C’est une drôle d’histoire comme seule, peut-être, Rawi Hage, l’auteur du sublime roman de “Niro’s Game” (2006), pouvait en inventer. « Il y a deux espèces de chauffeurs de taxi : les araignées et les mouches. Les araignées attendent patiemment les appels. Les mouches sillonnent les rues à la recherche d’une main levée dans la nuée humaine. »
Vous vous sentez perdus ? La suite est pour ceux précisément qui aiment à se perdre dans des histoires “rocambolesques”, sans queue ni tête où seules importent les rencontres et les histoires qui en découlent… D’ailleurs, est-ce bien un roman que ce texte polyphonique ? Comme si de ces pages d’où surgissent mille et un destins, on ne trouvait à retenir in fine qu’une rumeur lancinante, le bruit d’une ville dans toute sa discordance, en pleine métamorphose.
Cette ville, c’est Chicago, où Fly, le narrateur, chauffeur de taxi de son état, erre à la rencontre des rebuts ou des âmes perdues de ce monde. Avec lui, dans son taxi, on croise prostituées, transsexuels, fils à papa ou maquereaux… Mais également cette lumineuse Zaïnab, une jeune étudiante en théologie, sa “voisine d’à-côté” que Fly espère attraper dans ses filets. « Studieuse, éternellement calme, tranquille et souriante Zaïnab, le genre bibliothécaire portant en son sein une lave bouillonnante qui pourrait vous exploser au visage, vous enflammer et vous déformer jusqu’à faire de vous un phénomène anatomique. » On ne comprend rien parfois à cette humanité carnavalesque que Rawi Hage nous décrit. Mais c’est aussi le charme de ce livre de nous perdre dans des contes à dormir debout.
Rawi Hage, “Carnival City”, 344 pages, édition (pour la traduction française) Denoël 2014, 25 dollars.