l’abri depuis juillet 1999 de toute concurrence étrangère, le ciment “made in Lebanon” est maître protégé de son domaine. Un domaine qui se rétrécit.

Le ciment commence à s’enliser dans le marasme à partir de 1996. Jusqu’en 1998, le volume des livraisons diminue annuellement de 4 %. Le crash survient une année plus tard. La masse de ciment, livrée sur le marché, passe de 3,5 millions de tonnes à 2,9 millions, soit une baisse de 16 %. Adieu les années de gloire (1993-1995) pendant lesquelles le marché local atteignait le chiffre record de 4 millions de tonnes.
À l’époque, les trois usines nationales n’ont pas encore eu le temps de s’agrandir pour combler la demande. Le prix de la tonne passe de 60 à 120 $. Pour assainir la situation, le gouvernement lance, en 1993, un appel à l’importation. Seament, société libanaise multinationale, remporte l’adjudication. Pompé à partir d’usines européennes et acheminé dans des silos flottants, le ciment est livré directement au port de Selaata. Le groupe Seament parvient ainsi à assurer, de 1993 à 1997, environ 12 % des besoins du marché local. Entre-temps, les cimenteries commencent à se restructurer, avec 400 millions de dollars de nouveaux investissements.

Les géants du secteur

C’est en 1998 que la Cimenterie nationale achève l’agrandissement de son usine à Chekka, partiellement financé par un prêt de 50 millions de dollars de la Banque mondiale. Cette rénovation coïncide malheureusement avec le début de la crise. Elle se tourne alors vers l’extérieur. Le klinker (matière première) superflu est vendu en Belgique, au Canada, en Italie, en Angleterre, en Espagne et au Cameroun. Classée deuxième en termes de production avec une part de marché de 35 %, les ventes de la Cimenterie nationale sont presque égales à celles de la Société des ciments libanais (SCL).
Fondée en 1929, la SCL est la première société à produire du ciment au Liban en 1931. Deux ans plus tard, une grande part de la société est achetée par des Suisses. SCL devient ainsi membre du groupe international Holderbank. De 1980 à 1988, sa part de marché varie entre 60 et 70 %. Elle est tombée aujourd’hui à 40. Ses livraisons locales connaissent leur apogée en 1995 avec 1,7 million de tonnes vendues sur le marché. Seule Sibline semble échapper à cette régression. Ses ventes connaissent une hausse de 150 000 tonnes en 1999. Quant à sa part de marché, elle passe de 11 à 18 %. Elle apparaît ainsi comme le principal bénéficiaire du gel de l’importation.
Dès les premiers symptômes de la crise, le groupe Seament va s’incliner devant la production locale. Sa part de marché passe de 12,7 % en 1997 à 7,5 % en 1998. Cette situation officieuse est officialisée le 25 août 1999. Un décret limite la part des importations de ciment à 7,5 % sur le marché libanais. «Cependant, explique Jacques Sehnaoui, directeur de Seament, des forces obscures ont empêché l’application de ce décret». Deux mois plus tard, le gouvernement gèle le décret. Le groupe ne tarde pas à réagir et décide de produire du ciment sur place. La production démarre timidement, en septembre 1999, dans les locaux de la Cimenterie du Moyen-Orient à Chekka. Créée en 1974, cette cimenterie ne produisait que le ciment blanc, matériau très cher, peu vendu au Liban. «Nous comptons y produire tout genre de ciment, mais les grandes cimenteries libanaises refusent de nous vendre du klinker. Ils préfèrent l’exporter à 22 $ la tonne que de nous le vendre à 40», confie M. Sehnaoui. La SCL argumente qu’elle n’a pas reçu de Seament une demande d’achat de klinker, mais ne confirme pas néanmoins sa capacité d’honorer une telle demande éventuelle.
D’aucuns pensent que les cimenteries nationales, voulant à tout prix protéger leurs investissements, sont désormais liées par un ciment invisible, face à “l’intrus”.