Le Liban accueille 900 nouveaux réfugiés syriens par jour, dans un pays d’à peine plus de quatre millions d’habitants, avec une densité d’environ 433 habitants au kilomètre carré. En à peine trois ans, cela représente plus de 305 000 personnes sur le marché de l’emploi, une étude de l’Organisation internationale du travail (OIT) évaluant à 47 % le taux d’activité de ces réfugiés. Un afflux qui bouleverse ce marché et a un impact majeur sur la situation économique et sociale des résidents libanais.
La politique libanaise d’ouverture des frontières avec la Syrie pénalise aujourd’hui les travailleurs libanais, selon l’étude de l’OIT réalisée sur la base des chiffres de 927 638 réfugiés enregistrés auprès du HCR, l’agence de l’Onu pour les réfugiés, dont 436 000 se disent disposés à travailler.
Parmi les travailleurs syriens, 92 % n’ont pas de contrat de travail et 56 % exercent des emplois saisonniers, hebdomadaires ou journaliers, selon l’étude de l’OIT. Des emplois informels qui favorisent la précarité (faible rémunération, absence de Sécurité sociale, etc.) et permet aux employeurs de bénéficier d’une main-d’œuvre bon marché en dehors des contraintes légales. Le taux d’activité des réfugiés syriens (47 % et 19 % pour les femmes) dépasse celui des Libanais
(42 % et 21 % pour les femmes) et celui des réfugiés palestiniens (41 % et 15 % pour les femmes). C’est dans le Sud que ce taux est le plus élevé (61 %) et dans le Akkar qu’il est le plus faible (50 %).
Payés 40 % de moins en moyenne que les Libanais (418 000 livres libanaises par mois), les réfugiés leur font une concurrence directe dans les secteurs les plus faiblement rémunérés (les services, l’agriculture et le bâtiment) : le salaire minimum libanais est fixé à 675 000 livres libanaises.
Près de la moitié des réfugiés syriens sont établis dans le nord du Liban, la région la plus pauvre du pays puisqu’elle compte désormais 53 % de la population en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire vivant avec moins de 4 dollars par mois (42 % dans le Sud et 30 % dans la Békaa). De plus, 38 % de la population du Nord appartiendrait à la classe extrêmement pauvre vivant avec 2 dollars par jour. Près de 90 % des Libanais actifs de ces régions (Nord, Sud et Békaa) ont d’ailleurs confirmé la baisse de leurs revenus consécutive à l’arrivée des travailleurs syriens : à Baalbeck, le revenu moyen journalier aurait chuté de 30 % et de 50 % à Wadi Khaled.
Selon l’étude de l’OIT, certains réfugiés ouvrent des commerces dans la plus complète illégalité (importation de produits syriens, non-paiements de loyers, embauches informelles, etc.), ce qui engendre une concurrence déloyale et provoque la fermeture de commerces libanais.
Outre la concurrence à l’emploi, l’afflux des réfugiés syriens affecte aussi les conditions de vie des résidents libanais. L’arrivée massive de plus d’un million de personnes a largement accru la demande, provoquant un effet inflationniste sur certains biens et services. Le secteur de l’immobilier semble particulièrement touché, comme dans certains quartiers de Beyrouth où le loyer a augmenté de près de 400 %, selon l’OIT. De nombreux propriétaires ont divisé leurs biens en chambres afin de répondre à l’augmentation de la demande, et ainsi augmenter leur rentabilité. Plus inquiétant, le travail des enfants au Liban serait en augmentation depuis l’arrivée des réfugiés syriens. Près de 8 % des enfants réfugiés âgés de 10 à 14 ans travailleraient et 60 % n’iraient pas à l’école.

Un statut juridique flou
Le statut juridique des Syriens présents au Liban est loin d’être clair. Bien que Beyrouth a signé la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, il n’a pas signé la convention des Nations unies de 1951 relative au statut légal des réfugiés, ni le protocole de 1967 qui s’y réfère. Par conséquent, ce sont les lois relatives aux résidents étrangers qui servent de référence, sachant que le terme même de “réfugié” est officiellement rejeté, au profit de celui de “déplacé”. Certains responsables politiques considèrent en effet que le seul fait de parler de réfugié ouvrirait la porte à une réédition de l’expérience palestinienne.
Ces craintes n’ont pas empêché le Liban, depuis le début de la crise syrienne, de maintenir sa politique d’ouverture des frontières établie depuis 1993 avec la Syrie dans le cadre d’accords bilatéraux de coopération et de coordination économique et sociale. Ces accords garantissent aux deux peuples le droit d’établissement de travail, l’accès à l’emploi et la pratique d’une activité économique dans le pays d’accueil. Mais les Syriens ont, en théorie, le droit de travailler au Liban seulement pendant les six mois suivant leur arrivée dans le pays. Même lorsqu’ils sont déclarés par leurs employeurs, ces derniers n’ont pas accès à la totalité des services de la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) contrairement aux travailleurs résidents. De plus, en tant que non résidents, les Syriens sont normalement dans l’obligation de disposer d’un permis de travail. Ils ont également le droit de posséder des biens immobiliers, construits ou en construction, inférieurs à 3 000 m2, et ce sans autorisation préalable délivrée par le gouvernement. Dans la pratique cependant, le rapport de l’OIT précise que la mise en œuvre de ces lois et règlements applicables aux Syriens reste très confuse : « Malgré l’exigence de la loi, l’État libanais se montre clément envers les réfugiés qui n’ont pas régularisé leur situation de séjour, qui n’ont pas de permis de travail, ou encore ceux qui ouvrent un commerce sans autorisation préalable. »
Un laxisme qui s’explique surtout par la faible capacité des autorités libanaises à faire respecter certaines lois du travail et du commerce, même si, dans le discours, elles se montrent plus fermes depuis un certain temps. Sans modifier les facilités accordées aux ressortissants syriens, le ministère du Travail libanais a par exemple publié le 16 avril un communiqué mettant en garde contre le licenciement abusif d’employés libanais en vue de leur substituer des étrangers, dont des Syriens. Il précise réagir ainsi « à des plaintes présentées par des employés libanais, licenciés d’une façon soudaine, violant le code du travail ». Les investigations menées par le ministère confirment, dit-il, que « certaines sociétés embauchent de la main-d’œuvre étrangère, causant une vague de chômage au Liban ».