De passage à Beyrouth où il revient régulièrement seul ou en famille, Fady Michel Abouchalache a raconté au Commerce du Levant son parcours à la tête de Quilvest, un groupe qui gère 19 milliards d’actifs financiers à travers le monde, dont quatre milliards sur le segment du private equity qu’il a multiplié par 15 en 10 ans et un pôle de trois banques européennes en France, Suisse et au Luxembourg.

Fady Abouchalache faisait la une de Private Equity en novembre dernier. Le magazine français spécialiste du capital investissement distingue ainsi le CEO de Quilvest, un groupe qui fête ses 40 ans dans le private equity cette année. En couverture du mensuel, le Libanais de 44 ans se prénomme Michel au lieu de Fady… Une double identité avec laquelle ce grand financier n’a aucun mal à jongler. Tout comme il est à l’aise avec sa triple culture, libanaise, américaine et française, dans cet ordre ou en ordre différent, c’est égal. Chacune lui a appris quelque chose et contribué à un succès qu’on peut résumer en quelques chiffres : depuis qu’il dirige la branche private equity du groupe Quilvest depuis Paris, les montants sous gestion sont passés de 300 millions à quatre milliards de dollars aujourd’hui ; les rendements sont de 20 à 25 % nets par an sur les trois dernières années, alors que l’ensemble des marchés font plutôt pâle figure ; 90 % des fonds sont sursouscrits.
Au-delà de ces performances, c’est la créativité et la capacité d’innovation, entretenues par Fady Abouchalache, qui fait l’originalité de Quilvest dans le paysage relativement encombré du private equity.
« Beaucoup de gens pensent que c'est Henry Kravis, la star des finances des années 1980, qui a inventé l’industrie du private equity lorsque son fonds KKR a essayé d'acheter RJR Nabisco. En réalité, notre groupe était déjà présent sur cette classe d’actifs assez jeune dès 1972, tout comme il a été pionnier plus récemment sur le segment des hedge funds et des royalties. » Quilvest propose par exemple des fonds basés sur l’actualisation des flux futurs de revenus liés à la découverte par de grands laboratoires pharmaceutiques de molécules à l’efficacité prouvée. Les groupes “pharma” sont très preneurs de ce genre de montages qui leur fournissent le cash nécessaire au financement de leur recherche et développement.
Quilvest est le canal des investissements financiers des Bemberg, une famille franco-argentine qui a bâti un empire industriel à partir d’Amérique latine au début du XXe siècle, grâce à sa bière Quilmes. Né il y a 95 ans, Quilvest est aujourd’hui présent dans neuf pays et gère environ 19 milliards de dollars au total, dont quatre milliards pour Quilvest Private Equity (PE) répartis en quelque 70 participations directes, ainsi qu’un pôle de trois banques européennes en France, Suisse et au Luxembourg.

Première source de financement des entreprises

Relativement discret sur la scène médiatique, Quilvest PE a désormais le désir de communiquer davantage, notamment pour expliquer sa stratégie et afficher son ambition : « Nous voudrions devenir le Bain Capital des start-up et des PME », explique Fady Abouchalache qui a été senior manager dans cette plate-forme de soutien aux grandes entreprises où il a eu l’occasion de conseiller Ken Chenault, Jack Nasser, ou Geof Bible, respectivement CEO d'American Express, Ford et Philip Morris ; et de travailler aux côtés de Mitt Romney, aujourd’hui candidat à la présidentielle américaine.
« Le private equity ne représente pas plus de 1 à 2 % du PIB mondial, mais son importance est beaucoup plus grande que son volume : avec les banques, il est l’une des premières sources de financement des entreprises. Apple a démarré avec du private equity. »
Quilvest PE est présent sur tous les segments du private equity, aux quatre coins du monde, avec une prédilection certaine pour les small et mid cap dont le potentiel de rendement est jugé particulièrement intéressant par Fady Abouchalache. Le groupe va même jusqu’à investir dans la création pure et simple d’une entreprise. Quilvest PE est l’actionnaire majoritaire de BBB, la première chaîne de supermarchés hard discount du Mexique qu’il a cofondée en 2004. « À défaut d’avoir pu acheter il y a dix ans BIM, un concept de distribution turc inspiré du hard discounter allemand Aldi (fondée par les frères Aldrech, l’une des plus grandes fortunes du monde), j’ai souhaité dupliquer le concept et suis allé à la recherche d’un pays où il pouvait réussir. Aujourd’hui, la chaîne compte 300 magasins et elle en ouvre 150 par an. Nous avons injecté 26,7 millions de dollars d’investissements à ce jour, sur un total de 50 millions, et le chiffre d’affaires était de plus de 100 millions de dollars en 2011. »
Pour cette aventure mexicaine, Quilvest PE s’est associé à Anthony Hatoum, qui est d’autant plus convaincu du concept qu’il a travaillé chez BIM.
Ce n’est pas complètement un hasard si ce partenaire est libanais. Fady Abouchalache croit dur comme fer au potentiel “largement inexploité” du réseau des expatriés libanais. Dans son staff, le CEO compte d’ailleurs une trentaine de Libanais sur les 500 collaborateurs du groupe. « On sous-estime la profondeur et l'étendue de ce réseau. La génération des Libanais de la guerre est très nombreuse à travers le monde, à des postes importants. Je fais partie de ceux qui veulent travailler avec d’autres Libanais, car je valorise leur capacité à s’adapter, à aller partout. Et je suis persuadé qu’un jour, ce réseau se mettra au service du Liban d’une façon ou d’une autre. Il faudra des leaders de ce mouvement. »
Fady Michel Abouchalache n’est pas encore prêt à se consacrer à temps plein à une démarche philanthropique patriotique, mais il s’implique déjà dans certaines actions libanaises. « Je suis au conseil de mon ancienne école Louise Wegman, ainsi qu’au board d’Endeavour-Liban (NDLR : un réseau de conseil aux entrepreneurs). »
Comme beaucoup de Libanais, il a envisagé à la fin des années 1990 de s’établir à Beyrouth, après dix-huit années d’expatriation aux États-Unis. Mais sa volonté d’être le pionnier du private equity au Moyen-Orient à travers Delta Capital, en partenariat avec deux Libanais, a buté sur des conditions de marché qu’il a jugées insuffisamment porteuses.
« Le private equity est le métier le plus proche de la mentalité libanaise qui mélange finance et esprit d’entreprise. Mais le marché n’est pas prêt, ni au Liban ni dans l’ensemble du Moyen-Orient malgré les quelques success stories. Il faut de la stabilité, un environnement légal sûr. Il y a aussi le problème de la rareté des ressources humaines pour le management (il nous a fallu deux ans pour trouver un bon CEO) ainsi que le caractère familial des entreprises. Le marché turc commence tout juste à devenir intéressant pour le private equity. Quilvest vient d’y réaliser son premier investissement. Le reste du Moyen-Orient n’est pas mûr. »
Le CEO de Quilvest n’a toutefois pas à rougir de sa première expérience sur la région avec Delta Capital, loin de là. « Nous avons investi dans Orascom Telecom juste avant son entrée en Bourse, ainsi que dans Taanayel et Bonjus, ensuite revenus à des Koweïtiens. Le premier a été un deal de rêve, le second un bon deal et le troisième modeste. Le tout a assuré un rendement net supérieur à 100 %. »
Et Fady Abouchalache envisage à nouveau de placer une “brique” (un investissement direct dans le jargon du private equity) dans une société libanaise. Les négociations étant en cours, il n’a rien voulu en révéler.

 

 

Dates-clés


1964 – Naissance de Fady Michel Abouchalache

1988 – Fady est diplômé summa cum laude d’un BS de Wharton School, University of Pennsylvania.

1992-1993 – Fady est le seul étudiant à obtenir en même temps un MBA de la Harvard Business School et un MPA de la John F. Kennedy School of Government de Harvard.

1994 – Il épouse Leila Atallah
à New York. Le couple a trois enfants : Karim, Ramzi et Jad.

1993-1998 – Fady travaille successivement dans le groupe de fusions et acquisitions de Tucker Anthony à New York ; chez Booz Allen and Hamilton ; Procter & Gamble ; et Banque Paribas avant de devenir Senior Manager
au siège bostonien de Bain
and Company.

1999 – Il est l’un des trois cofondateurs
de Delta Capital, à Beyrouth.

2001 – Il entre chez Quilvest dont il devient ensuite le CEO et CEO de Quilvest Private Equity.