocarbures d’une zone de 9 000 km2 couvrant la quasi-totalité de la partie grecque de l’île et de sa mer territoriale.
Ce projet de 13 millions de dollars qui devrait démarrer au premier trimestre 2016 est semblable à celui qui a été réalisé au Liban pour huit millions de dollars sous l’appellation Cedars Oil. Il s’agit d’un contrat multiclients conclu – sans appel d’offres – entre l’État libanais et Neos, une société américaine qui s’est spécialisée dans la computation de cinq types de données collectées par balayage aérien (capteurs de gravité, détecteurs hyperspectraux, électromagnétiques, magnétiques et radiométriques) afin de déterminer si les structures identifiées contiennent des particules hydrauliques ou des hydrocarbures. Bill Gates est l’un de ses actionnaires. « Beaucoup de sociétés ont la capacité d’interpréter l’une ou l’autre de ces séries de données, mais rares sont celles qui ont développé l’outil informatique en mesure de les combiner pour affiner l’analyse géologique et renforcer ainsi les chances de succès des forages », explique Ziad Abs, PDG de Petroserv.

Mobiliser investisseurs et experts libanais

Si Neos apporte la compétence technique, Petroserv assure l’aspect opérationnel et le marketing du projet, ainsi que son financement. « Notre modèle économique repose sur la mobilisation d’investisseurs libanais et de l’expertise d’expatriés opérant dans le secteur pétrolier à travers le monde. Nous fonctionnons par projets, à travers des structures juridiques ad hoc (Special Purpose Vehicule – SPV) », explique Ziad Abs. La première entité a été conçue pour assurer les besoins du secteur dans sa première phase de développement, en fournissant des études géologiques et des services de conseil et/ou de management.
Baptisée Geo-Data Ward, elle a financé le projet Cedars Oil pour le compte de l’État libanais. Celui-ci prélève une part progressive sur les recettes de la vente des données aux compagnies intéressées, le reste est partagé entre Neos et la quinzaine d’investisseurs réunis par Petroserv, après remboursement de leur mise. « Nous avons besoin de six à sept ventes de données pour rentrer dans nos frais. » La phase d’analyse des données s’est terminée le 10 juin et a été l’occasion d’annoncer des indices prometteurs sur la présence de gisements dans la zone couverte de 6 000 km2. Une demi-douzaine de sociétés ont manifesté de l’intérêt, dont Total, Shell et Eni, mais aucune n’a encore conclu un achat. « Les compagnies estiment avoir déjà pas mal investi dans l’acquisition des données sismiques 2D et 3D qui couvrent 90 % de la zone économique spéciale au large du Liban. La frustration liée au blocage politique a émoussé leur intérêt, même si les opportunités d’exploration des gisements terrestres sont plus grandes : l’opération est beaucoup moins coûteuse et le cadre légal – certes un peu vieux puisque datant des années 1950 – est déjà en place, contrairement au secteur offshore. » Initialement fixée au 4 novembre 2013, l’adjudication de licences d’exploration offshore a été reportée sine die, deux décrets indispensables n’ayant toujours pas été adoptés par le Conseil des ministres. Il s’agit d’un décret définissant les coordonnées des blocs de concession dans la zone économique exclusive du Liban et d’un décret précisant les modalités du contrat devant lier l’État aux sociétés concessionnaires. Une loi sur la fiscalité du secteur pétrolier est aussi censée compléter le dispositif, mais n’a toujours pas été finalisée.

Deux partenaires libanais à Chypre

Si Petroserv a dû aller à la pêche aux investisseurs pour financer Cedars Oil – « ils doutaient même de notre capacité à collecter les données, puisque la phase opérationnelle se déroule dans le ciel libanais » ; pour son deuxième projet à Chypre, “plus stable”, Ziad Abs est plus confiant : « Ils viennent à nous ! » Le premier est le président du conseil de Neos, Jonathan Faiman, qui investit à titre personnel, de même que Roudi Baroudi, qui était déjà l’apporteur de fonds du projet Cedars Oil et dont la société EEH sert cette fois de structure de financement pour le projet chypriote. « Les déconvenues de Total ont accéléré l’appétit de Nicosie pour notre service qui contribue à réduire le risque lié à la phase d’exploration – particulièrement coûteuse dans les zones offshore », explique Ziad Abs. Le géant français qui a obtenu en 2013 les licences d’exploitation des blocs 10 et 11 a annoncé début 2015 avoir achevé les sondages géologiques, géochimiques et géophysiques, « sans avoir pu identifier de cibles de forage potentielles ». Ces conclusions négatives pourraient toutefois être revues à la lumière de la découverte récente par le géant italien de l’énergie Eni, au large de l’Égypte, du plus grand gisement identifié à ce jour dans l’est de la Méditerranée. Baptisé Zohr, il contiendrait 30 TCF (mille milliards de pieds cubes), soit presque le double de la plus grosse découverte précédente, au large d’Israël, dans le champ Leviathan, identifié en 2010. Zohr étant situé tout juste à la frontière du bloc 11 situé dans la zone économique chypriote. La possibilité que le gisement soit localisé des deux côtés de la frontière maritime n’est pas exclue.
Or Chypre – membre d’une Union européenne soucieuse depuis la crise ukrainienne de diversifier ses sources d’approvisionnement en gaz – a besoin de nouvelles découvertes pour satisfaire son ambition de devenir une plate-forme gazière régionale. Le volume de gaz identifié en 2011 par la compagnie américaine Noble dans le bloc 12 n’est pas suffisant pour justifier la construction de l’usine de gaz naturel liquéfié envisagée à Vassiliko, dans le sud de l’île. « Il faut un minimum de 12 TCF pour un tel projet, et Chypre n’en a découvert que 4,5 pour l’instant, dans le champ Aphrodite », précise Ziad Abs qui espère convaincre Total de recourir aux méthodes d’évaluation proposées par Neos « plus complètes que les études sismiques en deux et trois dimensions ».

Selon Neos, le bassin de Palmyre s’étend probablement au Liban
Les résultats détaillés du projet Cedars Oil réalisé par Neos GeoSolutions pour évaluer le potentiel du nord du Liban en hydrocarbures sont réservés à l’État libanais et aux sociétés qui les achèteront. Mais la société américaine les résume en affirmant qu’ils sont prometteurs. « Neos a fait une découverte importante : tout le monde croyait jusque-là que le bassin de Palmyre situé en Syrie s’arrêtait au niveau de la faille de Yammouné qui traverse verticalement le Liban. Il est désormais prouvé que cette faille est postérieure à la constitution du bassin », déclare Ziad Abs, PDG de Petroserv, la société qui a monté le financement du projet. Or, du côté syrien, plusieurs découvertes de condensat de gaz ont déjà été réalisées, établissant la présence d’hydrocarbures. « Il s’agit de l’une des formes les plus prisées de gaz, car il est déjà à l’état liquide et donc facile à extraire et à transporter. »
Les études sismiques en deux et trois dimensions réalisées dans la zone économique exclusive du Liban reflétaient déjà des résultats prometteurs « pas seulement en valeur absolue, mais aussi comparativement aux données sismiques chypriotes, égyptiennes et israéliennes. Les données de Neos renforcent cette appréciation, d’autant que la technique utilisée est particulièrement appropriée à l’identification du condensat de gaz, plus difficile avec le sismique classique. »