L’opération de “nettoyage” lancée par le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, dans les services fonciers devrait permettre à l’État d’augmenter ses recettes.

Plusieurs ministres ont créé la surprise ces dernières semaines en s’attaquant, de manière inopinée, à de vieux dossiers de corruption. Après le “scandale” de l’hygiène des aliments, dénoncé par le ministre de la Santé, Waël Bou Faour, celui des pots-de-vin versés aux fonctionnaires du registre foncier s’est imposé sur le devant de la scène.
Depuis décembre dernier, une soixantaine d’employés de la direction foncière au sein du ministère des Finances ont été déférés devant le parquet et divers organes d’inspection de l’État pour corruption et abus de pouvoir.
Coup médiatique ou volonté réelle de réforme, cette décision est la première dans l’histoire contemporaine de l’administration foncière. Elle intervient après une enquête menée dans huit branches des services fonciers qui a permis au Trésor, en outre, de récupérer près de 20 millions de dollars, soit environ 3 % des recettes foncières annuelles. Cette opération mains propres serait le résultat d’une volonté politique, catalysée par un ras-le-bol généralisé des contribuables. « Des plaintes écrites et orales affluaient au ministère.
Ce phénomène a pris une ampleur telle qu’il ne pouvait plus être ignoré », précise Georges Maarawi, directeur général par intérim de la direction des affaires foncières, dans un entretien avec Le Commerce du Levant.
Les fonctionnaires traduits en justice avaient recours depuis des années à des pratiques illicites dont notamment la sous-évaluation des biens-fonds à enregistrer, en contrepartie de pots-de-vin. « Cela s’accompagnait, en parallèle, de chantages, d’abus et d’une lenteur dans le traitement des transactions, dans l’optique d’engranger des gains supplémentaires », dénonce le directeur par intérim, qui occupe ce poste depuis février 2013.
De nombreux exemples concrets illustrent l’ampleur de la tricherie. « Pour un terrain de 1 000 m2, acquis à 1 000 dollars le m2, par exemple, le prix du mètre carré pouvait être évalué à 150 dollars. L’État n’encaissait ainsi que 7 500 dollars, alors que la recette du droit d’enregistrement de 5,66 % aurait dû être de plus de 50 000 dollars », explique-t-il.

Vols de propriétés publiques

La sous-évaluation portait également sur la valeur ou la surface des propriétés bâties, des biens-fonds hérités, ou encore des immeubles neufs, lors de leur division en plusieurs lots. « Il n’était pas surprenant de voir la superficie d’un immeuble chuter de 15 %, voire davantage, pour réduire les frais d’enregistrement de l’immeuble. Ces derniers varient entre 1 et 2 % de la valeur locative de l’immeuble, laquelle faisait également l’objet d’une sous-évaluation de l’impôt dû sur les propriétés bâties », précise Georges Maarawi.
D’autres exemples de corruption concernent le “vol” de propriétés publiques, par le biais d’un transfert frauduleux de bienx-fonds appartenant à l’État à des individus ou à des sociétés privées, avec la complicité de certains “moukhtars” et de topographes. Plusieurs opérations d’envergure auraient eu lieu, notamment durant la guerre de juillet 2006, mais les autorités attendent les résultats de l’enquête judiciaire pour en dévoiler certains détails.
Les infractions porteraient en outre sur l’appropriation illégale de biens-fonds par des topographes, d’où la décision du ministre de procéder à une enquête englobant l’ensemble des employés du département concerné, pour déterminer l’étendue de leur patrimoine foncier et les poursuivre le cas échéant sur la base de la loi sur l’enrichissement illicite.

Un manque à gagner difficile à estimer

Si ces pratiques illégales ont permis pendant des années à certains contribuables de faire des économies au détriment du fisc, l’ampleur de l’évasion fiscale qui en résulte reste difficile à estimer.
Début décembre, le ministre des Finances avait affirmé que les pertes pour l’État se chiffraient à « des milliards de dollars » sur plusieurs années, sans plus de précision.
Les recettes encaissées par les services fonciers s’élevaient à 904 milliards de livres en 2013 (600 millions de dollars) et 747 milliards sur les dix premiers mois de 2014 (près de 700 millions de dollars). Les droits d’enregistrement représentent 75 à 85 % de ce total qui comprend une quarantaine de types de taxes liées
aux transactions immobilières (construction, achat, location, succession, hypothèque, etc.).
En l’absence d’audit complet, l’évaluation exacte du manque à gagner pour l’État est rendue difficile par la diversité des pratiques frauduleuses (sous-évaluation de la surface et/ou des prix, etc.). En attendant, selon une estimation préliminaire du ministère, basée sur un échantillon restreint, les recettes liées aux taxes sur les biens bâtis devraient être supérieures de 10 % aux montants actuels et de 110 % pour les biens non bâtis. « Il s’agit néanmoins d’un scénario conservateur. Dans certains cas, notamment les terrains, où le décalage dans l’évaluation du prix s’élève jusqu’à 700 %, l’incidence sur les revenus de l’État est plus grande », précise Georges Maarawi.
Une soixantaine d’employés traduits en justice

Plus de 60 fonctionnaires ont été arrêtés à la topographie et au registre foncier, soit environ 13 % des effectifs des deux départements concernés qui emploient au total 508 personnes, dont 304 contractuels.
« Parmi les personnes traduites devant la justice, la moitié travaille à temps plein, tandis que les autres sont rémunérées à l’heure », précise Georges Maarawi, directeur général par intérim de la direction des Affaires foncières. En fonction des infractions commises, ils encourent un arrêt provisoire ou permanent de leur activité, ou des sanctions salariales. Dans des cas plus extrêmes, certains risquent de purger une peine de prison.
Le zoning, un outil anticorruption efficace ?

Parallèlement à la campagne visant à “nettoyer” les “cavernes” de l’administration du registre foncier, selon les propos mêmes du ministre des Finances, ce dernier veut relancer le projet de quadrillage du territoire libanais en zones distinctes. Lancé en 2007, mais resté lettre morte depuis, ce “zoning” vise à réduire les possibilités de fraude fiscale en attribuant à chaque zone une fourchette de prix spécifique. « L’objectif est de réduire les évaluations subjectives. Qu’il s’agisse du mètre carré bâti ou non bâti, chaque zone aura son prix, ce qui permettra aux acquéreurs de calculer à l’avance le montant des frais à verser à l’État et encourager le civisme fiscal », souligne Georges Maarawi, directeur général par intérim de la direction des Affaires foncières.