Il y a mille et une façons de capturer l’intimité d’un être quand on est photographe. On peut la restituer en voyeur absolu à la façon des portraits de Gail Albert Halaban, une photographe qui aime à capturer des étrangers derrière leurs fenêtres. On peut aussi s’immerger dans le quotidien de son sujet jusqu’à s’y dissoudre, comme c’est le cas du Français Alain Laboile, qui photographie ses six enfants depuis 2004 dans leur quotidien de petits sauvageons.
La Libanaise Rania Matar se situe à mi-chemin : cette photographe garde toujours une distance entre elle et son sujet, cherchant à restituer de la manière la plus neutre possible l’univers qu’elle met en scène. Dans cette série “A girl and her room”, qui date de 2010, et dont est extrait ce portait de Christilla, elle donne en image sa vision de l’adolescence : un corps et un lieu qui se confondent. Jeune fille en fleur, Christilla semble déjà rêver de séduction féminine (le soutien-gorge rose fuchsia, la pose) en même temps qu’elle refuse de quitter son enfance asexuée (les sabots crocs vert fluo, la peluche).
De cette série, Rania Matar fera un livre et prolongera ensuite sa réflexion autour d’un nouveau thème, celui de l’enfant-femme. « Il n’y a rien de sexuel dans le regard que je porte », dit-elle. Dans ces portraits à la douceur bienveillante, autre chose se cache : ce qui l’intéresse, c’est de mettre à nu la fracture, l’instant qui fait basculer un monde vers un autre. Ici, de l’adolescente à la femme.
Un mouvement de balancier qu’on retrouve dans la vie de cette photographe qui a dû quitter le Liban, à 11 ans, pour fuir les combats de la guerre libanaise. Installée aux États-Unis, à Boston, son travail se veut le reflet de cette déchirure initiale.
Galerie Janine Rubeiz, 2 500 dollars, édition limitée, tél. : 01/868290.