Lorsqu’on ouvre ce cinquième roman de Charif Majdalani, on croit que l’auteur va nous conduire dans le labyrinthe intrigant de quatre “femmes puissantes”. La faute sans doute au titre et à une quatrième de couverture un rien “féministe” où on annonce que Marie (la veuve), Mado (la sœur), Karine (la fille) ou Jamilé (la bonne) s’apprêtent « à prendre les rênes du domaine » où elles vivent, à Aïn Chir. La mort soudaine du pater familias, Skandar Hayek, quand débute la guerre de 1975, les privant du soutien masculin sur lequel elles avaient toujours compté. Pourtant, il n’en est rien. Cette “prise des pouvoirs” est comme empêchée, comme si rien n’était possible pour elles sans la présence d’un homme à leur côté. Certes, elles gèrent la domesticité, se crêpent le chignon et négocient même leur devenir quand les combattants investissent le domaine. Mais elles ne sont que les régentes d’un monde en attente du vrai héros : le fils, Hareth, qui parcourt le monde et dont on est sans nouvelle. Lorsque ce fils prodigue revient, ces femmes « qui auraient pu être » s’effacent devant celui qui les sauve et remet en marche leur monde. Pour le lecteur, du coup, il y a comme « erreur sur la marchandise » : on lui avait promis de superhéroïnes ; il se retrouve avec de simples “bonnes femmes”. Cette déception, on la doit au choix du narrateur : le chauffeur de la maison, unique présence masculine de cette maisonnée. Incapable de les comprendre, il les fantasme et nous les restitue « par le petit bout de la lorgnette ». Mais ce n’est pas l’unique raison : l’historienne Michelle Perrot affirme que les femmes ont toujours été des « ombres légères » au « théâtre de la mémoire ». Manière de dire que le “sexe faible” est bien peu présent dans l’histoire comme si leurs contributions étaient volontairement passées sous silence, pour mieux magnifier les splendeurs masculines. C’est aussi cela que dit “Villa des femmes” : ce silence des grandes maisons.
Charif Majdalani,
“Villa des femmes”,
Seuil 2015, 19 dollars.