Depuis 2013, près d’un milliard de dollars ont été alloués à des programmes de “cash assistance” au Liban. Une “révolution” dans le landerneau caritatif qui, jusqu’à présent, privilégiait l’aide matérielle et alimentaire à une aide financière directe.

Tout le monde se souvient de la fameuse photo de l’ancien ministre français Bernard Kouchner, un sac de riz sur l’épaule, demandant l’aide des Français pour lutter contre la famine en Somalie ? À l’époque, en 1992, presque 100 % de l’aide humanitaire était fournie en nature : les ONG distribuaient des sacs de riz bien sûr mais aussi des conserves, des bidons d’huile, voire des lits, des couvertures, des matériaux de construction… Aujourd’hui, une nouvelle tendance s’installe dans le landerneau caritatif : la “cash assistance”. L’aide humanitaire se matérialise cette fois en numéraire via des cartes prépayées, des bons à valeur faciale, voire, plus rarement, des deniers sonnants et trébuchants. Et le Liban est, crise des réfugiés syriens oblige, le premier pays à l’expérimenter à grande échelle. Depuis 2012-2013, date où a commencé ce type d’assistance au Liban, Beyrouth a bénéficié de près d’un milliard de dollars pour fournir une aide financière directe aux réfugiés syriens, selon les estimations du Commerce du Levant, à partir des données fournies par les trois principales organisations impliquées (voir tableau). Soit l’enveloppe la plus importante jamais allouée pour le développement de programme de ce type. Les fonds émanent principalement du Programme alimentaire mondial (PAM), du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) ou encore du Lebanon Cash Consortium (LCC), une plate-forme qui centralise les programmes de cash assistance pour le compte de six ONG, présentes au Liban. Mais des organismes comme l’Unicef ou l’Unwra, l’organisme chargé de venir en aide aux réfugiés palestiniens, en ont également mis en place afin d’aider des populations plus ciblées. La manne ne devrait d’ailleurs pas se tarir : le PAM a ainsi annoncé une rallonge d’un montant de 209 millions de dollars pour la fin de l’année. « En tout, quelque 200 000 réfugiés syriens présents au Liban devraient bénéficier de cette aide financière cette année », précise le directeur du PAM, Dominik Heinrich. Soit, si on suit les chiffres du HCR, qui estimait la population de réfugiés syriens à 1,1 million de personnes sur le territoire libanais en 2014 (dernier recensement publié), 18 % de ces réfugiés. Si le Liban est le pays où le système de cash assistance s’est le plus développé, il n’est cependant pas un cas isolé : outre des pionniers comme l’Irak ou certains pays africains, la Turquie débute à son tour une assistance de ce type. Fin septembre, l’Union européenne a débloqué 390 millions de dollars pour assurer la mise en œuvre d’un plan similaire pour le million de réfugiés syriens présents sur le sol turc.

Un système simple et facile

Le système est assez simple : les bénéficiaires reçoivent des cartes bancaires créditées d’un montant mensuel variable, en fonction des organismes qui les délivrent. Il peut s’agir de “cartes de retrait” comme celles délivrées par le HCR ou le LCC : dans ce cas, les cartes sont créditées de 175 dollars mensuels, un “forfait” que les ONG ont estimé être le complément nécessaire pour parvenir au  “panier des ménages minimum” (450 dollars), une fois prises en compte les différentes autres aides qu’ils peuvent recevoir ou les emplois au noir qu’ils trouvent éventuellement. Les bénéficiaires sont alors libres de retirer l’argent directement aux distributeurs automatiques de billets sans besoin de justifier leurs dépenses. Mais il peut aussi s’agir de carte de paiement à usage limité, comme dans le cas du PAM, qui restreint l’utilisation de ses cartes aux achats de denrées alimentaires auprès de quelque 450 magasins, partenaires de l’opération. À noter que les ONGs et les différentes institutions ont décidé d'utiliser une seule et même carte à partir du début de l'année 2017 afin d'une part de simplifier la vie des réfugiés et d'autre part d'alléger les procédures et les coûts pour les organisations responsables (les frais bancaires étant à leur charge). Sur cette nouvelle carte, les aides financières se cumuleront.

Avantages multiples

Si ces programmes de cash assistance se développent, c’est qu’ils présentent de multiples avantages lorsqu’il s’agit de « répondre aux besoins fondamentaux » de ces populations en matière « de nourriture, d’hébergement et d’éducation », ainsi que le résume la responsable d’une ONG, qui préfère rester anonyme. C’est surtout sur le plan pécuniaire que ces bénéfices se manifestent : dans un article du New York Times, Alan Moseley, directeur Liban de l’association International Rescue Committee (IRC), explique ainsi que « le cash est irremplaçable. Si nous devions fournir les abris, les matériaux de construction, les vêtements, ou la nourriture, ce serait bien plus coûteux pour nous et les réfugiés recevraient des choses dont ils n’ont pas nécessairement besoin ». Recourir au cash permet, selon l’IRC, une économie de l’ordre de 23 % des budgets habituels des ONG. « Ce qui permet d’allouer ces économies à aider davantage de personnes. » Mais ce n’est pas son seul aspect positif : faire bénéficier des réfugiés d’une carte de paiement les aide en plus à « recouvrer leur dignité perdue ». « Avoir la dignité de choisir dans quel domaine ils voudront en priorité dépenser l’argent est essentiel », estime Paul Donohoe, porte-parole de l’IRC, partenaire du LCC. Accessoirement, ces programmes présentent également un intérêt en matière de nutrition : différentes études montrent que les familles auxquelles on procure une aide financière plutôt que matérielle ont une alimentation plus variée.

Des bénéficiaires libanais

Certaines organisations ouvrent leurs programmes de cash assistance aux populations locales : le Programme alimentaire mondial (PAM) a ainsi choisi de ne pas limiter son aide financière aux seuls réfugiés. L’organisation vient aussi en aide aux Libanais dans le besoin, pour qui la crise syrienne a souvent été synonyme de “déclassement” social. Près de 54 000 Libanais devraient bénéficier de ce programme d’ici à la fin de l’année. Surtout, l’ensemble des associations pointent du doigt l’effet levier que ces programmes de “cash assistance” représentent pour l’économie locale : selon une étude interne de l’association International Rescue Committee, chaque dollar dépensé dans le cadre d’un programme de ce type génère 2,13 dollars de PIB libanais.