Un article du Dossier

Kfardebiane : pas de dégel en perspective

La région de Kfardebiane n’a toujours pas digéré le boom immobilier qui l’a touché de manière inattendue à partir de 2008. Quatre ans plus tard, le stock de chalets à vendre est toujours impressionnant et la demande n’est pas au rendez-vous, même avec certaines baisses de prix concédées par les promoteurs. La région semble s’être installée dans une phase de stagnation durable. Enquête.

Greg Demarque
Les promoteurs ne s’en cachent plus : les ventes en 2012 ont été mauvaises, pires encore qu’au cours de l’année 2011, déjà morose. Sur les 550 unités qui étaient en vente au début de l’année 2012, environ une centaine a été écoulée douze mois plus tard, selon l’enquête menée par Le Commerce du Levant. Les taux de vente réels pourraient même être inférieurs encore, une partie importante des promoteurs se contredisant régulièrement d’une année à l’autre sur le nombre de produits vendus. Signe que les transactions tournent au ralenti, une demi-douzaine de projets qui ont déjà été achevés au cours de l’année 2012 n’ont toujours pas trouvé d’acquéreurs. Les promoteurs ont recours à de nouvelles techniques pour éviter d’avoir à payer l’entretien des chalets non vendus, ce qui peut coûter jusqu’à plusieurs milliers de dollars par an et par chalet (entre 10 et 20 dollars par m²). Ils choisissent de plus en plus souvent de ne pas terminer l’intérieur des chalets non commercialisés. « Les promoteurs ne vont pas meubler les chalets ou poser le carrelage pour limiter les sorties de cash. Quand le client se décide à acheter, il pourra ensuite se faire livrer le chalet en deux mois », explique Jade Zoghaib, directeur associé de l’agence immobilière JSK Real Estate. C’est par exemple le cas du projet des Villettes de Kfardebiane, du groupe immobilier Sayfco. Par ailleurs, les plus grands projets se divisent désormais en plusieurs phases : les étapes ultérieures ne sont lancées qu’une fois que les chalets de la première phase sont vendus. Ce qui a nécessairement pour conséquence d’étirer dans le temps la durée des projets. Certains complexes résidentiels comme Oakridge ou Faqra Hills à Tilal Faqra seront ainsi totalement livrés au bout de quatre ou cinq ans. Une autre option reste encore possible en attendant que le marché se relance : la location. Peu de promoteurs ont encore mis en location les produits qu’ils proposaient à la vente, mais cela pourrait commencer dès l’été prochain suite au manque d’absorption des chalets destinés à la vente. Une autre tendance intermédiaire pourrait rapidement voir le jour : la location avec option d’achat », explique Carlos Chad, responsable des ventes immobilières à Faqra Club. En résumé, le client loue un chalet pour une certaine durée au bout de laquelle il se verra proposer de l’acheter, de manière préférentielle et pour un prix défini à l’avance. Si les promoteurs peuvent avoir recours à de telles pratiques, c’est qu’ils rechignent toujours à limiter leurs marges, et donc à baisser significativement leurs grilles de prix. Dans certaines régions, comme Faqra Club ou Ouyoun el-Simane, les prix oscillent toujours entre 4 000 et 5 500 dollars le m². « Acheter un chalet à Kfardebiane est aussi coûteux qu’acheter un appartement de 200 m² dans le Metn ou dans d’autres banlieues de Beyrouth », affirme Alphonse Kai, l’architecte et promoteur du projet Sud 22, près de Faqra. Suivant la tendance amorcée en 2011, certains promoteurs ont tout de même diminué leurs tarifs, en moyenne de 5 à 10 % pour les plus grandes surfaces, mais le geste ne semble pas avoir suffi pour débloquer les ventes.

Une offre encore inadaptée

Si la demande composée pour moitié de résidents et pour moitié de Libanais expatriés n’est pas au rendez-vous, c’est que le marché de niche de Kfardebiane subit le contrecoup du ralentissement général du marché immobilier au Liban depuis deux ans : investir dans une résidence secondaire à la montagne n’est plus du tout prioritaire, surtout vu les incertitudes sécuritaires du pays, et les risques de débordement de la guerre en Syrie. Mais les mauvais taux de ventes s’expliquent aussi par des facteurs plus profonds : les produits dans leur majorité ne sont pas adaptés aux besoins des acheteurs. La majorité des surfaces proposées reste toujours au-delà de 200 m², trop grandes et trop chères. « La nouvelle demande se porte surtout sur des chalets entre 80 et 100 m² avec deux chambres à coucher, pour un budget de 250 000 dollars, alors que la plupart des chalets en vente dépassent 500 000 dollars », explique Jade Zoghaib. Les nouveaux projets qui se sont lancés en 2012 proposent bien des superficies entre 100 et 200 m², mais cela ne suffit pas encore à inverser la tendance. En outre, le concept de complexe résidentiel fermé, sur lequel avaient misé plusieurs gros promoteurs, ne semble pas avoir séduit les Libanais. « Venir passer un week-end à la montagne pour se retrouver comme à Beyrouth sans vis-à-vis avec ses voisins, et avec très peu d’espaces privés n’est pas vraiment du goût des acheteurs, qui aspirent à davantage d’autonomie », explique un promoteur de la région. Les acheteurs préfèrent se retrouver dans de plus petits projets, ou, pour les plus aisés d’entre eux, se faire construire des villas. « Plus de 50 villas sont en cours de construction à Faqra Club cette année, c’est un record par rapport aux années précédentes, où leur nombre ne dépassait pas la vingtaine. Acheter un terrain et s’y faire construire une résidence est tout aussi rentable que d’acquérir un produit sur le marché, et permet d’avoir beaucoup plus d’indépendance », affirme Carlos Chad, responsable des ventes immobilières à Faqra Club. Les promoteurs ont déjà anticipé cette tendance : plutôt que de construire de nouveaux chalets commerciaux, ils achètent de grandes parcelles à Kfardebiane, procèdent au lotissement et à la construction d’infrastructures pour donner de la valeur au foncier, puis revendent les lots à des acheteurs qui construiront eux-mêmes, tout en respectant certaines normes écologiques et volumétriques. Les exemples se sont multipliés dans la région depuis deux ans (Loft Nature, Silverocks, Eden, Ahlam Mountain Resort…).

Quelles perspectives pour la région ?

En attendant des jours meilleurs, l’activité sur le marché à Kfardebiane semble être revenue à une allure normale, celle qui prévalait avant le boom inattendu de l’année 2008-2009. Le nombre de permis de construire dans la région a diminué pour la première fois, de 10 % en 2012, et certains gros projets qui auraient dû être lancés l’année dernière ont été mis en veille, notamment un projet haut de gamme de plus de 15 000 m² près de Kfertay (à côté de Faqra Club), ou encore le projet de Refuge des propriétaires du Mzaar 2000 à Ouyoun el-Simane. De vastes projets de développement ont été retardés comme le centre de villégiature Ahlam Mountain Resort, dont la première phase de 400 000 m² devait être lancée en 2012, ou les 127 chalets du “village” Edelweiss au cœur de Faqra Club. « Nous sommes rentrés dans une nouvelle phase immobilière, où pour la première fois nous ne pouvons plus tenir compte de l’historique des ventes ni du taux d’absorption ni même du marché à court terme. Dans le doute, la plupart des promoteurs préfèrent s’abstenir », explique Carlos Chad. Certaines régions auxquelles on promettait un rapide développement aux alentours de la municipalité de Kfardebiane, comme Qanat Bakiche (à Baskinta) ou Chabrouh (à Faraya) n’ont presque pas bougé, si ce n’est du point de vue des transactions foncières. La dizaine de nouveaux projets qui ont démarré en 2012 à Kfardebiane ont surtout été lancés sur des terrains qui avaient été achetés il y a des années ou qui étaient issus d’un héritage familial. Avec la stagnation des ventes, la demande sur les terrains s’est raréfiée et les prix ont baissé. « On a constaté une baisse de 20 % depuis le printemps 2012 dans toute la région, il est désormais possible de trouver des terrains à partir de 300 dollars sur l’ancienne route de Faqra et à partir de 1 000 dollars à Faqra Club », estime Jade Zogheib. Pas sûr cependant que cela réussisse à relancer l’activité immobilière dans les mois à venir. La stagnation des ventes dans le neuf ne semble pas avoir profité au marché de l’ancien rénové – un marché environ 20 % moins cher mais relativement réduit – ni à celui de la location, le secteur du locatif étant déconnecté de celui de l’achat. « Nous avons constaté environ 20 % de demande en moins sur les chalets en location cet hiver, il nous reste encore huit de nos 25 chalets à louer, alors qu’avant Noël, ils sont en général tous réservés », explique Élie Zogheib, directeur des ventes à l’agence immobilière Étage et Terre. Décidément, à Kfardebiane, l’année 2012 n’a pas été un bon cru.




dans ce Dossier