Ghada Gebara aime les missions périlleuses. Passée par Haïti et le Honduras, elle décide de quitter Bagdad et la tête de l’opérateur irakien Korek Telecom, au début de l’année, pour rompre avec la routine. « Quatre ans au même poste, c’est bien assez. J’ai apporté tout ce que je pouvais : notre part de marché a décollé de 5 à 22 % en trois ans », sourit-elle, dans son bureau d’Alger où elle a atterri en avril dernier avec l’appétit d’une débutante.
L’opérateur russe Vipelcom vient de lui confier les rênes de sa marque algérienne, Djezzy. Au moment où Ghada Gebara assume ses nouvelles fonctions, la société est au plus mal. Leader national, avec plus de 18 millions d’abonnés GSM, Djezzy traverse cependant depuis des années une crise, liée notamment à l’entrée de l’État algérien dans le capital, à hauteur de 51 %, en 2014. Pire, le groupe a complètement raté son passage à la 3G, comptant trois fois moins de clients que ses deux concurrents, l’entreprise étatique Mobilis et le qatarien Ooredoo.
Née à Kornet Chehwan il y a une quarantaine d’années, orpheline de père à 7 ans, Ghada Gebara n’en est pas à son premier défi. En 1989, l’année du bac, elle trouve les portes du lycée closes alors que la guerre civile tire à sa fin. Ghada Gebara s’occupe alors en participant à des œuvres caritatives, venant en aide aux victimes des affrontements. Lorsqu’elle se résigne à quitter le Liban, afin de poursuivre ses études et débarque en Bretagne en août 1990, elle n’a que 1 000 dollars en poche. « Depuis, je n’ai plus demandé d’argent à ma mère. J’ai enchaîné les petits boulots pour joindre les deux bouts », souligne celle qui se qualifie de “bourreau de travail”. Mais, ses ennuis pécuniaires ne durent pas longtemps. Alors qu’elle n’a pas encore terminé son master de génie en télécommunication à l’université Sophia Antipolis à Nice, France Télécom, l’ex-opérateur public, lui fait une offre. « À l’époque, les télécommunications étaient en plein boom. Les entreprises venaient nous recruter dans les écoles », se souvient-elle.
En 1996, elle retourne ainsi au Liban et intègre le département technique de la filiale de France Télécom, Cellis. Au bout de sept ans, durant lesquels elle gravit tous les échelons, Ghada Gebara s’envole pour Bagdad, où la seconde guerre du Golfe vient d’éclater. « J’avais le choix et j’ai préféré rejoindre Wataniya Iraq en tant que responsable du déploiement du réseau parce que c’était un challenge. Je voulais aussi prouver qu’une femme pouvait réussir dans n’importe quel environnement. »
“La miraculeuse”
Deux ans plus tard, Ghada Gebara est repérée par un chasseur de tête et pose ses valises à Haïti, l’un des pays les plus pauvres au monde. « Il cherchait un francophone qui oserait aller là-bas », relativise-t-elle aujourd’hui. Lorsqu’elle en devient CEO, Digicel n’est qu’une start-up avec un portefeuille clients dérisoire. L’essor est fulgurant : en trois mois, la PME rattrape et double la concurrence ; en cinq mois, Digicel compte plus d’un million d’abonnés. « C’est comme ça que j’ai gagné la réputation de “Ghada la miraculeuse” », sourit-elle.
Après un crochet par le Honduras, où elle sauve la filiale locale de la faillite, Ghada Gebara, qui a entre-temps été propulsée directrice générale de la région des Caraïbes, rentre à Haïti. Nous sommes le 12 janvier 2010, l’île vient d’être ravagée par un séisme d’une magnitude de 7,3. « J’ai vécu la guerre mais là c’était pire : la misère, la destruction… » Le siège de Digicel, qu’elle a fait construire trois mois plus tôt, tient encore debout. « Heureusement, car il y avait près de 700 personnes à l’intérieur pendant le tremblement. J’avais insisté pour que le bâtiment soit conforme aux normes antisismiques. On ne m’avait pas prise au sérieux l’île n’ayant pas été touchée par des secousses depuis 200 ans. » Digicel, seul opérateur téléphonique encore en service après le séisme, travaille alors de pair avec les autorités nationales et les ambassades pour secourir les milliers de victimes.
Comment la nouvelle CEO de Djezzy prévoit-elle de relancer le groupe, dont le chiffre d’affaires a chuté de 9 % au cours des six premiers mois de l’année ? « La clef, c’est la proximité. Nous allons adopter une stratégie régionalisée et ouvrir davantage de points de vente sur tout le territoire », confie-t-elle, assise sous le portrait du président Abdelaziz Bouteflika. Surtout, Ghada Gebara est chargée de moderniser la marque. « L’entreprise existe depuis 14 ans. Nous devons former nos collaborateurs aux nouveaux métiers des télécoms alors qu’ils sont pour la plupart là depuis le début », ajoute-t-elle. Et pour apporter un second souffle à la société, un plan de départs volontaires destiné aux cadres a été mis en place en août dernier.
Mais la nouvelle directrice générale de Djezzy ne pourra pas dépoussiérer le plus ancien opérateur mobile algérien sans une révolution des télécoms dans le pays. « Lorsqu’un client veut utiliser le réseau 3G, il doit se rendre dans une boutique pour souscrire à un nouveau contrat. Or, nous avons déjà les renseignements le concernant. Il faudrait au contraire trouver les moyens de simplifier et de digitaliser le contact client et la migration vers la 3G qui est d’ailleurs à l’avantage de l’économie du pays, puisque toutes les études ont prouvé que 10 % de pénétration Internet en plus entraîne une augmentation de 1 % du PIB et 10 000 emplois supplémentaires. » Et de conclure : « Les autorités en sont conscientes. Maintenant il faut qu’on accélère l’application. »
L’opérateur russe Vipelcom vient de lui confier les rênes de sa marque algérienne, Djezzy. Au moment où Ghada Gebara assume ses nouvelles fonctions, la société est au plus mal. Leader national, avec plus de 18 millions d’abonnés GSM, Djezzy traverse cependant depuis des années une crise, liée notamment à l’entrée de l’État algérien dans le capital, à hauteur de 51 %, en 2014. Pire, le groupe a complètement raté son passage à la 3G, comptant trois fois moins de clients que ses deux concurrents, l’entreprise étatique Mobilis et le qatarien Ooredoo.
Née à Kornet Chehwan il y a une quarantaine d’années, orpheline de père à 7 ans, Ghada Gebara n’en est pas à son premier défi. En 1989, l’année du bac, elle trouve les portes du lycée closes alors que la guerre civile tire à sa fin. Ghada Gebara s’occupe alors en participant à des œuvres caritatives, venant en aide aux victimes des affrontements. Lorsqu’elle se résigne à quitter le Liban, afin de poursuivre ses études et débarque en Bretagne en août 1990, elle n’a que 1 000 dollars en poche. « Depuis, je n’ai plus demandé d’argent à ma mère. J’ai enchaîné les petits boulots pour joindre les deux bouts », souligne celle qui se qualifie de “bourreau de travail”. Mais, ses ennuis pécuniaires ne durent pas longtemps. Alors qu’elle n’a pas encore terminé son master de génie en télécommunication à l’université Sophia Antipolis à Nice, France Télécom, l’ex-opérateur public, lui fait une offre. « À l’époque, les télécommunications étaient en plein boom. Les entreprises venaient nous recruter dans les écoles », se souvient-elle.
En 1996, elle retourne ainsi au Liban et intègre le département technique de la filiale de France Télécom, Cellis. Au bout de sept ans, durant lesquels elle gravit tous les échelons, Ghada Gebara s’envole pour Bagdad, où la seconde guerre du Golfe vient d’éclater. « J’avais le choix et j’ai préféré rejoindre Wataniya Iraq en tant que responsable du déploiement du réseau parce que c’était un challenge. Je voulais aussi prouver qu’une femme pouvait réussir dans n’importe quel environnement. »
“La miraculeuse”
Deux ans plus tard, Ghada Gebara est repérée par un chasseur de tête et pose ses valises à Haïti, l’un des pays les plus pauvres au monde. « Il cherchait un francophone qui oserait aller là-bas », relativise-t-elle aujourd’hui. Lorsqu’elle en devient CEO, Digicel n’est qu’une start-up avec un portefeuille clients dérisoire. L’essor est fulgurant : en trois mois, la PME rattrape et double la concurrence ; en cinq mois, Digicel compte plus d’un million d’abonnés. « C’est comme ça que j’ai gagné la réputation de “Ghada la miraculeuse” », sourit-elle.
Après un crochet par le Honduras, où elle sauve la filiale locale de la faillite, Ghada Gebara, qui a entre-temps été propulsée directrice générale de la région des Caraïbes, rentre à Haïti. Nous sommes le 12 janvier 2010, l’île vient d’être ravagée par un séisme d’une magnitude de 7,3. « J’ai vécu la guerre mais là c’était pire : la misère, la destruction… » Le siège de Digicel, qu’elle a fait construire trois mois plus tôt, tient encore debout. « Heureusement, car il y avait près de 700 personnes à l’intérieur pendant le tremblement. J’avais insisté pour que le bâtiment soit conforme aux normes antisismiques. On ne m’avait pas prise au sérieux l’île n’ayant pas été touchée par des secousses depuis 200 ans. » Digicel, seul opérateur téléphonique encore en service après le séisme, travaille alors de pair avec les autorités nationales et les ambassades pour secourir les milliers de victimes.
Comment la nouvelle CEO de Djezzy prévoit-elle de relancer le groupe, dont le chiffre d’affaires a chuté de 9 % au cours des six premiers mois de l’année ? « La clef, c’est la proximité. Nous allons adopter une stratégie régionalisée et ouvrir davantage de points de vente sur tout le territoire », confie-t-elle, assise sous le portrait du président Abdelaziz Bouteflika. Surtout, Ghada Gebara est chargée de moderniser la marque. « L’entreprise existe depuis 14 ans. Nous devons former nos collaborateurs aux nouveaux métiers des télécoms alors qu’ils sont pour la plupart là depuis le début », ajoute-t-elle. Et pour apporter un second souffle à la société, un plan de départs volontaires destiné aux cadres a été mis en place en août dernier.
Mais la nouvelle directrice générale de Djezzy ne pourra pas dépoussiérer le plus ancien opérateur mobile algérien sans une révolution des télécoms dans le pays. « Lorsqu’un client veut utiliser le réseau 3G, il doit se rendre dans une boutique pour souscrire à un nouveau contrat. Or, nous avons déjà les renseignements le concernant. Il faudrait au contraire trouver les moyens de simplifier et de digitaliser le contact client et la migration vers la 3G qui est d’ailleurs à l’avantage de l’économie du pays, puisque toutes les études ont prouvé que 10 % de pénétration Internet en plus entraîne une augmentation de 1 % du PIB et 10 000 emplois supplémentaires. » Et de conclure : « Les autorités en sont conscientes. Maintenant il faut qu’on accélère l’application. »
Dans le top 10 de Forbes En septembre, Ghada Gebara a été désignée neuvième femme arabe la plus influente du monde par le réputé magazine Forbes. Une distinction que la directrice générale libanaise du premier opérateur de téléphonie algérien ne vit pas comme une consécration. « C’est flatteur et en même temps frustrant parce que si je fais partie du top 10 c’est qu’on n’est pas nombreuses. Sans compter que dans le lot, huit femmes gèrent des entreprises familiales. » Ses dates 1996 – Diplômée de l’université française Sophia Antipolis à Nice (master de génie en télécommunications). 2003 – Responsable du déploiement de Wataniya Iraq. 2005 – CEO de Digicel à Haïti. 2008 – MBA de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). 2010 – CEO des territoires francophones et du Honduras de Digicel. 2011 – Retour à Bagdad. CEO de Korek Telecom. 2015 – CEO de Djezzy. S’installe à Alger. À propos de Djezzy Créé en juillet 2001, Djezzy est le premier opérateur de télécommunication privé d’Algérie. Après six ans de négociations et de tergiversations, l’État algérien, via le Fonds national d’investissement (FNI), en a pris le contrôle le 30 janvier dernier à travers la majorité du capital d’Orascom Telecom Algérie (OTA, qui opère sous la marque Djezzy). Les titres ont été cédés pour 2,643 milliards de dollars par VimpelCom, actionnaire d’OTA, via sa filiale Global Telecom Holding (GTH). Le géant russe de la téléphonie, qui détient encore 49 % d’OTA et en a conservé le contrôle managérial, est alors autorisé à rapatrier ses bénéfices, bloqués durant des années par les autorités algériennes. Les multiples rebondissements autour du rachat d’une partie du capital par l’État algérien ont retardé le lancement de la 3G. Elles n’ont été lancées par Djezzy qu’en juillet 2014, soit plus de six mois après ses concurrents, Mobilis et Ooredoo. La marque au triangle rouge ne couvre actuellement que 25 régions sur 48 alors que ses concurrentes sont déjà déployées sur presque 80 % du territoire algérien. Résultat, Djezzy compte aujourd’hui un peu plus de 1,2 million d’abonnés à la 3G (soit 14,7 % de part de marché), contre plus de 3,8 millions pour Mobilis (soit 44,8 % de part de marché), talonné par Ooredoo, avec 3,4 millions de clients 3G (soit 40,4 % de part de marché), d’après le dernier rapport de l’Agence de régulation des postes et des télécommunications (ARPT). Près d’un an après l’opération, Djezzy n’a toujours pas redressé la barre. L’entreprise, qui compte quelque 4 000 employés, reste certes le leader du marché algérien, avec plus de 18 millions d’abonnés GSM, selon l’ARPT. Mais, son chiffre d’affaires a encore reculé, à environ 580 millions de dollars fin juin 2015 contre près de 640 millions au premier semestre 2014, selon un communiqué de VimpelCom. |