Avec plus de 200.000 microcrédits octroyés en 2019, l’organisation affiliée au Hezbollah n’a jamais été aussi active, à l’ombre de la crise qui secoue le pays depuis un an.
Chez «al-Qard al-Hassan», dans le secteur Salim Salam, on se croirait presque dans une banque classique, avec ses comptoirs et ses longues files de clients venus déposer ou retirer de l’argent. Mais cette institution, qui emploie près de 500 salariés et compte une trentaine d’agences sur l’ensemble du territoire, opère totalement en marge du système financier. Affiliée au Hezbollah, elle fait partie des entités sanctionnées par le Trésor américain depuis 2007, ce qui ne l’empêche pas d’être la plus grande organisation de microcrédits du pays. L’effondrement du secteur bancaire traditionnel dans un Liban en crise depuis plus d’un an n’a fait d’ailleurs que renforcer son attractivité.
Fondée en 1983 et enregistrée en tant qu’organisation non gouvernementale depuis 1987, «al-Qard al-Hassan» collecte d’un côté des dépôts non rémunérés conformémant aux principes de la finance islamique, en dollars ou en livres, et octroie de l’autre des microcrédits. «Nous octroyons des microcrédits sans taux d’intérêt, plafonnés à 5.000 dollars (en dollars frais), visant à répondre à des besoins divers comme le mariage, le financement d’un projet ou des besoins personnels», explique son directeur exécutif, Adel Mansour.
Pour bénéficier d’un prêt à taux zéro, remboursable sur une durée maximale de 30 mois, le client doit être garanti par un déposant ou hypothéquer un objet ou des bijoux en or. Il doit également s’acquitter de frais administratifs d’environ trois dollars par mois (toujours en dollars frais ou en LL au taux du marché noir), d’éventuels frais de stockage de l’or et épargner l’équivalent de 12 dollars tous les mois, placé dans un compte non rémunéré.
Selon Adel Mansour, près de quatre crédits sur cinq, notamment ceux qui sont octroyés en dollars, sont garantis par de l’or. «La valeur du prêt ne peut pas dépasser les 70% de la valeur de l’hypothèque, ce qui permet de nous protéger du risque.»
En pleine crise, «al-Qard al-Hassan» ne souffre ainsi ni d’une hausse des créances douteuses ni d’un manque de liquidités.
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«Nous nous montrons extrêmement patients avec nos clients. En cas de difficultés, nous réduisons le montant des mensualités et prolongeons la durée du prêt. Mais ceux qui ne peuvent plus rien payer nous demandent de vendre leur or, afin de rembourser leur prêt et récupérer le reste en dollars», affirme Adel Mansour, sans avancer de chiffres. C’est ce modèle qui explique selon lui le succès de l’organisation. «Nos déposants savent que leurs économies ne disparaîtront pas, comme ce fut le cas dans les banques libanaises, tout en permettant à des milliers de personnes de sortir de la précarité. Cet environnement sans risque, qui contribue au bien-être social, a créé une dynamique de migration du système traditionnel vers notre institution. La valeur de nos dépôts a au moins doublé depuis 2019!», se félicite-t-il.
La crise financière explique-t-elle à elle seule cette migration? «Les pressions américaines sur les alliés de la résistance islamique poussent peut-être certains clients vers nous afin d’éviter les sanctions injustes», concède-t-il.
Quoi qu’il en soit, «al-Qard al-Hassan» n’a jamais été aussi actif. «Je n’ai pas encore les chiffres pour 2020, mais en 2019, nous avons octroyé pas moins de 200.000 crédits d’une valeur moyenne de 2.500 dollars, soit un total de 500 millions de dollars», affirme Adel Mansour, qui s’attend à de nouveaux records cette année. «Nous avons lancé une nouvelle campagne en octobre destinée aux petits projets dans le domaine de l’agriculture, de l’artisanat ou de l’industrie. Remboursables sur 60 mois après une période de grâce d’un trimestre, les frais administratifs sont encore plus bas et la somme peut atteindre les 80 millions de livres libanaises» fait savoir le directeur.
Un dynamisme qui fait pâlir d’envie les autres acteurs du microcrédit au Liban.
Outil de clientélisme du Hezbollah ?
«C’est simple, “al-Qard al-Hassan” donne à lui seul autant de crédits que les onze autres institutions de microfinance réunies!», s’exclame une source du secteur qui a requis l’anonymat. «L’activité est globalement pénalisée par la crise bancaire, qui impose un contrôle de facto des capitaux, ce qui n’est pas le cas d’“al-Qard al-Hassan”, qui opère en dehors du système financier», ajoute-t-elle.
Cet avantage bénéficie-t-il en particulier à la clientèle chiite et permet–il par extension au Hezbollah de renforcer son emprise sur sa communauté? « Toute personne souhaitant hypothéquer de l’or peut obtenir un prêt en moins d’une heure. Nous donnons de l’argent à des gens de toutes les confessions, et même de toutes les nationalités, sans aucune discrimination!», assure le directeur exécutif de la banque.
Mais pour le chercheur Joseph Daher, auteur du livre Le Hezbollah, un fondamentalisme religieux à l’épreuve du néolibéralisme (Syllepse 2019), il ne fait aucun doute. «En s’intéressant à la répartition géographique des agences, nous pouvons clairement voir que le service s’adresse principalement à une communauté en particulier, même s’il existe un tout petit nombre de succursales dans des régions mixtes», note-t-il.
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Dans le monde de la microfinance on se veut plus nuancé, affirmant que dans ce secteur comme ailleurs hélas, il y a une ségrégation «naturelle» du marché. «Il y a des établissements de microcrédit pour chaque communauté. L’institution al-Tamkeen par exemple sert principalement la communauté druze, tandis que la Coopérative libanaise pour le développement sert principalement les chrétiens. De fait, les gens ont tendance à se diriger naturellement vers les institutions qui leur ressemblent», ajoute la source interrogée, en reconnaissant toutefois que ce type d’établissements permet aux partis politiques de se convertir «d’actionnaires d’un État défaillant en agents de développement».
Joseph Daher, en revanche, n’y va pas pas quatre chemins. «La machine de propagande du Hezbollah fait la promotion de l’institution “al-Qard al-Hassan”, qui s’inscrit dans son réseau d’organisations et d’associations servant notamment d’outils dans sa stratégie de domination politique et à encourager sa vision de la société au sein de la communauté chiite», souligne-t-il. «Ce n’est pas vraiment un cas particulier puisque tous les partis font cela, mais pas avec la même incidence sociale au niveau de l’influence de masse», ajoute-t-il.