Businessman autodidacte, Karim Massoud est devenu l’une des figures incontournables du voyage en France. Aujourd’hui en quête de renouveau, il se lance dans l’hôtellerie.

Dans une rue jouxtant la Porte Maillot à Paris, un insigne “Dix Bis” indique un hôtel à la façade défraîchie et aux volets clos. À l’intérieur, Karim Massoud s’affaire dans la pénombre. Il se faufile, l’œil alerte et le corps sec, dans les escaliers en colimaçon qui n’en finissent pas de monter. « J’ai récupéré les clés hier », dit-il, pas peu fier. À mesure que nous pénétrons dans les chambres puis dans le club, une lumière rouge diffuse laisse apparaître les centaines de mètres carrés de moquettes, de tapisseries et de miroirs qui ornent du sol au plafond cet ancien temple de la luxure. Une odeur persistante de tabac froid s’échappe des murs, des pièces en franc jonchent le sol… il reste même les peignoirs des clients et les costumes à sequin des filles.
Cet hôtel si particulier, c’est le dernier investissement de Karim Massoud. La maison close de 800 m2 reconvertie en club échangiste VIP a tout de suite séduit le patron d’agences de voyages qui cherchait justement à acquérir un hôtel près des Champs-Élysées. L’investissement total est de 8,4 millions d’euros répartis entre 40 % de capitaux propres et 60 % de dette bancaire. 6,2 millions d’euros pour le bâtiment et 2,2 pour les travaux, débutés en juin 2015.

Premiers pas dans l’hôtellerie

À l’ouverture prévue en mai 2016, le Dix Bis laissera place à un boutique-hôtel 4 étoiles de 23 chambres dont deux suites, le tout remis au goût du jour par l’architecte de l’Hôtel Grey de Paris, Vincent Bastie. Situé à cinq minutes à pied du Palais des Congrès, des Champs-Élysées, du Périphérique, du Jardin d’Acclimatation et de la Fondation Louis Vuitton, l’hôtel est au cœur de Paris. Un atout qui permet à Karim Massoud d’espérer un taux de remplissage de 82 % (clientèle business la semaine / familiale le week-end) à un tarif moyen de 190 euros la nuit et donc un chiffre d’affaires prévisionnel de 1,35 million d’euros par an.
Si cet investissement dans l’hôtellerie est une première pour Karim Massoud qui vient d’avoir 50 ans, elle s’inscrit dans la continuité, souligne l’un de ses amis libanais venu le rejoindre après l’inspection du chantier. « Il construit un ensemble cohérent et solide entre ses agences de voyages et maintenant des hôtels. »
Une orientation stratégique que l’entrepreneur libanais justifie par un double argument. Malgré le renchérissement des actifs immobiliers hôteliers dans la capitale française, l’hôtellerie reste un marché porteur. « Un hôtel se remplira toujours à Paris, c’est la ville la plus visitée au monde ! » Sans compter que la rénovation et la création de boutiques-hôtels offrent un réel avantage comparatif dans un parc hôtelier parisien jugé vieillissant. Au total, Karim Massoud ambitionne de monter dans les sept à huit prochaines années un petit groupe de quatre hôtels à Paris et un à Beyrouth où il a déjà acheté un immeuble, rue Gouraud. Pour son premier établissement, il compte en partie sur la clientèle libanaise avec laquelle il a toujours souhaité maintenir un lien à travers l’agence MonLiban, créée en 2006.

« Six jours sur sept, douze heures par jour »

De son enfance au Liban où il est passé sans affinités par plusieurs établissements scolaires, Karim Massoud garde surtout le sens de la famille. Dès 1985, à 20 ans, il se rend en France sur les conseils de ses parents qui souhaitent l’éloigner de la guerre. Il entreprend alors un BTS tourisme sans beaucoup d’assiduité, commence comme stagiaire dans l’agence parisienne libanaise Litour en 1987 puis est embauché chez Go Voyage, qui sera rachetée deux ans plus tard par Air France, et enchaîne des contrats avec Air Grèce et finalement Forum Voyage.
La première guerre du Golfe de 1990-91 se traduit par une baisse du tourisme et un plan de licenciements chez Forum Voyage. « J’en ai profité pour négocier mon départ et lancer ma propre boîte », explique le voyagiste. Née en 1992, Charter Plus Voyage se spécialise dans la billetterie low-cost. Karim Massoud se souvient très bien de sa première agence : « 24 mètres carrés, rue Troyon dans le 17e arrondissement. J’y travaillais six jours sur sept, douze heures par jour. » Il fait venir ses deux sœurs du Liban pour l’aider.
Quand Karim Massoud parle, il économise ses mots, ne s’embarrasse pas d’explications ni d’introspections ; répond à des questions par un « je ne sais pas » laconique. Comme si les étapes de son parcours se sont emboîtées d’elles-mêmes. Mais au détour d’une phrase, il lui arrive tout de même de laisser échapper quelques éléments : son père propriétaire d’une agence de voyages à Beyrouth, sa famille libanaise qui investit avec lui sur tous ses gros coups, sa bande de copains rencontrés à Go Voyage, sa femme française et leurs enfants… On comprend entre les lignes que les liens familiaux et amicaux sont essentiels dans son histoire.

Le jackpot ou le flair

Le coup de bol – ou le flair – c’est en 1997 qu’il l’a pour la première fois, avec son ami Carlos Da Silva, un autre immigré, autodidacte du tourisme, rencontré chez Go Voyage. Il lui propose de racheter cette société à l’emblématique petite grenouille verte pour 700 000 francs (soit 140 000 euros). Karim Massoud a alors 27 ans. Il cède à la tentation. « C’était une marque qui marchait très bien mais qui avait été mise en sommeil par Air France. Carlos l’a relancée. Je suis resté actionnaire minoritaire. » D’abord spécialisée dans la vente de vols secs, Go Voyage comprend très vite les opportunités offertes par Internet en créant, dès 1999, son propre moteur de recherche pour devenir précurseur de la “marque blanche” au service des agences de voyages. L’entreprise devient vite la référence du voyage en ligne : son système informatique simple d’utilisation permet, en tapant une date et une destination, d’acheter un vol, un séjour ou une location partout dans le monde, 24h/24. Les deux compères clôturent leur première année d’activité avec un chiffre d’affaires de 125 millions de francs (environ 19 millions d’euros). En 2000, le groupe Accor entre à leur capital à hauteur de 38,5 %, puis 60 % en 2002 et 100 % en 2004. « Là ça a été le jackpot, admet Karim Massoud. Nous l’avons vendu 65 millions d’euros. »
Tandis qu’il est actionnaire de Go Voyage, Karim Massoud ne néglige pas sa propre agence : Charter Plus Voyages, rebaptisée Plus Voyages en 2004. Avec un chiffre d’affaires de 70 millions d’euros en 2008, la société se concentre sur trois secteurs : le voyage d’affaires, une agence dans le 8e arrondissement de Paris destinée aux CSP+ et surtout une activité de vente sur Internet via les marques Promovols (vols secs) et PromoSejours (vol + hôtel).

Quelque 22 clubs balnéaires pour 2016

En 2008, il s’associe à Olivier Kervella, alors directeur général de Look Voyages, pour fonder la holding NG Travel dont il est l’actionnaire principal avec sa famille à hauteur d’environ 40 %. Par le biais de Plus Voyages, ce nouveau groupe de l’e-tourisme rachète Directours, expert du voyage haut de gamme, ainsi que Boomerang Voyages spécialisée dans la vente de courts séjours aux agences de voyages. En 2014, NG Travel réalise un chiffre d’affaires de 190 millions d’euros et emploie 150 salariés.
Mais ce n’est pas tout. Toujours en équipe avec Olivier Kervella, Karim Massoud se lance sur le marché des clubs de vacances en rachetant en 2007 la marque balnéaire vieillissante Kappa Clubs pour 50 000 euros. En se basant sur l’expérience d’Olivier Kervella chez Lookéa, c’est depuis 2014 l’axe majeur de développement du groupe. Quelque 22 clubs sont prévus pour l’été 2016, contre cinq en 2013. Les destinations balnéaires vont du Mexique à la Thaïlande en passant par le Maroc, la Tunisie, la Grèce, St-Domingue, Zanzibar et l’île Maurice.

Karim Massoud : chronologie d’un voyagiste ambitieux

1965 : naissance au Liban.
1985 : arrivée en  France.
1992 : création de Charter Plus Voyages.
1997 : rachat de Go Voyage
à Air France pour 140 000 euros.
2004 : revente de Go Voyage
au groupe Accor pour 65 millions d’euros.
2008 : fondation de la holding NG Travel.
Chiffre d’affaires en 2014 : 190 millions d’euros.
2015 : achat de l’hôtel Dix Bis pour 6,2 millions d’euros (investissement total 8,4 millions d’euros).