Un article du Dossier

Chiffres-clés 2012 : l’économie à l’heure syrienne

L’économie libanaise a continué de ralentir en 2012, entrant même en récession au dernier semestre (deux trimestres consécutifs de recul de la croissance). Sur l’ensemble de l’année, la croissance s’est établie à 2 % du PIB selon les estimations gouvernementales, plus optimistes que celles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale qui l’évaluent pour leur part aux alentours d’un point et demi de PIB. Une estimation confirmée par l’indicateur synthétique moyen de la Banque du Liban, seul indicateur composite de l’activité économique publié mensuellement : il a baissé pour la première fois depuis 2007, marquant un recul annuel de 1,1 % en 2012, contre une augmentation de 3,9 % l’année précédente. Cette mauvaise performance annuelle s’inscrit dans la lignée de celle de l’année précédente et semble confirmer que le pays se trouve désormais dans un cycle déclinant après avoir connu des taux de croissance nominaux de l’ordre de 7 à 8 % par an de 2007 à 2010.
L’explication tient en grande partie aux répercussions du conflit syrien qui ont affecté les principaux moteurs de la croissance, particulièrement depuis l’été, du fait de la dégradation de la situation sécuritaire dans le nord du Liban. Fortement impacté par les décisions de certains pays du Golfe de déconseiller à leurs ressortissants de se rendre au Liban, le tourisme connaît une crise perceptible à travers la baisse de 17% des visiteurs et le recul de quatre points du taux d’occupation hôtelier moyen. L’incertitude quant aux répercussions sur le Liban des violences syriennes affecte aussi l’immobilier, autre carburant essentiel de l’activité libanaise ces dernières années. Le secteur immobilier confirme l’essoufflement entamé en 2011 : les livraisons de ciment, principal indicateur de l’activité dans ce secteur, ont baissé pour la première fois depuis des années de 200 000 tonnes (-3,7 %) et le nombre de ventes immobilières a continué de baisser à un rythme semblable à celui de 2011 (-10 %).
À défaut de statistiques plus précises, un certain nombre d’indicateurs reflètent la baisse globale de l’activité : la valeur des chèques compensés a reculé de 1,5 % (contre une augmentation de 10 % en 2011). Les importations d’équipements industriels ont décliné de 9,5 % sur les 11 premiers mois de 2012 à 262 millions de dollars et les prêts Kafalat aux secteurs de l’industrie et de l’agriculture ont diminué de 24 et 19 % respectivement, témoignant de la faiblesse de l’investissement privé.
L’activité ne s’est pourtant pas complètement effondrée du fait de la résistance de certaines composantes de la demande domestique. Ce, en dépit d’une confiance en chute libre : l’indice de confiance des consommateurs Byblos Bank/OSB a baissé à 32,5 (-37 %) en 2012, notamment du fait de la crise syrienne et de l’assassinat du général Wissam el Hassan en octobre. La crise syrienne a néanmoins eu aussi des effets positifs sur la consommation : l’afflux de réfugiés syriens a permis dans une certaine mesure de compenser la baisse de la demande locale. Leur nombre – estimé selon les sources entre 10 % et 20 % de la population libanaise – dépasse celui de la perte de touristes et s’ils ne disposent certainement pas du même pouvoir d’achat, la durée bien plus importante de leur séjour se traduit par un réel soutien à des secteurs tels que le logement locatif, les produits de première nécessité ou l’éducation scolaire. Selon certains analystes, la présence de réfugiés syriens aurait également favorisé l’activité commerciale des régions périphériques, habituellement marginalisées par les grands pôles urbains qui sont désormais les plus touchés par le ralentissement économique.
D’autres composantes de la demande interne ont également bien résisté en dépit du contexte : la dynamique des crédits bancaires – qui ont bénéficié majoritairement aux résidents – s’est par exemple maintenue à un rythme proche de l’année précédente (+10 %, soit environ trois points de moins qu’en 2011). À noter que la consommation interne a également connu une évolution structurelle caractérisée par une substitution croissante des produits de masse aux biens de luxe. En témoigne le secteur automobile : les ventes de voitures neuves ont redécollé (+9 % contre -3 % en 2011) tout en se déportant vers les véhicules de petite taille qui représentent 92 % de ces ventes.
La consommation n’a pas été la seule béquille d’une économie en berne. Elle a aussi été soutenue par la progression de la demande publique, qui pèse près du tiers du PIB. Sur l’année 2012, son effet multiplicateur a été évalué en moyenne à 0,5 point par la Banque mondiale. Il a été principalement alimenté par l’expansion de la masse salariale dans le secteur public, du fait des augmentations accordées. S’il s’est traduit sur le plan financier par une aggravation de la dette, ce stimulus budgétaire a sans doute contribué à éviter une récession économique.
Enfin, la demande externe s’est avérée plus dynamique que prévu : la valeur des exportations officielles de produits libanais a augmenté d’environ 5 %. En particulier, celles à destination du marché syrien ont crû de près de 37 %. S’y ajoutent des flux de réexportations clandestines qui n’apparaissent pas dans les comptes officiels, mais que les observateurs s’accordent à considérer comme la seule explication possible de la hausse des importations en situation de récession. Le phénomène concerne tout particulièrement les dérivés pétroliers, mais aussi des biens que la Syrie n’est plus en mesure d’importer directement.
L’approvisionnement du marché syrien dont les circuits de production sont perturbés a aussi dynamisé certaines filières agricoles et industrielles, sans qu’il soit possible cependant de généraliser. Affectée par une pénurie toujours plus marquée, la Syrie pèse le cinquième des exportations agricoles libanaises, dont la valeur a augmenté de 13 % vers ce pays (elle était en baisse de 6 % en 2011) et de 10 % en totalité. La Syrie importe aussi de plus en plus de machines industrielles et électriques (+75 % en volume net et 45 % en valeur), contribuant ainsi à atténuer quelque peu la baisse globale des exportations industrielles libanaises, en déclin de 11,5 % en valeur.
Si la plupart des prévisions actuelles pour 2013 laissent entrevoir une croissance modérée (entre 1,5 % et 3 % selon les estimations), l’activité de cette année, tant officielle qu’informelle, dépendra sans doute, une nouvelle fois, de données essentiellement exogènes, au premier rang desquelles l’impact du conflit syrien. Une confirmation que le pouls du pays continue de battre à un rythme relativement indépendant de certains fondamentaux économiques comme la performance d’un secteur agricole qui demeure marginal (5 % du PIB) ou une compétitivité industrielle en perte de vitesse.
Certains commentateurs espèrent un effet positif induit par un retour éventuel des touristes et des capitaux du Golfe à la faveur du regain de l’influence politique saoudienne au Liban. La Banque centrale a en tout cas cherché à limiter la casse en adoptant un plan de relance des crédits de 1,3 milliard de dollars (voir Le Commerce du Levant n° 5637). L’effet de ce plan qui cible à 56 % le marché immobilier dépendra essentiellement du comportement des bénéficiaires : se traduira-t-il simplement par un effet d’aubaine pour ceux qui avaient déjà prévu d’acheter une résidence principale ou suscitera-t-il de nouveaux achats ? De la réponse dépendra l’ampleur de l’effet sur la croissance.



Inflation : une erreur statistique gonfle la hausse

L’indice des prix à la consommation établi par l’Administration centrale de la statistique (ACS), considéré comme l’indicateur de référence en la matière, fait état d’une inflation de 10,1 % en 2012. Une augmentation d’autant plus importante qu’elle coïncide avec une activité économique globalement atone. Le Liban aurait-il connu l’année dernière ce que les économistes appellent la stagflation (stagnation couplée à une forte inflation) ?
Bien que l’inflation n’ait pas été négligeable en 2012, il semble que les chiffres officiels soient en réalité surévalués en raison d’une erreur statistique. La hausse moyenne sur l’année est en effet principalement déterminée par une hausse de 44,1 % du coût du logement en 2012. Or, ce chiffre est manifestement trop élevé : les prix relatifs à ce poste ne sont relevés qu’une fois tous les trois ans, au mois de juillet. L’ACS a donc imputé au seul mois de juillet une inflation étalée en réalité sur toute la période 2009-2012, ce qui fausse à la fois l’indice des prix en 2012, surévalué et fausse aussi les chiffres annoncés pour les années précédentes, qui étaient sous-évalués. L’impact du sous-indice du coût du logement sur l’indice général des prix est en effet très important, puisque sa pondération est de 16,2 %.
Une façon de corriger cette erreur consisterait à étaler de façon égale la hausse de ce poste sur l’ensemble de la période, l’inflation globale obtenue, ce qui donnerait une inflation moyenne de 5 %. Cette méthode n’est cependant pas assez précise puisqu’elle ignore les variations du coût du logement d’une année à l’autre. En 2012, il est probable que l’afflux des réfugiés syriens a eu un impact inflationniste sur les loyers. « L’idéal serait de recalculer rétroactivement l’inflation, mais c’est compliqué méthodologiquement et politiquement problématique, puisque les contrats salariaux s’appuient notamment sur cet indice », confie un économiste.
Faut-il y voir un lien ? En février dernier, le Premier ministre Nagib Mikati, alors empêtré dans un bras de fer social sur l’adoption de la nouvelle échelle des salaires, a refusé de renouveler le contrat des agents chargés de relever les prix pour le compte de l’ACS. Depuis, l’administration attend toujours le feu vert de son successeur pour reprendre sa mission. Les chiffres de 2013 ne sont plus publiés depuis cette date !
Pour 2012, d’autres estimations de l’inflation sont fournies par la Banque centrale et le FMI à respectivement 6 % et 6,6 %. L’indice des prix à la consommation publié par l’Institut de recherche et de consultation fait quant à lui état d’une inflation plus faible, à 4,7 % entre décembre 2011 et décembre 2012, principalement alimentée par l’augmentation des prix de l'éducation et des aliments.





dans ce Dossier