Un article du Dossier

Immobilier : le ralentissement

Après un regain des ventes immobilières fin 2009-début 2010, le marché semble reparti dans une phase de stagnation depuis cet été. Les causes sont diverses : prix trop élevés, inadaptation de l’offre à la demande, avec trop de grandes surfaces et pas assez de petites, risque de crise sécuritaire qui pèse sur la demande… Malgré tout, l’offre excédentaire devrait pouvoir être absorbée, bien que beaucoup plus lentement, sans que le Liban n’expérimente une crise due à l’explosion d’une bulle immobilière.
 

Depuis l’été, le marché immobilier est entré dans une phase de stagnation. Si les ventes immobilières ont augmenté de 25 % sur les neuf premiers mois de l’année 2010 par rapport à la même période en 2009, elles n’ont progressé que de 5 % en nombre sur le dernier trimestre 2010. On constate même une diminution de 0,6 % sur le seul mois de septembre, avec 7 214 ventes immobilières contre 7 257 effectuées le même mois de 2009. La montée des tensions politiques, à l’approche de la publication de l’acte d’accusation du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), explique en partie ce ralentissement, mais ne constitue pas le facteur prédominant, le pays étant globalement accoutumé à l’incertitude politique et sécuritaire. La stagnation pourrait se prolonger plusieurs mois, car il existe actuellement une inadaptation de l’offre à la demande sur le marché. Les nombreux projets lancés dans l’euphorie de 2007-2008 et qui seront livrés d’ici à 2011 ont été conçus essentiellement pour les besoins de la diaspora libanaise et des Arabes du Golfe, avec des surfaces dépassant les 300 m², pour des budgets s’échelonnant entre 500 000 dollars et plusieurs millions de dollars. « Les surfaces de plus de 250 m² constituent plus de 70 % des appartements proposés à la vente dans le Grand Beyrouth et, d’ici à deux ans, environ 3 000 unités de ce type seront encore livrées », affirme Nassib Ghobril, directeur du département de recherche économique à la Banque Byblos. Problème : les grandes surfaces ne trouvent plus aussi facilement preneur qu’auparavant, car la demande extérieure, qui a constitué jusqu’à 60 % des acheteurs entre 2006 et 2008, s’est tarie. « Les promoteurs se sont imaginé que les expatriés étaient tous des millionnaires ! » commente Nassib Ghobril.
Il est devenu difficile d’écouler aujourd’hui des appartements à plus d’un million de dollars, sans parler du très haut de gamme, qui souffre davantage encore. La plupart des expatriés ont déjà acheté leurs appartements au Liban ces dernières années avec les fortes liquidités dont ils disposaient et sont toujours affectés par la crise mondiale depuis 2009. Les prix de Beyrouth ont continué à grimper en 2009 et 2010, alors qu’à l’étranger, ils ont diminué, à cause de la récession : les bonnes affaires ne se trouvent donc plus nécessairement au Liban, comme il y a trois ans. Les Arabes du Golfe, eux, ont freiné leurs achats, en raison des risques de crise sécuritaire : leurs achats sont restés quasiment identiques en nombre sur les neuf premiers mois de 2010 par rapport à la même période en 2009.
La demande locale, elle, est en pleine croissance, mais recherche de plus petites superficies, insuffisantes sur le marché.

Demande locale pour les petites surfaces

« Environ 75 % des résidents cherchent des surfaces en dessous de 200 m² », explique Samer el-Hajjar, directeur général de HEC. Le pouvoir d’achat des résidents a considérablement augmenté depuis un an grâce à des taux d’intérêt très attractifs en livres libanaises, qui sont descendus en moyenne à 4-4,5 %, un niveau historiquement bas. Plusieurs circulaires publiées par la Banque centrale en juin 2009 ont en effet exempté les banques de réserves obligatoires en livres libanaises, à condition qu’elles octroient des taux de crédit avantageux, notamment dans le secteur de l’habitat. Couplés à l’inflation, les taux réels sont même devenus négatifs pour les acheteurs. « La forte augmentation des prix de l’immobilier au cours des trois dernières années a été contrebalancée par une baisse parallèle des coûts de financement », analyse Walid Raphaël, directeur général de la Banque libano-française.
La progression des crédits au logement est spectaculaire : +48 % entre juin 2009 et juin 2010, soutenant fortement les ventes immobilières au début de l’année 2010. Les banques peuvent désormais prêter jusqu’à 70 à 80 % du coût total d’un projet. En l’absence d’offre de petites surfaces dans la capitale, cette demande s’est majoritairement orientée vers les banlieues où sont proposés des appartements avec trois chambres à coucher, pour des prix démarrant à 1 300 dollars le m² (dans les régions plus populaires). Beyrouth n’a totalisé en 2010 que 7,2 % des ventes immobilières au Liban, le Mont-Liban arrivant nettement en tête, avec 51,2 % des ventes, selon les chiffres du cadastre. Les promoteurs semblent avoir compris, avec un temps de retard, que les besoins se transformaient : certains ont modifié leurs permis de construire en cours de route afin de diviser les superficies par deux. Selon l’ordre des ingénieurs de Beyrouth et de Tripoli, 85 % des nouveaux permis de construire prévoient des surfaces en dessous de 300 m², signe que le message a été entendu. « Les promoteurs doivent s’orienter vers des unités de 100 à 150 m². Le chiffre magique pour vendre rapidement sur le marché est 200 000 dollars », explique encore Élie Harb, de Coldwell Banker.

Stagnation des prix, risque de bulle limité

La reprise du marché dépendra aussi de la capacité des promoteurs à négocier leurs prix sur les grandes surfaces. Avec une offre d’appartements excédentaire, les clients disposent d’un choix plus large, prennent davantage le temps d’acheter, de comparer la qualité des produits, sans anticiper des hausses de prix comme en 2008. Ils espèrent même des réductions de 10 à 20 %, dans un contexte politique tendu. « On est passé d’un marché de vendeurs à un marché d’acheteurs », résume Massaad Farès, directeur de la Real Estate Association of Lebanon (REAL). Les acheteurs ont aussi besoin de « digérer » les hausses de prix de ces trois dernières années, qui ont atteint un pic au printemps 2010.
Les promoteurs ne semblent pourtant pas encore décidés à baisser leurs grilles de prix. Ils disposent en général d’une assise financière solide, qui leur permet de « résister », surtout lorsqu’ils ont effectué des préventes sur leurs projets. Ils justifient les prix élevés par une augmentation fulgurante du prix des terrains ces deux dernières années, qui ont parfois doublé, voire triplé, à Beyrouth ou dans ses proches banlieues. « L’incidence foncière est passée de 25 à 50 % entre 2007 et 2010, et les promoteurs ont besoin de cash pour acheter d’autres terrains et lancer de nouveaux projets », soutient le promoteur Krikor Dekermendjian. « À Beyrouth, je vends des unités entre 4 000 et 5 000 dollars le m², mais si je voulais acheter un autre bon terrain dans la capitale, je devrais vendre le mètre carré à 8 000 dollars », affirme le promoteur Karim Bassil, directeur général de BREI. « Trop de promoteurs amateurs font la propre estimation de leurs biens immobiliers et gonflent le prix des appartements de manière irrationnelle », dénonce pour sa part Amine Bazerji, directeur de l’agence immobilière Amine Bazerji Real Estate.
La présence de spéculateurs sur le marché libanais a directement influencé les prix à la hausse en 2007-2008, quand les marges de profit étaient potentiellement importantes, mais les prix ayant atteint désormais un certain plafond, ceux-ci sont moins nombreux, notamment pour l’achat d’appartements. Ils constitueraient aujourd’hui au grand maximum 15 à 20 % des acheteurs, et dans des secteurs bien précis (centre-ville et front de mer). La demande étant principalement constituée de clients dits “finaux”, le risque d’un scénario de bulle immobilière à la Dubaï, avec une chute brutale des prix, reste limité. « Les projets se vendront toujours, mais beaucoup plus lentement. La vente des grandes surfaces s’étalera simplement sur trois ans, au lieu d’une année », pronostique l’agent immobilier Joe Kanaan.

 

dans ce Dossier