« Les jarres de Beit Chébab c'est une histoire de génération ». Dans la famille Fakhouri, dont le patronyme signifie en arabe potier, la poterie est un art qui se transmet de père en fils. Mais aujourd’hui, Fawzi Fakhouri, veut prendre sa retraite. À plus de soixante ans, la pénibilité de ses douze heures de travail quotidien lui pèse. Ses trois filles ne le remplaceront pas. Elles ont choisi de suivre d’autres voies professionnelles. À défaut d’autres héritiers, Fawzi Fakhouri espère qu’un repreneur sera intéressé. « Je suis prêt à le prendre en apprentissage, le temps qu’il se forme et à lui laisser ma clientèle. » Mais pour l'heure, il est le dernier témoin d'un artisanat en voie de disparition.
Personne en effet ne semble vouloir s’installer devant le tour pour façonner, selon une technique vieille de plus de 2000 ans, les jarres dont on se sert pour conserver la labné, entreposer l’huile d’olive ou préserver l’arak. « Auparavant, une dizaine d’ateliers tournaient à plein régime rien qu’à Beit Chébab. Mais les vieux sont morts et les jeunes ne veulent pas prendre la relève. ».
Aujourd'hui, Fawzi Fakhouri entame la cuisson des poteries façonnées à la main les semaines précédentes dans son atelier de Beit Chébab : des jarres, certaines immenses, sont placées dans le four, où elles vont rester toute une semaine. « Cette méthode de cuisson a fait la réputation de notre production », souligne Fawzi Fakhouri. A l'en croire, ce serait dans des jarres de Beit Chébab que Jésus aurait changé l'eau en vin lors du miracle des noces de Cana !
Comme beaucoup d’artisanat, les poteries de Beit Chébab ont connu la crise dans les années 70. La plupart des potiers ont fermé, incapables de faire face à la concurrence des produits « Made in China » et aux changements de mode de conservation, la terre cuite étant remplacée par le plastique. « Je suis le dernier potier du Liban à produire encore pour les grandes industries. »  Les quelques autres potiers survivants du Liban, comme ceux de Bearzeleh dans le nord destinent leur production aux particuliers. 
Pourtant, cet artisanat connaît une forme de renouveau, liée à l’émergence – ou la réémergence - d’une production locale de qualité. C’est notamment le cas pour les fabricants d’Arak traditionnel comme  Massaya. Ce domaine de la Békaa (Taanayel) fait en effet vieillir son arak huit mois dans les jarres de terre cuite. Lorsque l’entreprise Massaya a commencé sa production, il n’existait plus de potier traditionnel au Liban. Tous les ateliers avaient fermé et leur savoir-faire avait quasi disparu. « En 1993, lorsque nous nous sommes lancés à Massaya, nous avons commandé plus de 500 jarres. Fawzi qui travaillait en Afrique, est alors rentré pour aider son père à honorer pareille commande », explique Ramzi Ghosn. Cet achat a permis au potier de rouvrir son atelier et de relancer son activité. Depuis, Massaya passe des commandes régulièrement. Massaya n’est pas la seule entreprise à avoir besoin de ces jarres traditionnelles. Ksara, fait aussi appel à l’atelier de Fawzi Fakhouri pour la fabrication des amphores dans lesquelles son arak vieillit. Des fabriques de labné, ou des marques d’huile d’olive, lui achètent aussi une cinquantaine à une centaine de pièces en une seule commande.
Le prix de chaque poterie est fonction de sa taille: il se situe en moyenne entre 10 000 et 500 000 livres libanaises la pièce, soit entre 7 et 330 dollars. « Je réalise à la demande », précise Fawzi. D'après Ramzi Ghosn, co-propriétaire avec son frère Sami de Massaya, « si l’on développait l'aspect marketing et commercial, l'activité de potier serait plus que rentable. Aujourd'hui, nombreuses sont les entreprises que des artisans potiers pourraient démarcher ». Pour l’heure,  l'importance des commandes reste encore aléatoire et incertaine, « il y a des années où je ne vends presque rien », déplore Fawzi Fakhouri. C’est d’ailleurs pourquoi le potier a tenté de se tourner vers l’Etat « afin de lutter contre la disparition de mon art ». En vain, jusqu’à présent..