Le ministre du Travail, Boutros Harb, a proposé jeudi un projet de loi visant à interdire pour une durée de 15 ans « les ventes de biens immobiliers au Liban, bâtis et non bâtis, entre individus de confessions différentes n’appartenant pas à une même religion ». 
 
Ce projet concerne les personnes physiques et morales, ainsi que les compagnies immobilières dont les actions sont nominatives, et dont les actionnaires majoritaires ne pourront plus céder leurs parts à des investisseurs de religion différente. Le projet propose également d’interdire aux entreprises non immobilières d’acheter des biens immobiliers.
 
Le projet prévoit une peine de 5 à 10 ans de prison et une amende équivalente au double du prix du bien concerné, en cas d’infraction.
 
Dans le document remis au secrétariat du Conseil des ministres, Harb a expliqué la nécessité d’une telle loi par « des achats et des ventes quasi organisées par des individus, ou des compagnies détenues par des individus, issus d’une confession déterminée de terrains appartenant à des personnes de confession différente. Cela risque de nuire à la formule de coexistence basée sur la mixité géographique et culturelle, et d’encourager l’immigration des personnes appartenant à certaines confessions. »
 
Dans l’entourage du ministre, on explique que « des milliers de mètres carrés ont été récemment achetés par des membres d’une confession donnée ( NDLR : des chiites du Hezbollah) à des propriétaires d’une autre confession (NDLR : des chrétiens), grâce à des fonds étrangers, dans un but politique clair, d’où la nécessité de réagir ».
 
Le document soumis par Boutros Harb reconnaît que l’article 15 de la Constitution libanaise garantit le droit de propriété individuelle. « Mais ce droit n'est pas absolu et sans limites. Il peut être soumis à des contraintes dans l’intérêt national et dans des situations exceptionnelles », ajoute-t-il, en soulignant que certains pays avaient limité la liberté de disposer des biens immobiliers pour réduire l’impact d’une guerre ou pour renforcer la paix civile.
 
« On ne trouve une telle loi répressive dans aucun pays démocratique », conteste le juge et ancien membre du Conseil constitutionnel libanais, Sélim Jreissati, interrogé par Le Commerce du Levant. 
 
Selon lui, le droit à la  propriété est intrinsèquement lié à la citoyenneté et non à l’appartenance religieuse. « Je peux comprendre qu’on impose des limites à l’acquisition de biens immobiliers par des étrangers, mais pas par des Libanais, quand même ! Cette loi serait contraire aux principes de la Constitution libanaise, dont se prévaut d’ailleurs le ministre lui-même dans les motifs de son projet de loi », affirme-t-il.
 
Dans le document remis au Conseil des ministres, le ministre Boutros Harb cite en effet le préambule de la Constitution selon lequel un Libanais a le droit de résider sur n’importe quelle partie du territoire, et qu’il ne peut y avoir de « ségrégation de la population sur la base d’une appartenance quelconque ». Mais il ajoute : « les ventes immobilières qui ont lieu actuellement nécessitent l’intervention rapide du législateur pour préserver la formule de coexistence et d’unité nationale, et empêcher la ségrégation confessionnelle, géographique, sociale, politique et économique ».
 
Pour Sélim Jreissati, « s’il y a vraiment des appropriations massives à caractère purement confessionnel et politique, on peut envisager des mesures administratives de dissuasion, notamment au niveau des municipalités, sans tomber toutefois dans l’arbitraire. On peut s’assurer de l’usage que les acheteurs font des terrains par exemple ou enquêter sur l’origine des fonds utilisés, mais on ne peut pas légiférer… sauf si on veut changer la Constitution », a-t-il conclu.