Un article du Dossier

Automobile : un marché à la peine malgré la stabilité des volumes

L’année 2013 s’inscrit à bien des égards dans la continuité de 2012 sur le marché automobile libanais. Les ventes de voitures neuves ont continué d’augmenter légèrement en volume sur les trois premiers trimestres, tandis que le marché de l’occasion a poursuivi sa chute pour devenir désormais minoritaire, une première. La majorité des concessionnaires libanais affichent néanmoins leur inquiétude quant aux conséquences sur leurs marges de la rotation des achats vers les petites voitures et redoublent d’efforts pour se distinguer dans un marché toujours plus concurrentiel.

À première vue, le secteur automobile libanais semble conserver une certaine vitalité dans un contexte économique toujours plus affecté par les retombées de la crise syrienne. La croissance des immatriculations de voitures neuves est très légère : +1,8 % à environ 26 600 véhicules sur les trois premiers trimestres, selon les statistiques communiquées par l’Association des importateurs d’automobiles neuves (AIA). Elle paraît d’autant plus remarquable qu’elle s’ajoute à deux années de hausse consécutives (+7,4 % sur la même période en 2012 et 2 % en 2011). La plupart des acteurs du secteur ne se réjouissent pourtant guère de ces performances et affichent leur préoccupation face à la confirmation d’un certain nombre de tendances lourdes qui affectent le marché et se traduisent par un affaissement global de leurs marges.
Premier indice du malaise, les véhicules à usage professionnel (compagnies de taxis, agences de location), soutiens habituels des ventes de voitures neuves, sont globalement en recul. Malgré l’obligation légale de renouvellement de leur flotte tous les trois ans, les agences de location ont ainsi commandé 3 012 voitures sur les huit premiers mois de l’année, en baisse de 7,3 % par rapport à janvier-août 2012. « Le marché locatif subit de plein fouet les conséquences de la situation politico-sécuritaire et en particulier la chute du tourisme due notamment aux recommandations des pays du Golfe de ne pas se rendre au Liban », explique Wissam Trad, directeur de Saad & Trad SAL (Bentley, Fiat, Jaguar, Lamborghini). « On assiste actuellement à une phase de consolidation du marché de la location, avec de nombreux acteurs qui en sortent pour peu d’entrées », appuie Pierre Heneiné, directeur financier de Bassoul-Heneiné (Alfa Romeo, BMW, Dacia, Mini, Renault, Rolls Royce).
Une tension analogue se retrouve sur la demande des compagnies de taxis, en baisse de 3,7 %, à 612 voitures en août. Sur un autre segment du marché, la vente de véhicules utilitaires destinés aux entreprises et aux artisans connaît pour sa part une hausse annuelle de 1,4 % sur les neuf premiers mois à 1 714 véhicules. Cette faible progression contraste avec les plus de 8 % de croissance affichés sur ce segment sur la même période, l’année dernière.

Pour les concessionnaires, « Small isn’t beautiful »

Surtout, cette année encore, la performance moyenne des ventes de véhicules neufs traduit en réalité de très fortes disparités selon les pays de provenance, les marques et les segments. « Environ 90 % des immatriculations sont des petites voitures à bas prix (environ 11 000 dollars) », affirme inlassablement Samir Homsi, président de l’AIA. Difficile à vérifier du fait de l’absence de statistiques publiques par modèles, ce chiffre confirme l’inquiétude de la majorité des importateurs face à l’accentuation du phénomène de déportation massive de la demande vers les petits gabarits qui affecte le marché depuis quatre ans. « Ce changement radical de segmentation traduit avant tout une perte du pouvoir d’achat des consommateurs qui ont été durement affectés par la hausse du prix des carburants et ne peuvent se passer de voiture pour leurs déplacements quotidiens du fait de l’absence d’un véritable réseau de transports en commun », se désole Nabil Bazerji, PDG de G.A. Bazerji & Sons (Maserati, Suzuki, Lancia). « Le marché libanais est trop axé sur les prix : les clients se focalisent sur cet aspect quitte à reléguer au second plan les options de sécurité de la voiture, ses performances ou son impact écologique », constate Wissam Salameh, directeur commercial de Volkswagen Liban (Groupe Kettaneh qui distribue également Audi et Skoda).
Résultat, la légère hausse des immatriculations de voitures neuves pour les particuliers ne suffit pas à compenser la baisse enregistrée en valeur : « Même ceux de nos clients qui possédaient une petite berline tendent de plus en plus à la remplacer par un modèle du segment inférieur, ce qui se traduit par une perte d’environ 40 % des marges réalisées sur la vente », développe Farid Homsi, directeur général d’Impex (Cadillac, Chevrolet, Isuzu).

La résistance des 4x4 soutient en partie le luxe

En termes de modèles, ce sont, de l’avis unanime des concessionnaires interrogés, les segments intermédiaires – des familiales aux routières – qui pâtissent le plus de cette descente en gamme. Les tout-terrains, SUV et autres “crossover” continuent en revanche d’attirer de plus en plus de consommateurs. Avec 5 062 voitures neuves immatriculées de janvier à août, soit une croissance annuelle de 24 %, ces véhicules représentent désormais une vente sur cinq. Mais là encore, ce sont surtout les modèles les plus accessibles qui sont plébiscités.   Pierre Heneiné se félicite par exemple du succès du Renault Duster qui représente à lui seul près de la moitié des ventes de la marque au losange au Liban. Quant aux voitures de luxe, qui représenteraient environ 2 % du marché, selon l’AIA, elles connaissent un bilan contrasté, dû essentiellement à des facteurs conjoncturels. Soutenues en partie par les SUV de gamme supérieure, elles pâtissent elles aussi du climat économique morose. « La situation économique et sécuritaire ne plaide pas en faveur de l’ostentation », résume un observateur.
De fait, la plupart des marques de prestige ont marqué un net recul sur les neuf premiers mois, de BMW (-40 % annuels en septembre) à Porsche (-3 %) en passant par Jaguar (-14 %), et Mercedes (-2 %). Certaines sont par ailleurs tributaires des renouvellements de séries, les clients de ce type de véhicules préférant patienter jusqu’à la sortie du nouveau modèle plutôt que de bénéficier des effets d’aubaines sur les fins de série. « Les mauvais résultats de BMW cette année sont en grande partie dus à une gamme vieillissante : la sortie de sept nouveaux modèles en 2014 devrait faire redécoller les ventes l’année prochaine », prévoit Pierre Heneiné. « Le repositionnement mondial de Maserati du luxe vers la catégorie “premium” et l’arrivée prochaine de nouveaux modèles, dont le SUV Levante en 2015, devraient nous permettre d’être plus compétitifs sur le marché libanais », espère de son côté Nabil Bazerji.

Renforcement de l’emprise coréenne

Côté marques et pays d’origine, les coréennes continuent de profiter du phénomène de descente en gamme, que leur politique d’offre a contribué à créer quelques années plus tôt, pour asseoir leur domination sur le marché. Avec des taux de croissance annuels respectifs de 0,5 % et de 12,5 % sur les neuf premiers mois de l’année, Kia et Hyundai restent les deux premières marques du Liban et cannibalisent près de 47 % de parts de marché, soit près de trois points de plus que l’année dernière.
Les 25 marques européennes et les sept marques américaines dont les données sont rendues publiques par l’AIA sont cette année globalement en recul, respectivement de 2,8 % et de 4,7 % sur la même période. La plupart souffrent encore de l’absence de petites citadines dans leur gamme ou, lorsqu’elles sont présentes, du fait d’être uniquement équipées d’une boîte de vitesses manuelle sur un marché dominé à plus de 80 % par les transmissions automatiques. En termes de marques, c’est Dacia (+45 %) et ses prix très compétitifs qui s’en sort le mieux parmi les européennes, tandis que Ford (+114 %) affiche la plus belle performance annuelle pour les américaines, aidée il est vrai par sa réintroduction sur le marché il y a deux ans.
Les 10 marques japonaises présentes au Liban parviennent à maintenir globalement leurs résultats (-0,70 %). « Les voitures d’origine purement japonaise ont été affectées par la valeur du yen durant ces dernières années. Mais depuis que le Premier ministre japonais Shinzo Abe est au pouvoir, le yen japonais s’est affaibli vis-à-vis du dollar américain », explique Mounir Bazerji, PDG d’Autostars (Daihatsu, Subaru). Compte tenu du décalage sur le marché automobile et des différentes stratégies de couverture de change adoptées par les importateurs, cet effet yen n’a pour l’instant pas bénéficié de la même manière à tous, mais devrait se généraliser. « La baisse du yen a impacté positivement nos ventes à partir de l’été mais, du fait du décalage lié aux commandes, c’est à partir du quatrième trimestre que nous devrions véritablement en bénéficier », précise Anthony Boukhater, directeur de A.N. Boukhater SAL (Mazda). Bien qu’en chute de 19 %, Nissan reste en tête des nippones avec plus de 3 500 véhicules vendus sur les trois premiers trimestres, tandis que Mitsubishi connaît la croissance la plus forte (+141 %) du fait de l’introduction de sa petite citadine sur le marché.
Les sept marques chinoises dont les immatriculations sont publiées bénéficient elles aussi de l’engouement pour le “low cost” et affichent un taux de croissance global insolent de plus de 67 % qui leur permet de frôler les 2 % de parts de marché. De quoi leur prédire un avenir à la coréenne à moyen terme ? La plupart des importateurs n’ayant pas de marques chinoises dans leur portefeuille sont plutôt sceptiques, pointant notamment la faible visibilité internationale des marques en question, une cote qui reste comparativement faible en termes de revente, voire le fait que, contrairement aux marchés japonais et coréens, le marché intérieur chinois reste, lui, toujours dominé par les marques étrangères qui produisent par ailleurs certains de leurs modèles dans ce pays.

Les voitures d’occasion grandes perdantes

Si la domination des petites citadines a bouleversé le marché des véhicules neufs, c’est un véritable séisme qui a frappé le marché des véhicules d’occasion importés. Alors qu’ils représentaient les deux tiers des immatriculations en 2009, leur baisse est constante depuis cette date et ces voitures importées de seconde main sont pour la première fois minoritaires. Les ventes sont en baisse de 19 % en rythme annuel, à 23 380 véhicules sur les trois premiers trimestres, ce qui fait chuter leur part à 47 % du total. « Les Libanais commencent à réaliser qu’acheter une voiture neuve est plus rationnel sur le long terme, aussi bien en termes de consommation que de sécurité et de valeur à la revente », se félicite Wissam Trad. Plus sûres et mieux équipées que de vieilles berlines de seconde main, les voitures neuves bénéficient également d’un autre argument décisif en temps de crise : leur avantage comparatif pour l’achat à crédit. « Moins d’un client sur cinq achète nos voitures au comptant, nous mettons donc à leur disposition l’offre bancaire disponible. Elle est assez homogène et nettement favorable à l’achat de voitures neuves, tant du point de vue des échéances que des taux d’intérêt ou du montant de l’apport personnel. Il n’est par exemple pas rare que ce dernier soit nul », souligne Martine Atallah, responsable marketing chez Century Motor Company (Hyundai). Fruit de la baisse du pouvoir d’achat et des politiques commerciales agressives des concessionnaires, cette grande rotation au profit du neuf contribue à un renouvellement du parc automobile que les pouvoirs publics n’ont jusque-là pas pu, voire voulu faciliter. Particulièrement laxiste en termes de normes sécuritaires, le Liban autorise l’importation de véhicules ayant jusqu’à huit ans d’ancienneté et ne les soumet à aucun contrôle technique à leur arrivée au port. Conjugué à un taux de remplacement des véhicules particulièrement faible – « on estime qu’il y a en moyenne quatre véhicules par foyer libanais, cela aboutit à un rythme de remplacement tout les sept ans environ, soit plus du double de ce qui se fait en Europe », souligne Nabil Bazerji –, ce laxisme législatif contribue à un vieillissement du parc automobile préoccupant du point de vue sécuritaire et environnemental. L’AIA estime ainsi qu’à fin 2012, près d’une voiture sur dix avait plus de 35 ans d’ancienneté et 75 % du parc plus de 11 ans d’âge. La plupart des concessionnaires souhaiteraient davantage d’implication des pouvoirs publics sur le sujet à travers un durcissement de la législation sur l’importation de véhicules de seconde main, voire des incitations pécuniaires. « L’adoption d’une prime à la casse permettrait d’encourager le remplacement, voire de soutenir les ventes de voitures neuves », prône Assaad Dagher Hayeck, à la tête du groupe éponyme (Citroën, BYD, Kia, Mitsubishi, Peugeot, Seat et Saab).

Guerre commerciale

En attendant, les concessionnaires tiennent à communiquer sur leur mal-être, d’autant que des projets de hausse de la taxation sur le secteur pourraient rogner leurs profits à l’avenir (voir encadré). « Les importateurs d’automobiles font des efforts surhumains afin de maintenir à flot leurs entreprises face à la crise économique, l’augmentation de leurs charges et la baisse de leur chiffre d’affaires », clame par exemple Samir Homsi dans un communiqué. Dès lors, tous les moyens semblent bons pour préserver les parts de marché.
Les offres promotionnelles tactiques restent l’instrument privilégié par l’ensemble des concessionnaires même si ceux-ci diversifient de plus en plus leur stratégie de communication. « Malgré la situation, nous avons maintenu notre budget publicitaire au niveau de l’an dernier », déclare Georges Tabet, PDG de Sigma (Seat, Saab ; membre du groupe Dagher Hayeck depuis 2009). « Il faut sans cesse innover pour se distinguer de la concurrence : cette année, nous avons par exemple lancé la première application mobile de la région dédiée à une marque automobile et produit une émission de télé-achat sur une chaîne locale », renchérit Anthony Boukhater. Le service après-vente est aussi un bon moyen de se différencier, la plupart des importateurs suivent par exemple la tendance impulsée par les coréennes en proposant, parfois en option, des garanties quinquennales ou plus. « Le fait que le service après-vente représente la moitié de notre chiffre d’affaires nous permet aussi de mieux tenir face aux fluctuations du marché », ajoute Farid Homsi.
Quant aux perspectives pour l’année 2014, elles ne semblent guère encourageantes. « L’absence de gouvernement, l’approche des élections présidentielles, l’afflux des réfugiés syriens, tout cela ne prête pas à l’optimisme ! » analyse Georges Tabet. D’autant que, de l’avis quasi unanime des concessionnaires, la tendance vers la descente en gamme est amenée à perdurer, même en cas d’amélioration économique. Quelques concessionnaires parient néanmoins sur un retournement de la demande. « Les consommateurs sont de plus en plus gourmands en équipements technologiques, ce qui pourrait se traduire à l’avenir par un déplacement vers les segments supérieurs », prévoit Martine Atallah.
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