La mission originelle
Le FMI a été fondé en juillet 1944, lors de la Conférence monétaire et financière des Nations unies à Bretton Woods (New Hampshire) et ses statuts ont été officiellement ratifiés, en décembre 1945, par 29 pays.
Sa mission première, à une époque alors fortement marquée par la dépression des années 30, était de gérer le système monétaire international (SMI) de changes fixes. Ce système dit d’“étalon de change-or” posait la convertibilité à cours fixe du dollar US en or et une parité officielle fixe de chaque monnaie en dollar (avec une marge de fluctuation n’excédant pas 1 %). Chaque État devait défendre cette parité en préservant l’équilibre de sa balance des paiements (voir Le Commerce du Levant, n° 5566). En cas d’impossibilité, la monnaie devait être dévaluée ou réévaluée.
Dans ce cadre, le rôle du FMI est d’avancer à la Banque centrale qui chercherait à défendre sa monnaie en situation de crise “temporaire” de “liquidité”, un multiple de la quote-part du pays : 25 % automatiquement et jusqu’à 125 % après concertation et contre-garanties.
Le représentant britannique, John Maynard Keynes, envisageait un mécanisme plus contraignant, se rapprochant d’une banque centrale mondiale avec une sorte de monnaie internationale, mais les États-Unis l’ont refusé.
Près de 25 ans plus tard, le SMI s’effondre : en mars 1968, la convertibilité des devises en dollar pour acheter de l’or est suspendue et, en 1969, le FMI est amené à créer une nouvelle monnaie qui constitue son unité de compte, le DTS (droit de tirage spécial) dont la valeur, d’abord calée sur l’or, est calculée depuis la fin officielle du système de Bretton Woods, en 1973, sur la base d’un panier de cinq devises. Le DTS vaut aujourd’hui 1,58 dollar ou 1,08 euro.
Mais, depuis, les taux de change sont devenus flexibles et les fonctions du FMI ont perdu de leur clarté.

Le Fonds comme “régulateur”
des dettes des pays émergents
Avec l’accroissement considérable de la dette externe des pays du tiers-monde, à partir des années 70, et surtout avec le début des problèmes créés par cet endettement au début des années 80, le FMI s’est trouvé une nouvelle fonction : la régulation financière de la balance des paiements des pays du tiers-monde (baptisés pays émergents) et de leur dette.
Il intervient principalement en prêtant des fonds aux pays qui affrontent des “crises temporaires de financement” du déficit de leur balance des paiements, avec, en contrepartie, l’engagement de ces pays à appliquer des politiques fiscales et monétaires censées rétablir l’équilibre de leurs comptes extérieurs et de leurs comptes publics. On parle de “conditionnalités” des prêts du FMI, ou de “programmes d’ajustement structurel”.
Une seconde vague de mutation s’est produite au cours des années 90. Il y eut, d’une part, la chute des États socialistes d’Europe de l’Est et le passage quasi universel à l’économie de marché dans ces pays et dans de nombreux pays du tiers-monde qui s’inspiraient plus ou moins de leur modèle. Le FMI a développé son activité d’“assistance technique” à ce qu’on a appelé les “économies en transition” favorisant l’emprise d’approches ultralibérales, teintées d’idéologie, que l’on a appelées “consensus de Washington”, car elles ont prévalu aussi, pendant un certain temps, au sein de l’institution sœur, voisine et rivale, la Banque mondiale. Il y eut, d’autre part, la formidable libéralisation des marchés de capitaux qui a fait qu’une part croissante et bientôt dominante de la dette des pays émergents n’était plus détenue par les États et les banques, mais prenait la forme d’eurobonds ou de titres négociables avec, de plus en plus, des produits financiers dérivés attachés à ces titres. Cette évolution a bouleversé le cadre d’intervention du FMI qui se trouvait devoir “intermédier”, non plus entre l’État débiteur et un ensemble de prêteurs identifiés et stables avec qui des formules de restructuration pouvaient être envisagées et appliquées (cas de la crise mexicaine des années 80), mais entre un État et un marché aux contours diffus et aux comportements imprévisibles, renforçant qualitativement les risques d’instabilité. Le bouleversement du cadre d’action du FMI a été concomitant avec la vague de l’ultralibéralisme, ce qui éloignait considérablement l’institution des intentions de ses fondateurs et qui a alimenté des critiques féroces contre elle.
Enfin, la vague récente de hausse des prix du pétrole, l’augmentation des liquidités internationales et le dynamisme économique des pays asiatiques ont conduit, non seulement à un répit sur le front des crises financières internationales (après le cas argentin de 2001) mais aussi au remboursement anticipé des prêts du FMI qui ont chuté de 70 milliards de DTS en 2003 à moins de 30 milliards aujourd’hui avec la conséquence inattendue de révéler une faille supplémentaire dans le système : le FMI dont les recettes proviennent des intérêts de ses placements (résultat lointain de l’idée de Keynes d’une sorte de banque centrale mondiale), accuse des pertes et doit licencier du personnel. Par un paradoxe amusant, quand les finances internationales dont il doit s’occuper vont relativement bien, ses propres finances vont mal.

Les grandes interrogations autour du FMI
Le FMI est au centre de vives critiques et de grandes interrogations :

Quels intérêts défend-il ?
L’idéologie néolibérale et le rapport de forces que la libéralisation des marchés de capitaux a induits ont poussé le FMI à privilégier les intérêts des prêteurs au détriment de ceux des débiteurs et les programmes d’ajustement structurels sont devenus synonymes de politiques d’austérité et de privatisations privilégiant la maximisation des « excédents primaires » (voir Le Commerce du Levant, n° 5565). Le FMI, créé par les États pour pallier les insuffisances des marchés, se retrouvait parier entièrement sur les marchés face aux États.
La crise asiatique de 1997, la myopie du FMI à son égard et l’échec de son intervention ont alimenté des critiques acerbes à son égard. Joseph Stiglitz (1), prix Nobel d’économie, a ainsi écrit : « Quand neuf patients sur dix, soignés par un même médecin, meurent, il est clair que le médecin ne sait pas ce qu’il fait. »

Quel diagnostic sous-tend son action ?
La crise de 1997 a suscité un débat animé sur la capacité de discernement du FMI. Mis à part les cas de chocs naturels, les problèmes de balance des paiements peuvent relever de plusieurs séries de causes qui appellent des traitements différents. Or, le diagnostic est rarement simple à établir. Ainsi, il ne sert à rien de prôner l’accroissement de l’excédent primaire (plus d’impôts et moins de dépenses) et de l’excédent commercial (plus d’export et moins d’import) s’il s’agit non pas d’un problème de solvabilité (non-soutenabilité de la dette ou du compte courant), mais d’un problème de liquidité dû aux défaillances des marchés. Il faudrait plutôt faire le contraire.

Quel rôle effectif joue-t-il ?
Ces considérations ont de plus une dimension éthique, car les interventions du FMI ont souvent eu pour conséquence pratique de conforter les spéculateurs en utilisant les capitaux mis à la disposition des États contributeurs et en pressurisant les ressortissants du pays débiteur. On se retrouve dans un casino où les joueurs ne perdent pas.
Cette situation a poussé Ann Krueger, directrice générale adjointe du FMI de 2001 à 2006, à proposer un mécanisme de protection pour les “États en faillite”, au même titre qu’il existe des lois qui protègent les sociétés en faillite en empêchant les créanciers de surenchérir les uns sur les autres et en protégeant certains ayants droit prioritaires ou exposés (les employés par exemple). Les prêteurs individuels seraient alors contraints de se solidariser des solutions adoptées par une majorité qualifiée d’entre eux et, en contrepartie, certaines obligations domestiques vitales de l’État vis-à-vis de ses citoyens seraient protégées.

(1) Voir ses ouvrages : “La grande désillusion”, Fayard, 2002 et “Quand le capitalisme perd la tête”, Fayard, 2003.