Un article du Dossier

L’économie syrienne est durement affectée

Les banques établies en Syrie continuent de générer des profits
malgré la forte baisse de leurs actifs ; leur présence en Syrie
ne semble pas remise en cause, mais la difficulté croissante de l’environnement des affaires et les sanctions internationales posent de nombreux défis.

La performance du secteur bancaire a été très suivie depuis le début de la révolte populaire qui secoue la Syrie depuis le 15 mars 2011 en raison du caractère emblématique d’une industrie qui en est venue à symboliser la politique de libéralisation économique menée par les autorités depuis une dizaine d’années mais aussi à cause de son rôle d’indispensable intermédiaire et donc de miroir du niveau d’activité économique.
Les données disponibles à la fin du troisième trimestre de l’année 2011 montraient à la fois une chute moyenne des actifs du secteur d’environ 14 %, de 650 à 560 milliards de livres syriennes, soit 11,2 milliards de dollars, et une augmentation des profits consolidés à 3,7 milliards de livres, soit environ 74 millions de dollars.
La baisse globale des dépôts et des actifs est due à la contraction de l’activité, mais leur impact est plus significatif chez les grandes banques du secteur, dont les filiales des banques libanaises Audi, BLOM et BEMO, qui ont cherché à rationaliser leur bilan et à maintenir leur niveau de profits à travers la baisse d’attractivité de leurs dépôts. Ainsi, les actifs de la banque BEMO Saudi Fransi ont diminué de près de 26 % sur les neuf premiers mois de l’année, alors que ses profits ont augmenté de 35 % durant la même période.
De leur côté, les acteurs les plus petits du marché tentaient de profiter de la situation pour augmenter leur part de marché et attirer les déposants ayant quitté leurs concurrents. Cette tendance a surtout été observée au premier semestre de l’année durant lequel les actifs de Bank al-Sharq et de Syria Gulf Bank, par exemple, qui sont respectivement les filiales de la Banque libano-française et de la First National Bank, ont augmenté de 63 % et 38 %.
Au troisième trimestre, on observait une stabilisation des actifs et des dépôts chez ces banques aussi.
Les provisions pour créances douteuses augmentent de manière significative à 2,33 milliards de livres syriennes, ou 45 millions de dollars, au 30 septembre, soit trois fois le niveau de la fin de l’année 2010 et 1 % du total du portefeuille de crédits qui se portait à 253 milliards de livres (4,86 milliards de dollars). Au vu de la récession économique, de la fermeture de nombreux établissements et des défauts de paiement de nombreux créanciers, ces provisions sont amenées à augmenter dans les semaines et mois qui viennent.
Le système bancaire syrien souffre de la crise à deux niveaux. D’une part, la baisse d’activité crée des risques nouveaux et des perspectives incertaines et, d’autre part, les sanctions internationales, en particulier celles qui visent les transactions en dollars, créent des défis juridiques et posent la question de la relation des banques syriennes avec leur maison mère basée au Liban, en Jordanie ou dans les pays du Golfe.
La Banque BEMO Saudi Fransi (BBSF) a été l’une des premières victimes : l’un de ses deux actionnaires de référence, la Banque Saudi Fransi, a ainsi annoncé son retrait de Syrie. Les risques financiers étaient simplement trop grands pour la filiale saoudienne du groupe Crédit agricole qui devait en plus faire face à la chute de la livre syrienne dont la valeur par rapport au dollar a chuté au début du mois de décembre de 15 % sur le marché officiel et de 25 % sur le marché noir par rapport au niveau de la fin de l’année 2010. BSF était la seule institution non originaire du monde arabe à avoir investi dans le secteur bancaire syrien.
Les parts de la BSF n’ont pas encore trouvé preneur même si des responsables de la Banque centrale, l’autorité de tutelle, ont annoncé que de nombreuses institutions et particuliers avaient montré un intérêt pour une reprise partielle ou totale.
Pour la Banque BEMO, qui est un partenaire de la BSF, l’impact n’est pas négligeable, car la banque franco-saoudienne a annoncé dans le même temps la vente des parts qu’elle détenait dans la maison mère libanaise qui se monte à 10,33 %. Contrairement aux autres banques présentes sur le marché syrien, le bilan de la BBSF, qui se montait à 1,7 milliard de dollars au 30 septembre, est supérieur à celui de sa maison mère libanaise et qui est de 1,4 milliard ; le risque Syrie affecte donc en pratique l’ensemble du groupe BEMO.

Transactions en dollars

Les sanctions imposées par l’administration américaine en août ont sérieusement compliqué les transactions entre la Syrie et le monde extérieur. Toute transaction en dollars à but commercial entre une entreprise ou particulier syrien avec le monde extérieur est maintenant bannie. Seules les transactions à but non commercial, par exemple les transferts d’émigrés, sont autorisées, mais en pratique peu de banques internationales sont prêtes à en prendre le risque. La conséquence est que de nombreux Syriens sont forcés de conduire leurs opérations bancaires internationales, sources non négligeables de revenus pour les banques locales, en dehors du système bancaire syrien.
Cette nouvelle donne rappelle en partie la situation qui précédait l’ouverture des banques privées en Syrie en 2004 quand une partie des commerçants et des particuliers syriens conduisaient leurs opérations bancaires à travers le voisin libanais. À la différence de cette époque, où le passage obligé par le Liban était dû à la fermeture du système bancaire local, ce sont cette fois les sanctions américaines qui se posent en obstacle. La portée des sanctions pose d’ailleurs des problèmes bien plus difficilement contournables. De nombreuses banques libanaises n’acceptent dorénavant plus l’ouverture de comptes bancaires par des citoyens syriens non résidents au Liban et quasiment tout virement bancaire à travers le monde provenant ou à destination d’un opérateur syrien, même quand le compte bancaire en question est domicilié en dehors des frontières syriennes, est considéré suspect.
Ces restrictions sur leurs opérations internationales et les difficultés croissantes sur le marché local mettent donc les banques syriennes dans une position bien inconfortable. Parce que leur taille reste encore très modeste et qu’elles ne représentent qu’une part encore limitée des opérations de leur maison mère – à l’exception notable de la Banque BEMO –, la poursuite de leurs opérations en Syrie ne semble pas encore véritablement en jeu. Si cependant la situation de crise que traverse la Syrie devait perdurer au-delà de l’année 2012, certaines pourraient être amenées à se demander si le risque Syrie en vaut vraiment la chandelle.

 

Quatorze banques régionales en Syrie dont sept libanaises

Quatorze banques privées, dont trois offrant des services islamiques, sont actives sur le marché syrien depuis le début de l’année 2004. Elles opèrent en concurrence avec six banques du secteur public plus ou moins spécialisées par secteurs d’activités (Banque de l’habitat, Banque de l’Industrie, etc.).
Sept banques libanaises, trois jordaniennes et six de la région du Golfe sont présentes sur le marché en plus du Fonds de développement de l’OPEP qui est partenaire dans la banque Byblos. Début décembre, la Banque Saudi Fransi, l’un des deux partenaires stratégiques de la Banque BEMO Saudi Fransi – la plus grande du marché par la taille de ses actifs –, annonçait qu’elle se retirait du marché à cause des risques financiers que faisaient courir la crise politique qui secoue le pays depuis le mois de mars.
Toutes les banques régionales qui sont entrées sur le marché se sont associées à des partenaires locaux qui leur donnent une assise et une connaissance du marché plus pointue. La présence de partenaires locaux était aussi une obligation due à la limite de 49 % du capital qui était imposée à tous les actionnaires étrangers. Cette restriction a été relevée à 60 % au début de l’année 2010.

 

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