Un article du Dossier

Une année d’expectative sur les marchés financiers

Le 17 juin était une échéance anxiogène pour le Forex, le marché international des changes. Les électeurs grecs ont finalement choisi le parti conservateur favorable à la politique d’austérité, ce qui a éloigné d’un coup la perspective de sortie de l’euro de la Grèce à court terme. Ce résultat vient donner une bouffée d’oxygène à une zone euro fragilisée par la crise des dettes souveraines et a détendu les cambistes à travers le monde, ce qui a provoqué une remontée immédiate de l’euro face au dollar. Mais la modération de cette hausse et la fluctuation des cours dès le lendemain montrent que les marchés ne veulent pas pêcher par excès d’optimisme, et restent attentistes à moyen terme. La tendance haussière de l’euro face au dollar s’explique également par un rebond dit “technique” depuis début juin, qui consolide le mouvement baissier du premier trimestre 2012. L'euro reste soutenu par le rapatriement de fonds des institutions européennes qui, sous la pression de leurs gouvernements, liquident leurs investissements à l'étranger pour investir dans les obligations des Etats européens. « La monnaie est soutenue par cette politique de repli », note Paul Donovan, économiste de la banque suisse UBS.
Que les cours soient en hausse ou en baisse, le trading sur le marché des changes est en tout cas très intense depuis quelques semaines. Élections grecques, réunions du G20, de la BCE et du FMI sont autant de rendez-vous sources d’inquiétudes pour les marchés. Du côté de l’euro, sont nombreux à spéculer en se positionnant à court terme. Un avis partagé par Tarek el-Ahdab, vice-président de l’Arab Finance Corporation (AFC). « Nous sommes globalement baissiers sur l’euro. La monnaie est amenée à s’affaiblir si certains pays périphériques de la zone ne se redressent pas. Nous préconisons le court terme, car les problèmes et l’incertitude vont persister. » Car à long terme, les perspectives sont plutôt à la baisse, sauf si des pays périphériques de la zone décidaient de sortir de la monnaie unique. Mais ce scénario catastrophe paraît actuellement peu probable. Nous estimons que l’euro variera entre 1,1850 et 1,2850 dollars », précise Christina Azouri, Senior Investment Advisor au Crédit agricole suisse. Pour ceux qui préfèrent investir à plus long terme, il n’est pas l’heure de s’alarmer. « Si l’on possède des actifs solides, il ne faut surtout pas partir en courant maintenant », annonce Paul Donovan.
Le cours du dollar connaît également de fortes tensions. Les chiffres décevants du chômage et de la croissance rendus publics mi-juin par Washington inquiètent les marchés. Les taux sont volontairement maintenus bas par la réserve fédérale (Fed) pour soutenir la reprise, et cette dernière ne devrait pas changer de ligne avant 2014 et écarte pour l’instant l’idée d’un troisième cycle d’assouplissement quantitatif, ou “QE3” dans le jargon, qui lui ferait injecter de nouveau des liquidités dans le système financier. Le billet vert reste néanmoins un bon investissement pour les amateurs de placements à long terme. Le Crédit agricole suisse s’intéresse lui aux différentiels de croissance et de taux d’intérêt relatifs. De fortes variations sont à prévoir dans les semaines et mois à venir.

Succès des monnaies “refuges”

Dans ce contexte incertain, les cambistes se tournent vers les monnaies dites “refuges”, perçues comme des alternatives à l’euro et au dollar. Les dollars canadien et australien, fortement liés au cours des matières premières, sont assez prisés en général. « Ces monnaies ont des fondamentaux économiques solides », note Nadim Kabbara, qui dirige le département recherche de la FFA Private Bank. « Nous continuons de privilégier les devises sensibles aux matières premières face au dollar américain et à l’euro : le dollar australien et le dollar canadien. Après avoir souffert de prise de profit, le dollar australien traite désormais à des niveaux attractifs », analyse Christina Azouri. Le dollar australien est à surveiller, car il est lié à la croissance japonaise et à l’évolution de l’euro, ce qui le rend plus volatile. Le PIB australien au premier trimestre a augmenté de 1,3 % contre une attente de 0,5 %, ce qui a donné un coup de pouce à la monnaie. Néanmoins, certains spécialistes ne s’y attardent pas trop. « Les dollars canadien et australien, traditionnellement considérés comme des monnaies de diversification, ne seront vraiment intéressants que si une crise pétrolière survient, ce qui ne paraît pas d’actualité », note Paul Douaihy, directeur du Centre de recherches en économie et marchés financiers de l’Université de Balamand.
Les couronnes suédoise et norvégienne sont également considérées comme une alternative intéressante aux devises de référence, mais l’afflux de monnaies étrangères vers ces États a été freiné par la crainte d’un manque de liquidités en Suède et par la baisse des taux d’intérêt en Norvège. La livre sterling est une autre option relativement stable. Son cours s’est apprécié avec les achats des banques centrales. « La Bank of England ne devrait pas hausser ses taux dans un futur proche », considère l’économiste d’UBS Paul Donovan. Mais certains experts attribuent son niveau actuel à une phase de valorisation, car la monnaie a longtemps été sous-évaluée. Le risque est donc que cette valorisation ne dure pas.
Le chouchou des cambistes reste le franc suisse, qui subit quelque peu le contrecoup de sa popularité des derniers mois. La Banque nationale suisse (BNS) a dû fixer un taux de change plancher à 1,20 franc pour un euro en septembre 2011 pour éviter à la monnaie le statut de valeur “refuge”. Mais pour Christina Azouri cela pourrait ne pas être suffisant. « Des données récentes indiquent que le niveau de 1,20 pourrait ne pas être suffisamment élevé à terme pour mettre l’économie suisse, déjà fragile, à l’abri de l’effet de contagion qui déferle sur toute l’Europe. » La mesure a diminué l’attractivité du franc auprès des spéculateurs, mais la monnaie continue d’attirer une foule d’investisseurs en quête d’une devise “sûre”.
Un autre pays qui a adopté cette politique est le Japon : il a injecté l’an dernier 10 trillions de yens, soit près de 128 milliards de dollars, sur son marché en rachetant des actifs, afin de diluer la valeur de sa devise. Cette mesure n’a apparemment pas été totalement satisfaisante, car mi-juin le ministère des Finances a menacé d’intervenir pour freiner l’ascension rapide du yen qui pénalise les exportateurs. Car le yen a atteint son plus haut niveau depuis décembre 2000 face à l’euro, qui a chuté jusqu’à 96,51 yens. Considérée comme une valeur “refuge”, la devise se renforce à mesure que se confirment les incertitudes sur les marchés européens. Depuis septembre 2010, les autorités japonaises sont déjà intervenues quatre fois sur le marché des changes. Une autre nouvelle concernant le Japon est la mise en place le 1er juin d’un échange direct du yen avec le yuan chinois, sans passer par l’intermédiaire du dollar américain comme c’était le cas jusqu’ici.

Le yuan, nouvelle devise d’échange ?

La monnaie chinoise traverse elle aussi une période houleuse. D’une hausse de 4,7 % face au dollar l’an dernier, le yuan a chuté de 1,1 % entre janvier et mai 2012. Les États-Unis accusent les autorités chinoises de maintenir les taux artificiellement bas pour soutenir les exportations et le FMI critique le système de taux de change “trop rigide”. En avril 2012, la Banque centrale avait pourtant surpris tout le monde avec sa première baisse des taux d’intérêt de référence depuis 2008 et pris une mesure pour libéraliser son secteur financier, en accordant plus de latitude aux banques pour fixer leurs propres taux. Ces mesures montrent que la Chine entame un processus d’émancipation du dollar. La banque UBS dans sa parution “Investor’s guide” du mois de mai envisage une hausse de 2,5 % du yuan face au dollar dans l’année à venir. « La devise à 6,40 yuans pour un dollar est à un bon niveau d’achat », estime Antoine Salamé, d’Optimum Invest. L’excédent commercial avec les États-Unis fait également pression sur le taux de change. L’usage du yuan comme devise d’échange devrait se généraliser dans les années à venir, en défaveur du billet vert.
La Banque centrale russe tente elle aussi de soutenir les liquidités et atténuer la volatilité du cours du rouble. Les principaux taux d’intérêt restent toutefois inchangés. Le rouble pâtit directement de la crise européenne, qui a poussé les investisseurs hors de marchés à risques comme la Russie.
Certaines monnaies de pays émergents plus modestes sortent leur épingle du jeu. C’est le cas notamment de la roupie indonésienne, du baht thaïlandais, du ringgit malaisien, du dollar de Singapour et du won sud-coréen. « Elles constituent de meilleurs substituts pour exprimer la poursuite de la réévaluation du yuan chinois », explique Christina Azouri. En revanche, la roupie indienne traverse plutôt une mauvaise passe. Les cambistes parient sur la baisse de la monnaie après que la Banque centrale ait décidé de conserver ses taux. En outre, la baisse de la notation du pays par l’agence Fitch n’a pas rassuré les marchés.
La stratégie du “carry trade” profite également aux monnaies émergentes. Les investisseurs empruntent de l’argent en yen ou dollar qui ont des taux d’intérêt bas, et font l’échange contre des monnaies avec des taux élevés, comme le Mexique. Ils spéculent ensuite sur des actifs risqués pour gagner une double différence/bonus lorsqu’ils revendent, à la fois sur le change et les actifs. Cela procure un effet de levier garanti, mais avec une forte prise de risque. Cette technique a permis au peso mexicain de grimper de 20 % contre le yen en début d’année, tout comme le rand sud-africain à 16 % et le réal brésilien de 11 % par rapport à la devise japonaise.

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