Quel rôle joue l’Icann dans le fonctionnement de l’Internet ?
La Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet (Icann en anglais) est une association privée à but non lucratif qui assure trois fonctions : l’allocation des adresses IP uniques, l’attribution des identificateurs de protocole qui correspondent à des tuyaux de communications entre les sites et la gestion du système de nom de domaine (DNS) de premier niveau. Il s’agit de missions vitales pour le bon fonctionnement de l’Internet : imaginons par exemple que cette base de données soit un jour compromise et que quelqu’un efface l’extension “.lb” de la racine mondiale des DNS qui se trouve dans nos serveurs… Instantanément, toutes les adresses libanaises ne seraient plus accessibles qu’à travers leur IP, que personne ne connaît ! Il y a également des enjeux commerciaux très forts liés à l’attribution des domaines de premiers niveaux génériques (gTLD) comme les extensions “.com”. Ces noms de domaine sont commercialisés sur un marché concurrentiel de plusieurs milliards de dollars, par des centaines de registraires accrédités par l’Icann qui nous reversent ensuite des royalties (variant entre 0,17 et 0,27 dollar par DNS) à l’Icann pour financer notre budget de 200 millions de dollars.

N’est-il pas problématique que l’Icann soit une entité de droit californien relevant du département du Commerce des États-Unis compte tenu de ces enjeux ?
Cette situation résulte de l’histoire de l’Internet qui est né comme un outil militaire aux États-Unis avant de s’étendre progressivement aux universités de ce pays. À partir des années 1970, la gestion de la racine des noms de domaine a été assurée par un universitaire, John Postel, avant que cette compétence soit transférée en 1998 à l’Icann, dans le cadre d’un contrat avec le gouvernement américain qui détient notamment un droit de regard sur le processus de gouvernance. Mais aujourd’hui, le contexte a changé et je n’ai cessé de militer pour que l’Icann prenne son indépendance à travers la création d’un modèle multipartite mêlant ONG, société civile, États et sociétés commerciales, sans droit de veto de Washington. Les États-Unis ont pris une décision historique en annonçant en mars dernier accepter de renoncer à leur pouvoir sur l’Icann selon des modalités qui restent à déterminer. Mais il y a actuellement une véritable ligne de fracture géopolitique au niveau mondial sur ces questions : schématiquement un certain nombre d’États, occidentaux en tête, sont partisans d’une évolution vers ce modèle multipartite, tandis qu’un groupe de pays menés par la Russie militent pour un transfert de ces compétences à une structure purement intergouvernementale telle que l’Union internationale des télécommunications. Cela va être le principal enjeu de la conférence de l’UIT à Busan en octobre prochain…

Vous êtes au Liban à l’occasion du lancement officiel d’une nouvelle plate-forme de gestion des noms de domaine libanais (voir ci-contre). Qu’est-ce qui va changer en la matière ?
C’est une initiative très importante, car le Liban sera le premier pays arabe à confier la gestion des noms de domaine à une organisation fonctionnant sur un modèle organisationnel multipartite baptisée Linc représentant l’ensemble des acteurs de l’Internet. Ce n’est que le début d’un long processus mais à terme, Linc pourrait s’imposer comme un organe consultatif éclairant le législateur ou les autorités de régulation sur l’ensemble des problématiques liées à l’Internet.