Un article du Dossier

Kfardebiane : un marché à plusieurs vitesses

En 2013, le lancement de vastes complexes résidentiels a redonné des couleurs au marché immobilier à Kfardebiane, avec de nouveaux chalets accessibles à partir de 100 000 dollars, qui visent désormais la classe moyenne. Toutefois, ce dynamisme est en trompe-l’œil : un grand nombre de projets existants peinent à écouler leurs unités depuis plus de deux ans.

L’immobilier connaît-il une nouvelle jeunesse à Kfardebiane, alors qu’on l’annonçait en hibernation pour au moins plusieurs années ? Contre toute attente, l’année 2013 a vu le lancement de plusieurs grands projets immobiliers, comme le complexe résidentiel Les Roches, qui comprendra pas moins de 400 chalets, les projets Sunset et Faqra Scenes – avec chacun de 50 à 60 chalets – pratiquement tous lancés à proximité du restaurant Qanater, le long de la route entre le village de Kfardebiane et les ruines de Faqra. L’année 2014 devrait démarrer sur les chapeaux de roue, avec le lancement des 650 unités du RedRock, situé à Baatouta, dans la périphérie de Faqra Club, ou les 140 chalets du projet Chabroux, au-dessus du village de Faraya. À l’origine de la plupart de ces nouveaux projets, on retrouve le groupe Sayfco, qui a déjà construit plus de 200 chalets dans la région depuis 2007. « Nous avons vendu près de
1 000 chalets au cours de l’année 2013 dans la région de Kfardebiane, dont plus de 300 en une semaine pour notre projet Les Roches, suite à une simple campagne sur les réseaux sociaux », assure Chahé Yérévanian, le PDG du groupe Sayfco. Les grosses pointures comme Sayfco ou Zardman ont bien compris qu’une partie importante de la clientèle avait pratiquement réduit de moitié son budget depuis l’âge d’or de Kfardebiane, entre 2007 et 2010, et ne pouvait plus se permettre de dépasser un demi-million de dollars pour une résidence secondaire. Ils proposent donc essentiellement des chalets entre 50 et 130 m², dans une fourchette variant entre 100 000 et 300 000 dollars. « Les acheteurs à Kfardebiane n’ont pas nécessairement besoin de vivre dans de grandes surfaces. Ils passent plusieurs semaines en été là-haut et quelques week-ends en hiver », explique Nicolas Mehchy, directeur des ventes à Plus Properties, qui commercialise le projet Faqra Scenes. « Près du tiers des acheteurs recherche des studios autour de 50 m². Cette nouvelle demande est constituée de célibataires ou de jeunes couples qui souhaitent s’offrir un pied-à-terre à la montagne », note Jade Zoghaib, directeur associé du groupe JSK Real Estate. Pour lancer des projets avec des prix aussi accessibles, les gros promoteurs ont dû s’éloigner des principaux pôles de la région, Ouyoun el-Simane et Faqra Club, et se téléporter à plusieurs kilomètres des pistes. Ils ont ainsi pu bénéficier des prix du foncier avantageux, entre 300 et 500 dollars le mètre carré, contre par exemple 1 300 dollars le mètre carré à Faqra Club. En achetant de grandes parcelles et en construisant un nombre important d’unités, ils réalisent des économies d’échelle lors de la construction, leur permettant d’effectuer des marges confortables.

Des offres attractives

Afin d’attirer les acheteurs, les promoteurs ont proposé des conditions d’achat très favorables, que ne peuvent pas offrir les plus petits constructeurs. Dans les nouveaux projets de Sayfco, le premier paiement requis est de
10 000 dollars. Idem pour le projet Faqra Scenes où une “réservation” est possible à partir de 15 000 dollars. « Dans un marché lent comme celui des résidences secondaires, nous encourageons les clients en offrant des facilités de paiement. L’acheteur peut payer 50 % du projet sans intérêt pendant trois ans, ce qui correspond à la période de construction du projet, sans même avoir recours à une banque », affirme Nicolas Mehchy. Tout est conçu pour ne pas hausser les coûts pour les clients. « Nous n’avons pas construit de piscine ou de gymnasium pour ne pas augmenter les frais de maintenance, alors que les clients n’utilisent pas les chalets toute l’année. La première question que nous posent les acheteurs, c’est le montant des charges de copropriété », poursuit le directeur des ventes à Plus Properties. Les grands groupes immobiliers s’appuient aussi sur de fortes campagnes marketing, afin d’attirer un maximum de clients. Les taux de ventes de ces projets paraissent impressionnants, mais la part des acheteurs finaux n’est pas pour autant très claire. Les grands promoteurs affirment que les investisseurs ne représentent pas plus de 10 à 20 % des clients. « En phase de prélancement, les grands groupes vendent essentiellement à leurs investisseurs réguliers à des prix très avantageux, parfois à partir de 1 500 dollars le m². Cela permet au promoteur de couvrir son coût de construction et aux investisseurs de réaliser des plus-values à la revente des chalets lors de la livraison du projet. Les taux de ventes élevés ne correspondent pas nécessairement à une demande réelle, surtout en période de crise », affirme un promoteur de la région. Si les grands projets – du moins en apparence – vendent rapidement, c’est un peu l’arbre qui cache la forêt. Car mis à part quelques projets de caractère proposant de petites surfaces, et situées à côté de pôles comme Faqra Club, qui tirent leur épingle du jeu, la grande majorité des promoteurs souffre depuis deux ans. Plusieurs segments de marchés sont victimes du ralentissement.

Le marché du luxe touché

Le marché haut de gamme est le premier concerné, notamment pour tous les chalets au-dessus de 500 000 dollars, pourtant souvent situés dans de beaux emplacements. « La demande pour les produits de luxe est devenue très rare. Auparavant, les clients étaient très sensibles à l’emplacement, à la vue, aux espaces verts. Aujourd’hui, seul le facteur prix compte. Entre un 200 m² à 700 000 dollars et un 100 m² à 500 000 dollars qui sera d’un rapport qualité/prix moins bon, les acheteurs choisiront le 100 m² », explique Joe Hobeika, propriétaire du projet Sophia Peaks, à Ouyoun el-Simane. « Les Libanais expatriés dans le Golfe ne sont plus pressés d’investir dans une résidence secondaire, étant donné la situation sécuritaire dans le pays. C’est plutôt la clientèle locale qui nous a appelés cette année. Les résidents disposent d’un budget moindre et leur prise de décision est plus lente », affirme Nicolas Manasseh, copropriétaire du projet 3S Cottage à Ouyoun el-Simane. Le problème de ces projets haut de gamme est qu’ils ont été conçus à une période où la demande recherchait surtout de grandes surfaces, alors qu’aujourd’hui, il devient difficile d’écouler des chalets de plus de 150 m². Certains propriétaires ont réussi in extremis à modifier les tailles des chalets afin de s’adapter à la nouvelle demande, au prix de retards dans la construction. C’est notamment le cas du vaste projet Oakridge, près de l’entrée de Faqra Club, ou des Muses de Faqra, à Tilal Faqra, qui a divisé la plupart de ses surfaces par deux. Mais la plupart des projets n’ont pu être aussi flexibles et les promoteurs, solides financièrement, rechignent encore à baisser les prix. « Nous préférons louer nos chalets restants pendant plusieurs années, plutôt que de baisser notre prix de vente de 50 000 dollars », soutient Joe Hobeika. « Je suis prêt à proposer de petites baisses de prix, à condition que ce soit au coup par coup, et pour des clients sérieux », estime pour sa part Walid Tabet, un autre promoteur de Ouyoun el-Simane. « Si les promoteurs acceptaient de réduire leurs marges, ils pourraient vendre plus facilement », soutient quant à lui l’agent immobilier Christian Baz.

Le moyen de gamme également en difficulté

Un autre segment rame : celui des produits moyen de gamme situés dans des zones périphériques. Là, les promoteurs proposent des surfaces entre 100 et 200 m² entre 2 000 et
3 000 dollars le mètre carré, mais n’obtiennent pas forcément la confiance des acheteurs. « Une partie des promoteurs n’arrive pas à vendre, car leurs projets sont trop isolés. Cela complique la tâche pour le déneigement, l’électricité, les accès routiers. Les acheteurs, qui ont beaucoup d’offres, recherchent la proximité de services en commun, d’espaces d’activités pour les enfants », affirme Christian Baz. La zone de Tilal el-Assal est assez emblématique. Cette région, située entre Faqra et Ouyoun el-Simane, se situe à l’écart de la route principale, mais avait pourtant connu une forte activité immobilière ces cinq dernières années. En 2013, les dix projets en cours de construction se sont très peu vendus : en moyenne une unité par projet. Les différents produits sont assez similaires et les superficies encore un peu trop grandes, la demande s’étant focalisée sur des unités de 80 à 120 m². « Afin de pouvoir continuer la construction, nous avons vendu des chalets à des connaissances, car sinon, le marché est presque à l’arrêt », explique un promoteur de Tilal el-Assal. Les promoteurs ont dans leur grande majorité baissé leurs tarifs, mais sans que cela ne modifie franchement la donne. « J’ai baissé de 10 % ma grille de prix, mais rien n’y fait. Au-delà de 250 000 dollars, les clients sont très hésitants », explique Georges Abou Nassar, qui construit plusieurs chalets à Tilal el-Assal. « C’est un moment favorable à la négociation pour les acheteurs, les promoteurs acceptent de réduire leurs tarifs pour clôturer leurs projets », assure le promoteur Bassam Chamoun. Au final, le bilan des ventes immobilières à Kfardebiane en 2013 se révèle encore moins bon qu’en 2012, si l’on excepte les grands projets : 700 chalets sont toujours en vente sur les 1 000 en cours de construction. Le marché de la location n’a pas pour autant bénéficié de ce ralentissement prolongé des ventes : dans les quelques projets neufs à la location, la demande n’est pas non plus à la hauteur des espérances. « Le marché de la location à l’année a ralenti de 10 à 20 % par rapport à l’année 2012. La plupart des chalets se louent entre 16 000 et 24 000 dollars par an. La demande saisonnière est toujours sensiblement la même, avec des locations pour six mois entre 3 000 et 10 000 dollars », affirme Daniel Moussa, consultant immobilier chez Étage et Terre. Excepté de gros complexes résidentiels, peu de petits et moyens projets immobiliers devraient être lancés en 2014. « En 2013, le nombre de permis de construire attribués a diminué de près de 30 % », souligne Samer Btaiche, élu à la municipalité de Kfardebiane. Même si la majorité des permis concernent des projets privés, cela confirme que le ralentissement se poursuit.



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