Toufic Tasso
Promotion 1983 : HEC – MBA
1977-1981 : Université de la Sorbonne Paris I, maîtrise en économie-gestion.
1983-1984 : Morgan Guaranty Beirut, general banking.
1985-1995 : Société générale (Paris, New York), direction des marchés de capitaux.
1995 : reprend la direction de Pigier-Liban.

En partenariat avec
L’association des anciens HEC compte une centaine de membres au Liban. Cadres supérieurs ou entrepreneurs, ils ont en commun leur refus de baisser les bras face à la crise. Cette série de portraits de managers est une manière de partager leur expérience, en présence d’un décideur économique ou politique.
Durant la cinquième édition, Toufic Tasso, ancien HEC, a présenté son parcours et les défis relevés. Le modérateur, Joe Saddi, partenaire de Strategy& (ex-Booz), a parlé de la gestion en temps de crise et de la nécessité de préserver ses forces distinctives pour mieux rebondir après.

Qui est le groupe Pigier ?
95 ans de présence au Liban
+ de 30 000 anciens élèves au Liban

Démarré en 1850 à Paris, Pigier International regroupe les écoles Pigier, Iscom, Esicad, MBWay et Tunon. Axé sur la formation supérieure professionnelle, le groupe s’est implanté en 1920 au Liban. En 1954, deux experts-comptables, Fargeallah Fayad et Joseph Tasso, reprennent la concession détenue jusque-là par des franchisés français. Au fil des années, le groupe Pigier Liban diversifie ses formations, s’allie à des partenaires universitaires et se régionalise en diffusant ses programmes de formation continue et en s’implantant en Irak du Nord et du Sud. Des projets d’implantation d’universités au Liban et en Afrique sont en phase avancée.

Ne jamais renoncer
À défaut de changer la mauvaise image du secteur de l’éducation technique ou d’influer sur la politique de l’État en la matière, Toufic Tasso décide de repositionner la stratégie de son groupe. Premier changement notable : il introduit des formations supérieures en réponse aux nouveaux besoins du monde professionnel (hôtellerie-tourisme, informatique, ressources humaines).
Deuxième modification : il développe la formation continue afin de répondre aux besoins des entreprises. Troisième étape enfin : élargir la reconnaissance des diplômes. Pour cela, Pigier Liban signe des partenariats avec de grandes universités, comme celles de Lyon (France) et du Québec (Canada), afin de permettre à ses étudiants de poursuivre des programmes de masters et des MBA reconnus dans le monde. L’école est même l’une des premières à se plier aux exigences internationales d’excellence académique. De fait, entre 1995 et 2000, Pigier s’en sort bien : le nombre d’inscrits est multiplié par 10 et les revenus par 25. Pour accompagner cette croissance, Pigier crée des antennes régionales, à Antélias, Saïda et Okaibé-Jbeil.

Se diversifier à l’étranger
Bloqué dans son pays, Pigier choisit l’étranger. « C’était notre seule issue. » Pour Tasso, c’est aussi le moyen de conserver les équipes qu’il a formées. Une nécessité, pour lui, qui voit dans le capital humain de son entreprise, ce qui fait sa force. « Sans nos équipes, quand “la crise” se terminera au Liban, nous ne serions pas en mesure de rebondir. » Pigier, via sa filiale off-shore, mène des projets d’abord en Arabie saoudite, puis en Irak, à Erbil, en 2006 où il fonde la Lebanese French University. Un investissement de 4 millions de dollars qu’il assume quasiment seul, tout en s’appuyant sur deux universités françaises pour l’enseignement et les diplômes. En 2013, Pigier se dégage en capital de ce projet, et garde la gestion des programmes internationaux. Ce premier investissement lui ouvre d’autres opportunités en Irak : avec l’Université du Sud (Irak), Pigier lance la Basra Academy for Training, destinée aux employés et cadres du secteur du pétrole et du gaz, l’un des employeurs de la région. Ce projet est mené en partenariat avec Techma EES, un groupe libano-qatarien basé à Dubaï, ainsi qu’avec l’appui de la société SPIE Oil & Gas, le groupe français de services à l’industrie pétrolière et gazière.

Apprendre à vivre avec une crise structurelle
En 1970, le Liban dénombrait quelque 46 000 étudiants dans l’enseignement supérieur. En 2013, ils étaient plus de 200 000. Avec pareille croissance, difficile de parler de crise. Pourtant, le système éducatif est bel et bien en déréliction. En particulier la formation technique. « Une crise ne signifie pas forcément une récession. Étymologiquement, c’est plutôt un temps pour faire des choix et savoir se remettre en cause face aux changements », explique Toufic Tasso, directeur général du groupe Pigier Liban. L’accès à l’éducation s’est certes démocratisé, porté notamment par la demande des familles soucieuses de trouver des débouchés à leurs enfants. Mais l’État n’a pas su superviser la massification de l’offre. « On a laissé l’éducation technique partir à vau-l’eau. La part des étudiants techniques dans l’enseignement supérieur, déjà faible, s’est effondrée, passant de 11 % en 1970 à 6 % à l’heure actuelle. Pour nos décideurs, l’enseignement pro est une “voie de garage” réservée aux cancres. Vous avez beau leur répéter que cet enseignement forme des ingénieurs de maîtrise, des informaticiens, des hôteliers… Ils n’en voient pas le réel intérêt. »

Pour s’en sortir, savoir se réinventer
Pigier a bien failli se faire rattraper par la crise. « Trop concentrés sur notre croissance, nous n’avons pas vu venir des décisions politiques, qui allaient mettre en péril l’enseignement technique. » En 1999-2000, l’État décide en effet d’ouvrir à la concurrence le marché des universités, jusque-là dominé essentiellement par les ordres religieux et l’Université libanaise. « Cela s’est fait de manière très clientéliste. » Le Liban se retrouve avec des dizaines d’universités en tout genre et de tous niveaux. Pour l’enseignement technique, à l’image déjà dévalorisée, cette concurrence équivaut à une condamnation à mort. D’autant que l’État interdit aux instituts techniques la délivrance de diplômes. « Nous considérant au mieux comme des structures d’apprentissage préparant aux examens officiels techniques, l’administration nous refuse le droit de délivrer des diplômes Bac + 3 et Bac + 5, le niveau de nos formations. » La plupart des établissements techniques ferment ou se concentrent sur l’enseignement technique secondaire. Pas Pigier, qui décide de se battre. « Nous avons demandé une autorisation de création d’un institut universitaire, mais le processus d’autorisation de nouveaux établissements universitaires était injustement appliqué et rapidement un gel injustifié en a été décidé. » Toufic Tasso réduit alors la voilure, ferme ses antennes et ajuste ses budgets.

Le défi africain
Aujourd’hui stabilisé, le groupe est devant un nouveau défi : la création de campus universitaires en Afrique anglophone. Pigier s’apprête à lancer une première université à Accra (Ghana) en septembre prochain. « Il faut compter entre 3 et 8 millions de dollars d’investissement pour chaque campus. Les universités d’Afrique, essentiellement publiques il y a encore peu de temps, ne répondent pas de façon adéquate aux besoins de leurs marchés. Les gouvernements africains sont conscients de leurs limites et demandent aux acteurs privés de les aider à développer de vraies formations professionnelles afin de mieux préparer les jeunes et les adultes au monde professionnel. » Cette fois Pigier se lance avec un groupe d’investisseurs libanais menés par Primecorp, société financière dirigée par Albert Letayf, un autre ancien d’HEC. Ensuite, cela devrait être l’Ouganda, à un horizon de deux ans. D’ici là, Toufic Tasso espère obtenir l’agrément du Conseil des ministres pour la création de l’institut universitaire du groupe Pigier au Liban. « L’attente aura été longue, mais le résultat justifié par la place historique et naturelle de notre groupe au Liban. »