Véritable événement culturel, “Bosta” est aussi un ovni économique ; cette fable musicale sur la reconstruction a bénéficié d’un financement inhabituel au Liban dont pourraient s’inspirer d’autres cinéastes.
Moins que Titanic, plus que King Kong et Zorro
conçu pour plaire à l’ensemble du monde
arabe. Le réalisateur a commencé à démarcher
plusieurs pays de la région où il table sur
200 millions de spectateurs parlant la même
langue. Neuf copies du film ont été présentées
à Dubaï et aux Émirats arabes unis en mars ;
le Koweït et Bahreïn devraient suivre en avril.
La grande inconnue reste l’Égypte. Le potentiel
y est immense, mais ce marché n’a jamais
été vraiment ouvert aux films étrangers,
même arabophones. Les négociations se
poursuivent aussi pour le Maghreb. En
Europe, Bosta est pris en charge par une
société française, Wide Management, qui l’a
déjà présenté au marché de Berlin. Aractingi
est satisfait de ce début, car d’ordinaire un
film tel que le sien a du mal à se vendre en
Europe, parce qu’il n’est pas un film d’auteur
et n’appartient pas non plus à un genre connu,
comme celui de Bollywood. C’est grâce à la
L e succès public et commercial de Bosta
(120 000 entrées à ce jour, soit un
record pour un film libanais) valide du
même coup son mode de financement, inédit
au pays du Cèdre.
LE SUCCÈS AU RENDEZ-VOUS
En parvenant à lever 1,15 million de dollars,
Philippe Aractingi – qui cumule les postes
d’auteur, de réalisateur, de producteur et de
distributeur du film – prouve non seulement
que l’on peut financer un film libanais autrement
qu’en se faisant subventionner par des
organismes européens, mais aussi que l’opération
peut s’avérer rentable.
En 14 semaines à peine, les revenus sont de
250 000 dollars, soit 23 % de la mise initiale.
L’exploitation du film sur le marché libanais
n’est qu’une première étape, Bosta ayant été
réussite du long-métrage au Liban et à tout le
battage médiatique qui s’en est suivi que
Bosta a attiré l’attention des professionnels du
cinéma à l’étranger. Les Français ont euxmêmes
contacté Aractingi, qui a aussi été sollicité
par des Américains et même des
Australiens.
« Les bénéfices se mesureront au nombre de
marchés où le film sera diffusé, explique le
réalisateur, car chaque vente prévoit un minimum
garanti de 20 000 à 300 000 euros
selon les pays. » Au total, Aractingi table “raisonnablement”
sur 150 000 spectateurs en
Europe et 230 000 au Moyen-Orient, ce qui
représenterait respectivement 330 000 et
400 000 dollars de revenus.
Mais les recettes ne se limitent pas à la billetterie.
Le “produit” Bosta a en effet été vendu
aux investisseurs en fonction de son potentiel
en matière de produits dérivés, que ce soit le
DVD, le CD de la bande originale ou un spectacle
de comédie musicale.
Les ventes de DVD débuteront en principe six
mois après la sortie en salle. La cession des
droits de diffusion à la télévision pourrait rapporter
80 000 à 250 000 dollars au Moyen-
Orient et 75 000 à 300 000 euros en Europe.
Disponible depuis le 1er décembre, la bande
originale du film est en tête des ventes du
Virgin Megastore avec 1 400 copies écoulées.
Le chiffre déçoit Aractingi qui n’a pas prévu
l’impact du piratage et admet avoir fait un
mauvais calcul. « Contrairement à nos prévisions,
le CD rapportera moins que le DVD. »
De l’adaptation scénique du film, conçue par
Élissar Caracalla, Aractingi espère tirer jusqu’à
450 000 dollars. La comédie musicale sera
En 12 semaines d’exploitation,
Bosta a attiré plus de
120 000 spectateurs dans
les cinq salles où il était projeté.
Le chiffre est encore
plus impressionnant lorsqu’on
le compare aux
scores d’autres productions
du même calibre. Avec
115 000 entrées, SL Film
détenait le record de fréquentation
pour un film
libanais. Al-Meshwar occupait
la deuxième place,
avec 76 000 entrées, suivi
de West Beirut (75 000
entrées). Autour de la maison
rose (11 000 entrées) et
Beirut the Ghost City (4 000
entrées) arrivaient loin derrière.
Dans la catégorie des productions
américaines,
Titanic détient le record
absolu. Mais Bosta n’a rien
à envier à d’autres mastodontes
comme Bodyguard
(137 000 entrées), les
deux James Bond
Tomorrow Never Dies
(135 000 entrées) et Die
Another Day (162 000
entrées) qui ont même
bénéficié d’une diffusion
plus large, dans huit à dix
salles en moyenne.
Bosta a un autre motif de
fierté : les films qui le
devancent au box-office
sont sortis à un moment de
forte fréquentation des
salles (3,4 millions de spectateurs
par an), alors qu’elle
est tombée à deux millions
en 2005. Autrement dit,
moins de personnes vont
au cinéma, mais davantage
se sont déplacées pour
Bosta qui a devancé King
Kong et Zorro, parallèlement
à l’affiche. Ces deux
blockbusters n’ont fait respectivement
que 78 000 et
90 000 entrées. Bosta est un film musical sur la reconstruction
tellement différent du regard occidental qu’un
responsable du Centre national du cinéma
français m’a affirmé sans sourciller qu’il était
loin de la réalité libanaise ! »
Face à ce mur d’incompréhension,
Aractingi décide de collecter ses fonds
ailleurs. Le cinéaste consulte la société
financière Arab Finance Corporation qui lui
explique comment transformer un produit
culturel en un produit financier.
APPORT DE LA LBC
Le montage suppose la collecte d’un minimum
de 800 000 dollars (déposés sur un
compte bloqué à la BLOM) avant que la production
ne puisse démarrer. Mais à la date
prévue, en décembre 2003, Aractingi ne dispose
que 200 000 dollars apportés par des
proches et le fonds d’aide audiovisuelle de
l’Agence intergouvernementale de la francophonie
(80 000 euros). Le réalisateur
demande donc six mois de délai. « J’ai rencontré
par hasard Élie Gebrayel, du groupe
Erga, qui accepte une participation à hauteur
de 10 % et me redonne espoir après de
nombreuses promesses non tenues. »
En fin de compte, il réussit à convaincre 26
investisseurs, dont certaines institutions
comme la SNA et l’agence Saradar
Assurances, mais surtout des proches et
des particuliers ; « plusieurs banquiers
mais pas de banques », souligne-t-il.
C’est en fait la participation « très importante
» de la LBC qui permet au projet de
s’envoler. Le 27 juin 2004, trois jours avant
la date butoir pour la réunion des 800 000
dollars, le PDG de la chaîne, Pierre Daher,
apporte les deniers manquants. La production
du film débute, ce qui facilite l’arrivée
d’autres investisseurs à qui le réalisateur a
pu montrer du concret : ses rushs.
Philippe Aractingi espère que son expérience
servira à l’ensemble de l’industrie cinématographique
libanaise. C
En fin de compte, Bosta aura coûté 1,15
million de dollars dépensés de la façon
suivante :
- Préproduction : 137 000 dollars
- Production : 470 000 dollars
- Équipe/acteurs : 142 000 dollars
- Postproduction : 224 000 dollars
- Autres : 123 000 dollars
- Frais généraux : 55 000 dollars.
Où a été l’argent
L’objectif initial était de réunir 1,4 million
de dollars à travers un véhicule
financier, structuré spécifiquement pour
Bosta. Autobus Ltd, la société de Philippe
Aractingi, a ainsi émis 140 certificats de
participation de 10 000 dollars chacun
(une somme unitaire relativement
réduite de façon à laisser la porte ouverte
aux petits portefeuilles). Les certificats
ne sont pas garantis et ne donnent
aucun droit de regard sur la production,
mais ils bénéficient d’un droit de rémunération
prioritaire, jusqu’à remboursement
complet de la mise initiale, augmenté
de 15 % de rendement annuel
cumulé. Ils bénéficient en outre de
80 % des bénéfices supplémentaires
éventuels, les 20 % restants allant à
Autobus Ltd. Les recettes de Bosta et de
ses produits dérivés (CD, spectacle, etc.)
seront distribuées cinq ans après le lancement
du film. L’ensemble des bénéfices
réalisés au-delà de cette date ira à
la société de Philippe Aractingi.
Le montage financier
proposée à des festivals libanais (Beiteddine
ou Baalbeck) mais aussi étrangers, tels
que celui de Carthage ou de Marrakech.
En tout et pour tout, Bosta pourrait réaliser un
chiffre d’affaires de 2,1 millions de dollars et
un bénéfice de 1,375 million de dollars, soit un
retour sur investissement de 20 % à terme.
Pour Philippe Aractingi, ce succès confirme
doublement la pertinence de sa stratégie
de financement, même si l’opération n’a
pas été évidente à monter. Non seulement
le réalisateur estime avoir prouvé que le
cinéma libanais peut être rentable, mais,
selon lui, le choix du mode de financement
a été un élément déterminant de la réussite
du film, car il lui a permis d’en contrôler
entièrement le contenu.
« Si Bosta plaît tant, c’est parce que le film
reflète une certaine identité libanaise, ce qui
aurait été impossible avec un financement
“classique”, car la France (principale source
des subventions au cinéma libanais, à travers
des organismes comme le Fonds Sud, Arte, le
CNC, etc.) favorise toujours le même type de
scénario à caractère culturel, des films français
en langue arabe qui répondent à la vision
que le Nord a du Sud, dit le réalisateur. Or,