Un article du Dossier

Le marché des motos : une croissance à deux chiffres

De plus en plus flagrant sur les routes du Liban, l’intérêt pour les motos reflète un marché en bonne santé. D’anciens concessionnaires automobiles s’adaptent à cette tendance, tandis que d’autres commerçants émergent.

Le marché libanais des motocycles et des scooters connaît depuis quelques années une forme d’effervescence, qui contraste avec celle des autres secteurs.
Quasiment absents des modes de transport jusqu’en 2010, les deux-roues s’imposent désormais comme l’une des alternatives au problème chronique de la circulation, ainsi qu’un nouveau créneau commercial juteux.
La croissance de ce segment, estimée à 20 % par an en moyenne depuis 2009, a propulsé les ventes totales à près de 1 300 motos l’an dernier contre quelques petites centaines il y a six ans.
« Les embouteillages sont le principal moteur de cette nouvelle tendance. Chaque année 75 000 nouvelles voitures arrivent sur le marché, toutes catégories confondues. Or notre infrastructure routière, malgré les projets d’élargissement, ne peut pas contenir autant de véhicules », souligne Ziad Richa, propriétaire de Bikers Pro, une société fondée en 2011 qui importe les motos italiennes MV Agusta.
Cet ancien directeur commercial qui a fait carrière chez un concessionnaire automobile s’est converti au business des motos après avoir flairé le filon. En 2014, il a réussi à écouler 30 motos et projette d’en vendre une quarantaine cette année.
« Les Libanais se tournent aussi vers les deux-roues, pour des raisons budgétaires : leur coût est moins élevé en termes d’essence, de coût de maintenance, d’assurance et de frais de mécanique », ajoute Anthony Boukather, directeur de A.N. Boukather. Exclusivement importateur automobile jusqu’en 2009 (Mazda), il a depuis diversifié sa gamme avec sept marques de motos et de scooters (dont Piaggio, Moto Guzzi, Vespa et KTM). Avec 600 unités écoulées l’an dernier, soit 40 % des ventes tous véhicules compris, A.N. Boukather a décidé de faire de ce nouveau créneau émergent son cheval de bataille, avec l’objectif d’atteindre 1 000 ventes en 2015. « Les motos et les scooters représentent désormais 50 % de notre budget publicitaire global. »
L’engouement pour les motos s’accompagne d’une évolution des mentalités, influencée par des stratégies marketing ciblées. « On ne perçoit plus les motards comme des voyous », souligne Emmanuel Antabi, dont la société importe les motos Suzuki depuis 1982. Selon lui, le récent développement de produits d’assurances et de prêts bancaires dédiés aux deux-roues pèse également dans la balance. La Blom Bank, CFC (Capital Finance Company), Commercial Insurance ou Zurich Insurance sont, parmi d’autres, sur les rangs. La Bank Audi a par exemple lancé le “Harley Loan” en partenariat avec le concessionnaire des motos Harley Davidson. Le PDG de ce dernier, Marwan Tarraf, souligne que le développement du marché local s’inscrit dans une tendance mondiale. « Pour la seule marque Harley, la compagnie mère produisait 25 000 unités par an au début des années 1990, contre désormais 250 000. » Au Liban, les ventes ont augmenté de 35 % en 2014, à 140 unités, tandis que 120 motos ont été vendues aux Forces de sécurité intérieure (FSI) et 200 motos en Irak et au Soudan.

Deux segments

Le marché des motos est tiré par la croissance de ses deux composantes : l’utilitaire et la moto de loisirs.
Les petits deux-roues utilitaires ont gagné du terrain dans les années 1990, avec l’émergence d’un grand nombre de commerces après la guerre et du système de livraison à domicile ou au bureau, explique Emmanuel Antabi, selon qui les sociétés restent les principaux acteurs de la demande. Mais leur part de marché est tombée à 75 %, contre 90 à 95 % avant 2008. Car les particuliers sont la nouvelle cible de clientèle. « Les jeunes s’intéressent de plus en plus aux scooters. Ils sont attirés par l’aspect utilitaire, mais cherchent aussi à adopter un mode de vie plus simple, plus économe et plus respectueux de l’environnement. Ils veulent suivre la tendance à l’étranger », souligne Makram Rasamny, directeur du développement commercial au sein de Rymco, dont les ventes ont bondi de 50 % en 2014.
L’effet de mode concerne tout particulièrement les amateurs de moteurs de plus de 500 cm3 et les fans d’excursions (bike rides), de plus en plus nombreuses, organisées en week-end à travers le pays. « Près de 90 % de mes clients appartiennent à cette dernière catégorie », indique Ziad Richa. Ses clients sont des entrepreneurs, de jeunes cadres ou des directeurs d’entreprise, âgés, pour la plupart, entre 35 et 45 ans.
« Il y a un esprit communautaire qui accompagne et dynamise cette nouvelle tendance », ajoute Makram Rasamny. Elle est entretenue par des clubs tels que R.O.K. (Rymco), ANB Motorcycle Club (A.N. Boukather) ou le chapitre libanais du groupe international H.O.G. (Harley Davidson), qui organisent des événements (balades off road, dîners, etc.) et offre des services gratuits aux nouveaux motards dans une logique de fidélisation de la clientèle. La moto de loisir est aussi l’occasion de développer un marché complémentaire : celui des cours sur circuit, facturés 40 à 50 dollars l’heure, mais surtout des équipements pour motos et motards. Vestes, gants, casques, bottes, bagagerie, kits bluetooth, etc., ce créneau représente une part non négligeable du chiffre d’affaires des sociétés, pouvant grimper jusqu’à 25 % du total, même si le développement de celui-ci reste tributaire d’une conjoncture économique libanaise relativement morose. Ce développement est aussi en butte à des obstacles spécifiques comme l’interdiction depuis décembre 2014 imposée par le ministère de l’Intérieur à la circulation des deux-roues après 18 heures (décision n° 2665 du 23/12/2014). Même si cette réglementation n’est que partiellement appliquée et vise essentiellement les faiseurs de trouble, elle représente un réel handicap pour l’évolution de la demande.

Un produit complémentaire

L’engouement pour les motos est en tout cas encore loin de les positionner comme des concurrentes pour les voitures. « Au Liban, la moto constitue un produit complémentaire à la voiture. Il ne s’agit pas encore d’un substitut, comme c’est le cas, par exemple, aux États-Unis, où le marché des deux-roues concurrence celui des quatre-quatre », souligne le directeur du développement commercial chez Rymco.
Selon lui, les mentalités et l’infrastructure doivent encore évoluer avant que le marché des motos ne devienne réellement autonome et indépendant de celui des voitures.
Pour les concessionnaires automobiles implantés depuis longtemps, cette complémentarité constitue en tout cas une aubaine, car elle permet de trouver des relais de croissance à un marché global en difficulté.
Quant aux nouveaux entrants, ils sont attirés par des niveaux de marges intéressantes. « Celles-ci sont plus importantes, en termes relatifs, que pour les quatre-quatre, qui dépassent rarement 10 % du prix de vente en raison de la forte concurrence qui caractérise le marché des voitures », précise Makram Rasamny. Une aubaine qui pourrait être très passagère. « Les marges s’égalisent, car la concurrence est désormais de plus en plus importante sur le marché des motos », témoigne Anthony Boukather.

Un marketing non conventionnel

Si les publicités pour les nouveaux modèles de voitures dominent le paysage urbain, les deux-roues sont rarement à l’affiche. Car les budgets alloués à ce segment restent faibles. « J’alloue 20 000 dollars en moyenne à la publicité, soit le prix d’une moto », sur trente vendues en 2014, témoigne Ziad Richa, concessionnaire de MV Agusta. « Nous opérons comme une start-up sur ce créneau. Le budget évolue au prorata des ventes et ne dépasse pas 2 % des dépenses publicitaires totales », ajoute Makram Rasamny, du concessionnaire Rymco.
« L’échelle n’est pas la même. » Et la stratégie marketing compte davantage sur des outils non conventionnels. « Nous travaillons davantage sur l’image de marque, les événements, le sponsoring, la personnalisation des rapports avec la clientèle, etc. », souligne Marwan Tarraf, PDG de Harley Davidson. Sa société a récemment investi 1,4 million de dollars dans un espace de 1 000 m2 qui sera bientôt inauguré sur l’axe maritime de Dora et offrira un accès exclusif à un café et un bar jouxtant la salle d’exposition. « Nous misons sur l’événementiel, les clubs, les cours et accessoires offerts, etc. », confirme Anthony Boukather (Vespa, Moto Guzzi, Piaggio, etc.). Sur le créneau des utilitaires, en revanche, le marketing passe par les annonces dans les journaux, les services aux compagnies de courriers rapides ou aux banques, dit-il.


Deuxième édition du Motorcycle Show

L’association des importateurs de motos, la Lama, organise du 13 au 17 mai la deuxième édition du Beirut Motorcycle Show, organisé en collaboration avec International Fairs & Promotions (IFP). En juin dernier, le salon avait réuni la majorité des agents au Biel sur un espace de 6 000 m2. « Ce salon a été une réussite », se félicite le président de la Lama, Marwan Tarraf.

dans ce Dossier