Fondé par trois journalistes de renom, le pure player Daraj fait le pari d’une information de qualité, et indépendante, pour séduire la jeunesse arabe. 

Alia Ibrahim, Hazem al-Amin et Diana Moukalled
Alia Ibrahim, Hazem al-Amin et Diana Moukalled

Contrastant avec les difficultés rencontrées par de grands titres de la presse panarabe, comme le journal al-Hayat, le média en ligne Daraj affiche des résultats encourageants à l’approche de son premier anniversaire. Neuf mois après son lancement, en novembre dernier, ce pure player revendique 190 000 lecteurs par mois, pour environ 300 000 pages consultées, 105 000 followers sur Facebook et 2 600 fidèles sur YouTube.

«Ces chiffres sont très satisfaisants quand on sait que Daraj ne dépense presque rien en marketing. C’est la preuve qu’il y a une réelle demande pour ce que nous proposons», commente la PDG et cofondatrice du site, Alia Ibrahim. Cette journaliste, qui a écrit notamment pour le Daily Star à Beyrouth et le Washington Post avant de rejoindre la chaîne al-Arabiya, s’est lancée dans l’aventure avec deux autres professionnels de l’information : Hazem al-Amin, qui écrivait entre autres pour al-Hayat, et la journaliste et réalisatrice de documentaires Diana Moukalled.

L’équipe, qui s’appuie sur une rédaction composée de onze journalistes salariés au siège du journal à Beyrouth et d’un réseau de 85 pigistes, mise sur une production de contenus de qualité et d’informations indépendantes sur le monde arabe. Une mission affichée dès le lancement du site : Daraj avait été à l’époque le seul média de la région à collaborer avec le consortium international des journalistes d'investigation pour publier les “paradise papers”, une série de révélations sur les montages d’optimisation fiscale réalisés par des entreprises et des personnalités, arabes entre autres.

Sujets politiques, sociaux et "lifestyle"

Daraj privilégie les enquêtes, les analyses et les reportages sur des sujets politiques et sociaux, mais aussi des thématiques plus “lifestyle” – sport, santé, sexe, genre – sur lesquelles il n’hésite pas à aborder certains tabous.

Mais cette ligne éditoriale lui impose de renoncer aux circuits de financement classiques. «La plupart des journaux dans la région sont financés soit par l’Arabie saoudite, soit par l’Iran. L’ambition de Daraj est de fournir une “troisième version” en toute indépendance», résume Alia Ibrahim.

Le recours à des fonds d’investissement en capital-risque a également été écarté au départ, «trop agressif commercialement et pas en phase avec le contenu» d’un site d’informations totalement gratuit.

Pour se lancer, l’équipe a donc opté pour «un modèle de financement hybride qui repose en partie sur des dons et en partie sur la production de vidéos ou de documentaires pour le compte de parties tierces».

Plus de la moitié des 600.000 dollars nécessaires au développement de la plate-forme ont ainsi été générés grâce à cette activité, tandis que le reste a été réuni auprès de deux organisations internationales : l’European Endowment for Democracy (EED) et l’International Media Support (IMS).

Un budget annuel d'environ un million de dollars

Depuis le lancement, la production de documentaires se développe, la liste des donateurs s’allonge et la reprise du contenu de Daraj sur des plates-formes internationales comme Courrier International commence à rapporter de l’argent, selon Alia Ibrahim. Mais avec un budget annuel d’environ un million de dollars, le média devrait continuer à dépendre des donations pendant trois à cinq ans. « Nos partenaires sont conscients que nous allons nous appuyer sur eux au cours de cette période », ajoute-t-elle. Daraj espère développer d’ici là une audience qui lui permettra d’affuter ses arguments vis-à-vis des investisseurs potentiels.

«Différents indicateurs sur le monde arabe, comme le taux démographique, les pratiques numériques de la population, l’évolution du pouvoir d’achat et celle des budgets publicitaires, nous confortent dans notre conviction que la production de contenu de qualité en arabe est un choix d’avenir», défend Alia Ibrahim.

Le potentiel, en tout cas, est là. Le contenu en arabe ne représente actuellement que 1 % du contenu en ligne, alors que les internautes arabophones représentent 6 % du marché mondial. Daraj mise en particulier sur la nouvelle «génération numérique arabe». Près de 60% de ses lecteurs ont aujourd’hui moins de 35 ans.