Un article du Dossier

L’économie syrienne est durement affectée

Les sanctions imposées par l’Union européenne et les États-Unis cet été ont mis en exergue, s’il en était encore besoin, l’importance du secteur pétrolier dans l’économie syrienne.

Avec une production quotidienne de 387 000 barils par jour (b/j) et des exportations d’environ 150 000 b/j, le pétrole joue un rôle prépondérant dans l’économie syrienne. Cette manne a certes diminué de manière significative depuis les années 1990, quand la production journalière de brut atteignait les 600 000 barils, mais le secteur représentait encore en 2010 environ un quart des exportations et des revenus du budget, soit près de 4 milliards de dollars sur un budget total de 16 milliards.
Les sanctions annoncées par l’Union européenne et les États-Unis en août et septembre, suivies depuis par d’autres, visent l’achat, le transport et le financement du brut syrien. Les sociétés d’assurances occidentales ont par ailleurs l’interdiction d’assurer les tankers.
L’objectif des sanctions est clair : assécher les revenus du gouvernement syrien et le forcer à faire des concessions politiques. Contrairement aux autres secteurs, les devises générées par l’exportation du pétrole rentrent directement dans les caisses de l’État.
Les sanctions font particulièrement mal dans le cas de l’Europe qui achète à elle seule près de quatre-vingt-dix pour cent des exportations de brut syrien. Les conséquences de l’application des sanctions ont d’ailleurs été immédiates : mi-octobre, le ministre du Pétrole, Sufian al-Allao, annonçait que la production journalière avait chuté de près d’un tiers à environ 270 000 barils. Le manque de débouchés à l’export a forcé en effet les producteurs locaux à réduire la voilure faute d’espace de stockage.
Le fait que les sanctions n’aient pas été adoptées par l’ONU permet théoriquement au gouvernement de s’orienter vers d’autres marchés ; en pratique cela s’avère cependant bien difficile et la recherche de nouveaux clients bute sur de nombreux obstacles d’ordre logistique et financier. Des importateurs indiens ont fait part de leur intérêt, mais admettent des difficultés pour trouver des tankers. Par ailleurs, afin d’être compétitif le ministère syrien du Pétrole se doit d’ajuster le prix d’exportation à la baisse pour tenir compte des frais de passage par le canal de Suez et des coûts de transport nettement plus élevés que pour les destinations européennes.
Cette perte substantielle de revenus ne va pas aller sans conséquence pour l’État qui a déjà le plus grand mal à boucler ses fins de mois.
Début décembre un autre train de sanctions annoncées par l’Union européenne prévoit un gel des avoirs des principales entreprises pétrolières de l’État syrien. Elles ont poussé les entreprises européennes associées à ces sociétés, en particulier Shell et Total, à annoncer leur retrait du marché.
Ce retrait prend davantage la forme pour l’instant d’une suspension que d’une fin en bonne et due forme des activités en Syrie. Au-delà de leur production, qui est modeste pour des entreprises de la taille de ces multinationales (80 000 b/j pour Shell et 25 000 b/j pour Total), la Syrie représente pour ces entreprises une tête de pont idéale pour l’un des grands marchés de la région, l’Irak. Elle est incontournable sur le long terme pour le transport du brut irakien vers les marchés européens.
La hausse du prix du baril de brut depuis une dizaine d’années a par ailleurs rendu rentable l’investissement dans des champs syriens de taille modeste. Ainsi, en plus de Shell et Total, de nombreuses sociétés de taille relativement petite se sont lancées dans la prospection, tels Suncor Energy (Canada), Maurel et Prom (France), Gulfsands (Royaume-Uni), INA (Croatie), Tatneft (Russie), IPR (États-Unis), CNPC (Chine) et ONGC (Inde).
Ces dernières n’ont pas encore annoncé leur retrait et certaines d’entre elles pourraient même être tentées de profiter du retrait de leurs compétiteurs européens pour renforcer leur position même s’il apparaît peu probable que l’environnement sécuritaire et le manque de visibilité les encourage à investir davantage dans leurs opérations syriennes.
Le secteur gazier a lui aussi été touché par le dernier train des sanctions. Les réserves et la production gazière de la Syrie ont récemment augmenté grâce à la découverte de champs autour de la région centrale de Palmyre. L’objectif à terme du gouvernement est d’utiliser la production locale pour alimenter les centrales thermiques et exporter le fuel utilisé jusque-là. L’annonce par le canadien Suncor Energy, qui exploite des champs gaziers proches de Palmyre, qu’il suspendait ses activités à la suite des sanctions européennes retarde là aussi les ambitions gouvernementales.
En ce qui concerne l’importation de produits raffinés, qui peut représenter jusqu’au tiers de la demande locale dans le cas de certains produits, tel le mazout, aucune sanction formelle n’est en place même si le gouvernement bute là aussi sur les difficultés à traiter avec le système bancaire international – à cause de sanctions américaines sur les transactions en dollars. La baisse attendue des revenus de l’État va sans aucun doute constituer un obstacle supplémentaire à l’importation.

 

Les principales entreprises étrangères opérant en Syrie

Les entreprises étrangères opérant dans le secteur pétrolier signent initialement des accords de partage de production avec l’État syrien. Après une période d’exploration, et dans le cas où des réserves sont détectées, une joint-venture est signée avec la General Petroleum Corporation pour un partage de la production. Les différentes joint-ventures sont ainsi :
- Al-Furat Petroleum Company (partenaires étrangers : Shell, CNPC, ONGC).
- Deir ez-Zor Petroleum Company (Total).
- Ebla Petroleum Company (Suncor).
- Hayyan Petroleum Company (INA).
- Oudeh Petroleum Company (Sinopec).
- Kawkab Oil Company (CNPC).
- Dejleh Petroleum Company (Gulfsands Petroleum, Sinochem).
- Al-Bou Kamal Petroleum Company (Tatneft).
- Al-Rashid Petroleum Company (IPR et ONGC).
Les coûteuses subventions des produits énergétiques

Le casse-tête auquel fait face le ministère du Pétrole syrien ne s’arrête pas à la recherche de nouveaux débouchés à l’export. L’annonce par le gouvernement en mars dernier d’une baisse de 25 % du prix du mazout a entraîné une hausse significative de la demande de ce produit qui est vendu aux Syriens à des prix défiant toute concurrence et toute logique d’équilibre budgétaire.
À 15 livres le litre, soit 0,30 dollar, le mazout est vendu à un sixième de son prix en Turquie et un tiers de son prix au Liban. Alors que le gouvernement avait annoncé à la fin de l’année dernière que tous les produits pétroliers et énergétiques verraient leur prix augmenter graduellement pour atteindre ceux du marché à la fin 2015, la crise politique a inversé les priorités : l’important pour les autorités est maintenant de mettre fin à la grogne sociale, non aux déficits. Sur les neuf premiers mois de l’année, le coût pour l’État de la politique de subvention des produits énergétiques se montait à 3,62 milliards de dollars, un chiffre qu’il faut partiellement nuancer, car une grande partie des achats à perte de produits pétroliers se fait pour le bénéfice des deux raffineries publiques.
En conséquent de sa politique de subvention, la Syrie se retrouve avec une demande de mazout en hausse (+30 % en novembre 2011 par rapport au même mois de 2010) pour un produit qui est à un tiers importé. Au-delà du mazout, le fioul et le diesel sont également facturés à des prix bien en dessous de leurs coûts.
Au problème de la demande en hausse, en partie tirée par la contrebande vers les pays voisins, s’ajoutent des problèmes d’ordre logistique qui souvent empêchent l’acheminement de produits pétroliers dans les régions les plus touchées par le mouvement de protestation. Ainsi début décembre, le mazout était vendu dans certaines parties d’Alep à près de 30 livres syriennes le litre, soit le double de son taux officiel.

 

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