Un article du Dossier

Placements : 2013, année erratique pour l’économie mondiale

Ayant réussi jusque-là à traverser la crise économique et financière mondiale sans trop de dégâts, la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (Mena) devrait voir son activité marquer le pas en 2013 : selon les estimations du FMI, la croissance annuelle de l’ensemble de la zone devrait être de 3,1 % (contre 4,8 % en 2012). L’incertitude liée à la situation géopolitique et la stagnation de la demande mondiale de brut figurent en tête de liste des causes invoquées de ce probable ralentissement. « Les perspectives à court et moyen terme restent tributaires de la situation politico-sécuritaire, essentiellement en Syrie. Or bien malin est celui qui saura prévoir l’issue et la durée de la crise syrienne », résume Ali Janoudi, CEO Mena à UBS. En outre, « à l’intérieur de cet ensemble il faut continuer à distinguer les pays exportateurs de pétrole des autres. Les premiers ont pour l’instant globalement bénéficié des retombées du printemps arabe, tandis que les pays importateurs, et en particulier ceux directement concernés par ce mouvement, continuent d’en souffrir », rappelle Nassib Ghobril, économiste à la banque Byblos. La baisse actuelle des prix du pétrole (le cours du Brent a perdu près de 11 dollars entre janvier et juin) contribue cependant à atténuer cet écart : la croissance des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) devrait fléchir, tandis que les pays importateurs pourraient connaître un net rebond après deux années particulièrement moroses.

La forte croissance du CCG ralentit

Après une année 2012 marquée par une solide expansion, les pays du CCG doivent faire face à une demande mondiale d’hydrocarbures en baisse qui se traduit par le ralentissement de leur production pétrolière et in fine un tassement de deux points, à 4 %, de leur croissance économique, selon les prévisions du FMI. Compte tenu de leur dépendance aux exportations pétrolières, la situation budgétaire de ces pays devrait également se dégrader même si, compte tenu des excédents préalablement accumulés, la préoccupation des observateurs à cet égard se situe plus à moyen long terme. En mai dernier, le FMI soulignait dans une mise à jour datant de mai de ses “Perspectives de l’économie régionale” qu’un certain nombre de membres du CCG « voient leur déficit budgétaire hors pétrole se creuser, ce qui les rend plus vulnérables à une baisse prolongée des prix (…). Dans la majorité des pays, le niveau de prix du pétrole assurant que les comptes budgétaires sont en équilibre pour un niveau donné de dépenses suit une tendance à la hausse ». Une contraction des dépenses budgétaires pourrait donc à terme être envisagée, ce qui n’est pas sans poser question dans des pays où elles servent aussi à catalyser les risques d’agitation sociale dans le contexte des printemps arabes… D’autant que le niveau élevé des dépenses publiques devrait contribuer à soutenir une croissance hors pétrole tonique, à environ 4,5 % en moyenne, selon le FMI.
Quelles conclusions en tirer en termes de placements ? Les avis sont partagés. Pour certains investisseurs, la région Mena et ses perspectives constituent une grande inconnue.
« Le problème majeur de cet ensemble reste l’opacité et le manque de régulation qui le caractérisent. Par exemple, si des troubles d’envergure affectent l’un des émirats du Golfe, qui garantira à l’investisseur que l’argent ne va pas s’envoler avec la famille régnante ? » s’interroge un analyste sous couvert d’anonymat. Dans ce contexte, ceux qui investissent dans la région conseillent d’être sélectif et de miser sur les zones les plus réputées.
Fort de ses immenses réserves en gaz naturel, les troisièmes de la planète, et de ses capacités d’exportations décuplées par sa liquéfaction, le Qatar suscite d’autant plus les convoitises qu’il a décroché l’organisation de la Coupe du monde de football en 2022 et en tire profit pour se lancer dans une modernisation accélérée de ses infrastructures. « C’est un exemple très intéressant de stratégie de développement basée sur une vision à long terme, comprenant une préparation de l’après-pétrole, que l’on n’avait pas l’habitude de voir dans cette région », s’enthousiasme Paul Douaihy, directeur du Centre de recherche sur l’économie et les marchés de capitaux de l’Université Balamand. Le net rebond du marché immobilier à Dubaï ne manque pas lui non plus d’intriguer les investisseurs. Mais le souvenir de l’effondrement qu’à connu le secteur à la suite de la crise financière de 2008 et le tarissement des flux financiers qui en a découlé invitent à la prudence. « L’immobilier résidentiel va mieux : prix et loyers sont en hausse et il y a un redémarrage des ventes sur plan. Des mesures visant à contenir la spéculation ont été prises par les autorités, mais leur efficacité apparaît limitée par le fait que la grande majorité des transactions sont réglées directement en espèces. L’immobilier de bureau, lui, souffre encore d’un excès d’offre. À l’avenir, davantage de régulation pourrait contenir la volatilité des prix, mais en attendant il faut privilégier l’emplacement, l’emplacement… et l’emplacement ! » suggère Christina Azouri, conseillère investissement au Crédit Agricole Suisse Liban.

Fragile reprise pour les pays importateurs

Les pays importateurs de pétrole – hors Syrie – devraient quant à eux connaître une légère reprise – projetée à 2,7 % de croissance par le FMI (contre 1,9 % en 2012) – mais demeurent fortement tributaires des incertitudes liées au devenir des printemps arabes et à la situation syrienne. La consommation devrait globalement se maintenir du fait de la bonne tenue des remises et de la hausse de la masse salariale, en particulier dans le secteur public. Cette faible reprise comporte toutefois un bémol majeur du fait qu’elle n’est pas pour l’instant accompagnée de création d’emplois dans des pays frappés pour la plupart par des niveaux très élevés de chômage, en particulier chez les femmes et les jeunes. Or, notent les analystes du FMI : « La persistance d’un chômage élevé risque de provoquer de nouvelles tensions sociales parmi des populations qui souhaitent vivement (…) une amélioration de leur situation sociale ainsi qu’un accès égal aux opportunités économiques. »
De quoi renforcer le climat d’incertitude qui pénalise déjà l’investissement, en particulier pour les pays encore en proie aux convulsions du printemps arabe. Un scepticisme conforté par le durcissement de la contrainte extérieure, via l’atonie de la croissance des pays avancés et les prix élevés des produits alimentaires et énergétiques. « Conjuguée à une situation politique qui demeure floue, cette mauvaise conjoncture internationale empêche une véritable reprise des exportations et du tourisme dans ces pays, et en particulier ceux d’Afrique du Nord. La situation en Egypte est préoccupante car elle doit de plus faire face à des difficultés croissantes dues à l’explosion de son déficit public alors que les revenus stagnent », précise Peter Yeates, directeur général de HSBC Liban. En résumé, deux ans après leur éclosion, les printemps arabes ne devraient toujours pas être suivis d’un été propice aux placements financiers : « Dans la situation actuelle, il vaut mieux privilégier l’attentisme. En l’absence de stabilité politique et sécuritaire, tout investissement dans ces pays aura un caractère spéculatif », tranche Ali Janoudi.



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