Avec une superficie d’environ 17 000 m2, la place des Martyrs est la plus grande de Beyrouth. Elle est depuis 2005 le principal lieu de rassemblement et de contestations populaires, d’autant que son développement urbain et immobilier, au ralenti depuis une dizaine d’années, l’a transformée en no man’s land.
Détruite durant la guerre civile, la place des Martyrs reste un symbole fort de Beyrouth, pourtant depuis la réhabilitation du centre-ville, elle semble en marge du processus de reconstruction. Sur les seize parcelles qui l’entourent, seulement neuf sont bâties ou en construction.
Sahet el-Shouhada de 2015 est bien loin de celle de 1975, un lieu grouillant de monde, de commerces et point de passage des taxis et des bus de la capitale. Aujourd’hui, le site est devenu une destination problématique où les valeurs commerciales, résidentielles ou de bureaux sont en suspens.
Amorcée à partir de 1994, la reconstruction du centre-ville a permis l’émergence de nouveaux quartiers (Saifi Village, Wadi Abou Jmil, Minet el-Hosn, le front de mer devant Zaytuna Bay). À l’opposé, le secteur de la place des Martyrs semble à l’écart de cette dynamique. Voilà plus de 20 ans qu’une nouvelle ville se dessine au centre-ville et la place des Martyrs est toujours à moitié vide. Son développement urbain semble très lent. Des seize parcelles qui ceinturent la place, sept sont vides principalement le long de la façade est de la place. Certaines appartiennent à la société Solidere. Ce décor donne un sentiment d’abandon, un paradoxe pour un lieu chargé d’histoires. La place des Martyrs n’aurait-elle pas dû être le premier site à être réhabilité ?
Pourtant les projets ne manquent pas. La restructuration de la place a fait l’objet de nombreux programmes. Un concours d’architecture a même été lancé en 2004. Les résultats avaient été annoncés l’année suivante, le lauréat ayant été un cabinet grec. À ce jour, rien n’a été entrepris. Annoncé en 2006 par un groupe koweïtien, le projet Phoenician Village (au nord-est de la place) devait totaliser plus de 200 000 m2 de surface bâtie dont 118 000 m2 d’appartements, 40 500 m2 de bureaux, 30 000 m2 de commerces et 17 000 m2 d’hôtel. Depuis, le projet a été mis au placard.
Au final, la place des Martyrs est aujourd’hui un puzzle multifonctionnel inachevé. Le site compte l’hôtel Le Gray, deux immeubles de bureaux (al-Borj et le siège social UFA), un espace commercial (Virgin Megastore) qui occupe un ancien cinéma d’avant-guerre, la mosquée al-Amine, l’immeuble résidentiel Saifi Village II. Trois parcelles sont en construction (le projet Beirut Gardens, le mausolée Rafic Hariri et le musée de l’histoire de la ville de Beyrouth).
Parallèlement, sa structure commerciale se résume à une poignée d’enseignes telles que trois cafés-restaurants dont le fast-food Dunkin’ Donuts et une banque.
La transformation de la place en principal lieu de rassemblements et de manifestations ne contribue pas à valoriser ce secteur, même si ces derniers ne sont pas responsables de l’atonie du marché. Les transactions y sont très rares, voire inexistantes, que ce soit à la vente ou à la location. Toutefois un projet affiche des appartements à la vente à partir de 7 200 dollars le m2 et des boutiques de 13 000 à 19 000 dollars le m2. Quelles que soient les marges de négociation, ces tarifs semblent disproportionnés par rapport à la situation du marché immobilier actuel et surtout par rapport à l’image actuellement véhiculée par la place des Martyrs. Difficile de croire qu’il puisse y avoir aujourd’hui des personnes intéressées d’y vivre et d’y ouvrir un commerce.
Cette place aurait pourtant la possibilité de retrouver sa fonction touristique et d’accueillir des immeubles de bureaux. L’hôtel Le Gray est l’un des plus prestigieux de la ville et l’immeuble al-Borj a prouvé que la place des Martyrs pouvait devenir une adresse d’affaires avec des valeurs locatives de 300 à 350 dollars le m2 annuel, soit parmi les plus chères du centre-ville.
À moins que la place soit dévolue à des fonctions culturelles comme l’illustre la construction actuelle du musée de l’histoire de la ville de Beyrouth et le projet du musée des civilisations.