Un article du Dossier

Une année d’expectative sur les marchés financiers

La situation du Liban, si elle n’est pas catastrophique, est loin d’être aussi florissante que celle des pays exportateurs du CCG. La croissance de plus de 7 % affichée entre 2007 et 2010 est désormais un lointain souvenir, victime des tensions politiques intérieures et régionales. Le FMI table plutôt cette année sur une prévision avoisinant les 3 %. Autre coup dur pour le pays, l’agence de notation Standard and Poors a dégradé fin mai la note souveraine de long terme de stable à négative. En cause : la hausse du risque domestique et géopolitique aggravé par les affrontements en Syrie.
Mais les investisseurs ne sont pas inquiets outre-mesure. Les performances économiques du début d’année sont assez rassurantes et les risques sont atténués par les importantes réserves de devises dans les coffres de la Banque centrale et par le soutien d’un système bancaire liquide. « Rien de nouveau n’est vraiment à noter cette année », remarque Nadim Kabbara, qui dirige le département recherche de la FFA Private Bank. Pour lui, l’exposition des banques libanaises aux tensions en Syrie n’est pas alarmante jusqu’ici et les établissements bancaires adoptent une attitude conservatrice vis-à-vis de la région qui rassure les opérateurs. Les dérivés sur événement de crédit ou Credit Default Swap (CDS), contrats de protection financière entre acheteurs et vendeurs, restent stables même avec l’instabilité politique récente. Ils se distinguent des CDS européens, eux très instables.

Des actions sous-évaluées

Les actions des entreprises libanaises sont globalement sous-évaluées depuis quelques mois, affectées par l’instabilité régionale. « Elles proposent des dividendes pouvant atteindre 6,5 %, ce sont de bons placements de moyen terme », note Toufic Aouad, directeur général de la banque privée Audi-Saradar. Selon Dory Hage, directeur du département Conseil en investissement de la Libano-Française Finance, bras de la Banque libano-française (BLF), cette chute a conduit les actions des banques libanaises à traiter à des niveaux très proches de leur valeur comptable et cela sur des perspectives négatives de rentabilité. L’indice BLOM affiche ainsi depuis le début de l’année une performance négative de l’ordre de 16 %. « Cette situation risque de persister avec l’incertitude qui règne sur la région », explique le spécialiste. De son côté, l’action Solidere a souffert de la publication des chiffres de l’entreprise début juin, qui affiche une baisse de près de 17 % de ses bénéfices nets en 2011. Son activité est sensible à la fois aux évolutions politiques de la région et à la baisse générale des transactions immobilières. Solidere reste néanmoins une des principales entreprises du pays et les spécialistes, qui considèrent le titre encore comme sous-évalué, se positionnent à long terme sans trop de craintes.
Les flux pâtissent également de la torpeur de la Bourse de Beyrouth, qui attire traditionnellement peu d’investisseurs. Cette critique de la place boursière de la capitale n’est pas neuve, tous les professionnels s’accordent pour dire que des améliorations doivent être apportées. « Le Liban doit se forger une plus grande crédibilité en tant que place financière, il faut augmenter le nombre de sociétés cotées, augmenter les liquidités. Le marché manque aujourd’hui de profondeur », regrette Toufic Aouad.
En ce qui concerne la dette, le marché est assez stable. Les eurobonds de l’État libanais ont connu une période de prospérité entre 2008 et 2010. « Les prix de ces instruments se sont envolés et leurs rendements se sont effondrés », se souvient Dory Hage. Aujourd’hui, les tensions sécuritaires et politiques ont fait baisser les prix. Pour Antoine Salamé, d’Optimum Invest, il reste quand même de bonnes opportunités à saisir. « À travers des fonds, un investisseur peut espérer un rendement mensuel de 7 à 8 %, alors qu’il faut investir dans des papiers de maturité 2026 pour recevoir par exemple 6,35 % en dollars. » Pour Dory Hage, les rendements de la dette publique sont moins attractifs que d’autres opportunités de placements avec des rendements relativement meilleurs comme certains dépôts. L’investissement dans de la dette d’entreprise reste lui marginal. Les émetteurs d’obligations “corporate” sont aujourd’hui principalement les banques. Ces dernières peuvent être intéressantes, car soutenues par la forte liquidité. Une possibilité est de passer par les actions préférentielles, ou “preferred shares”, mais les investisseurs non avertis doivent bien comprendre ce qu’ils achètent...

Dépôt : le placement roi

Mais la vedette des placements reste le dépôt, grand favori des Libanais. Les banques commerciales abritaient fin avril 118,8 milliards de dollars en dépôts du secteur privé, une hausse de 8 % en glissement annuel. Cela représente plus de trois fois le montant du PIB du pays. « La résilience du secteur bancaire libanais et la capacité du pays à surmonter les multiples crises qu’il a connues ont renforcé la confiance des investisseurs et augmenté l’appétit pour les dépôts », explique Dory Hage. Les banques proposent un large panel d’offres en livres libanaises, dont le rendement peut atteindre 6,5 %, et en dollars entre 3,5 et 4 %. « C’est pour cela que les Libanais sont très exigeants, s’ils placent leur argent à l’extérieur du pays, ils veulent que cela leur rapporte des rendements supérieurs à leurs dépôts locaux », estime Antoine Salamé. Il explique qu’il est intéressant de convertir des dollars en livres libanaises pour profiter des taux avantageux. Le taux de dollarisation de dépôts a d’ailleurs diminué entre avril 2011 et avril 2012, passant de 66,2 % à 65,1 %, ce qui montre un appétit pour la livre bien que le billet vert garde sa forte avance. « Beaucoup préfèrent désormais investir au Liban, où ils maîtrisent le risque, qu’en Europe ou aux États-Unis où les risques sont imprévisibles », constate le financier. Un avis partagé par Nadim Kabbara, qui ajoute : « Nous acceptons le risque lié à la livre libanaise, c’est normal que nous soyons payés pour cela ! »
L’immobilier est enfin un autre biais pour placer ses fonds. Après les hauts atteints ces dernières années, le secteur est plutôt en phase de correction. Le marché connaît un ralentissement des ventes depuis l’an dernier et la tendance est neutre aujourd’hui. Le déséquilibre entre l’offre et la demande est pointé du doigt, avec un manque de petits appartements et un trop plein d’offres de haut de gamme. La hausse des prêts devrait soutenir les prix des petites surfaces. Pour Dory Hage, le secteur peut rapporter si l’on accepte de placer des fonds sur le long terme, mais à court terme il présente un faible potentiel de plus-value.

 

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