Un article du Dossier

Immobilier : c'est toujours le statu quo

Depuis 2011, le marché immobilier tourne au ralenti, et l’année 2014 n’a pas fait exception, malgré certains indicateurs du marché, qui pourraient laisser croire à un frémissement. Les tarifs ont baissé en moyenne jusqu’à 10 % ces deux dernières années, mais pas de manière assez significative, pour pouvoir débloquer les ventes. La situation politique et sécuritaire n’a pas non plus aidé. Cette phase d’accalmie pourrait profiter aux acheteurs, mieux à même de négocier. Sauf éclaircie politique, 2015 devrait se poursuivre sur la lancée de 2014.

Sans surprise, c’est le statu quo qui prévaut. Dans la continuité de l’année 2013, le marché immobilier a stagné en 2014. Les ventes immobilières ont certes augmenté de 2,2 %, alors que depuis 2010, elles reculaient chaque année, mais un tel indicateur – l’un des seuls à disposition pour évaluer le marché – ne signale pas nécessairement une reprise du secteur immobilier. Car dans le chiffre des ventes immobilières sont englobés pêle-mêle appartements neufs et anciens, transactions foncières ou même commerciales. Et les ventes immobilières sont comptabilisées au registre foncier au moment où les acheteurs reçoivent leur titre de propriété, et non lorsqu’ils effectuent leur transaction. Les ventes, qui ont été en partie effectuées au démarrage du projet, ne sont ainsi prises en compte que plusieurs années plus tard. L’indicateur des ventes immobilières est donc à prendre avec des pincettes.
Les promoteurs, eux, font toujours grise mine. « La valeur des biens vendus en 2014 a été la même qu’en 2013, soit 20 millions de dollars. Nous souhaitions atteindre l’objectif de 40 à 60 millions de dollars. Il faut maintenant huit ans pour écouler toutes les unités d’un gros projet résidentiel », estime Aboudi Farkouh, le directeur général de la CGI SAL (groupe Saradar), qui construit plusieurs immeubles à Achrafié ou sur la Corniche du Fleuve. « Les ventes dont le montant dépasse 450 000 dollars se sont clairement ralenties, et il devient difficile d’écouler des unités au-delà de 600 000 dollars dans la capitale », estime Shérif Aoun, directeur général de Mouin Aoun Construction, qui achève deux immeubles à Achrafié et propose des unités à partir de 280 000 dollars. « Tout le marché souffre, et pas uniquement les grandes superficies, contrairement à une idée largement répandue », insiste Guillaume Boudisseau, consultant immobilier chez Ramco Real State Advisers. « La plupart des promoteurs se mettent à construire des petites superficies, mais copier ce que fait le voisin n’offre pas la garantie du succès. Pour vendre aujourd’hui, il faut choisir la surface adaptée au bon emplacement, proposer de nouveaux concepts, soigner l’architecture et la décoration intérieure, et avoir recours à un marketing très ciblé », confie Philippe Tabet, directeur général de la société HAR Properties, qui bâtit trois projets à Achrafié et Jisr el-Wati. Certains promoteurs de la capitale, afin de se démarquer de la concurrence, proposent des « produits de crise », à savoir des studios, des appartements avec des configurations atypiques comme les lofts ou tentent d’exploiter le créneau des petites surfaces haut de gamme.

Jusqu’à 25 % de négociation pour les grandes superficies

La clientèle n’a pas disparu, mais prend le temps de comparer le nombre important de produits sur le marché, en espérant faire plier les promoteurs à l’usure. Rien ne pousse pour l’instant les acheteurs à se précipiter : la situation politique et sécuritaire reste toujours précaire, malgré la formation d’un gouvernement au début de l’année. Les incertitudes persistantes liées à la guerre en Syrie et le vide présidentiel pénalisent la confiance des acheteurs, notamment des expatriés, qui ne sont pas pressés de revenir s’installer au Liban, ou d’y investir. Les baisses de prix, en moyenne de 5 à 10 % depuis deux ans, n’ont pas été suffisantes pour donner un nouvel élan aux ventes. « Les acheteurs, résidents comme expatriés, digèrent toujours avec difficulté la hausse vertigineuse des prix des appartements neufs qui a eu lieu entre 2007 et 2010 », affirme Nassib Ghobril, directeur du département de recherche économique à la Byblos Bank. « Le coût moyen d’un appartement à Beyrouth est en moyenne d’un million de dollars, et il n’existe qu’un nombre limité de produits en dessous de 250 000 dollars », note Guillaume Boudisseau. La demande a été soutenue depuis 2013 par plusieurs plans de relance successifs, dont le plus récent prévoit une enveloppe d’un milliard de dollars pour 2015, permettant de prêter aux banques commerciales à un taux d’intérêt de 1 %. Mais là encore, le coup de pouce ne peut pas suffire à relancer la machine. Les crédits au logement ont d’ailleurs augmenté à un rythme un peu moins rapide en 2014, avec seulement une croissance de 14,4 %, contre 17 % en 2013. « Malgré un contexte difficile, les promoteurs maintiennent officiellement leurs tarifs et seule une minorité, qui est liée par des emprunts bancaires, est contrainte de brader ses biens. Mais la crise est encore récente et les perspectives pourront changer si elle se prolonge », explique Guillaume Boudisseau. « Les promoteurs disposent souvent de solides réseaux et près d’un tiers de leurs acheteurs sont souvent des connaissances ou des partenaires du projet, ce qui leur permet de tenir la distance », estime Mohammad Arayssi, partenaire au sein du bureau d’architectes Batimat. C’est surtout dans le segment des grandes superficies que les baisses les plus spectaculaires ont eu lieu, parfois jusqu’à 25 % du prix de vente. « Nous avons été forcés de diminuer nos tarifs de 15 à 18 % dans nos grandes unités pour pouvoir réaliser des ventes ces deux dernières années. Ce qui revient pratiquement à grignoter toute la marge de profit que nous avions prévue », témoigne ainsi Hassan Tajideen, directeur général du groupe Tajco, qui construit plusieurs immeubles de grande taille à Ramlet el-Baida, Jnah ou Bir Hassan. Les promoteurs ont recours à de nouvelles techniques de marketing pour baisser leurs tarifs tout en gardant la face : ils proposent par exemple des « offres spéciales » sur un certain nombre d’unités qu’ils ciblent à dessein, sans baisser officiellement la grille générale de leurs prix.

Baisse des coûts de construction

La baisse des coûts de construction, plus nette en 2014, avec la diminution du coût de certaines matières premières comme le fer, la chute des cours du pétrole (à leur plus bas niveau depuis 2010) et surtout la baisse de l’euro par rapport au dollar – qui a permis d’importer des marchandises européennes (céramique, marbre…) à moindre coût – pourra-t-elle se répercuter sur les prix de vente en 2015 ? Rien n’est moins sûr. « Depuis six mois, c’est la première fois en plusieurs années que les coûts de construction ont diminué. Mais cela ne signifie pas automatiquement que les prix de vente vont baisser, en particulier pour un projet qui débute, car les coûts de construction peuvent de nouveau fluctuer dans le sens inverse au cours des prochaines années », soutient Philippe Tabet. « Le promoteur fixe au début du projet un prix moyen de construction sur lequel il calque son prix de vente. La diminution des coûts de construction au fil du projet peut tout au plus permettre une plus grande marge de négociation », affirme Shérif Aoun.
Dans le calcul de leur prix de vente, les promoteurs prennent surtout en compte les prix du foncier, qui demeurent toujours élevés et rendent l’achat de futures parcelles plus difficile. « Il n’y a pas eu de baisse significative des prix du foncier. Les propriétaires de terrains pensent toujours qu’un acheteur sera prêt à acheter au prix fort, même s’il n’est pas justifié. Dans ce contexte, il s’avère plus risqué pour les promoteurs de lancer de nouveaux projets », estime Guillaume Boudisseau. « Un promoteur qui achète un terrain aujourd’hui ne peut espérer faire de profit et ne pourra revendre ses appartements qu’au prix de revient, sauf pour un marché de niche qui répond à la demande actuelle », estime Aboudi Farkouh. Malgré tout, l’indicateur des permis de construire a connu une légère hausse en 2014.
L’administration libanaise a octroyé l’année dernière des permis de construire pour une surface de 13 545 707 m², soit une hausse de 4,8 % par rapport à 2013. Encore une fois, il faut replacer ce chiffre dans son contexte : l’année de référence, 2013, avait vu une chute du nombre de permis de construire, et l’obtention d’un permis ne signifie pas que le promoteur va lancer à court terme un projet immobilier, dans la mesure où son permis reste valable pendant une période de huit ans. Certains promoteurs ont en outre choisi de s’orienter à l’avenir vers d’autres produits, qui ne sont pas résidentiels : des immeubles de bureaux ou qui mélangent bureaux et appartements. Un secteur qui a déjà connu un développement notable ces dernières années.



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