La production d’huile d’olive est en forte croissance au Liban. Mais faute de technologies modernes, elle risque de ne pas trouver de débouchés.
L’exploitation de l’olivier est en forte
croissance au Liban, car la culture
de cet arbre fruitier, symbole de la
Méditerranée, est relativement facile.
L’oléiculture qui représente l’attachement
au terroir, cher aux populations rurales,
n’est pas forcément liée à une notion de
rentabilité. D’où la croissance des surfaces
plantées. Celles-ci sont passées de
52 000 hectares en 1998 à 57 000 hectares
en 2002, soit une augmentation de
1,5 % par an, selon un rapport réalisé
pour le ministère de l’Agriculture par un
projet de la FAO (Organisation des Nations
unies pour l’alimentation et l’agriculture).
Cette croissance donne l’illusion d’un secteur
en pleine vigueur. En fait, les agriculteurs
ne sont pas dans une logique de performance
économique. Ils se contentent de
satisfaire leur propre consommation (l’autoconsommation
est estimée à 4 000
tonnes, soit le quart de la demande totale,
un volume très important) ; utilisent les
résidus solides pour se chauffer et transforment
en savon l’huile non comestible.
Leur meilleure récolte, ils la vendent à un
réseau de clients restreint qui, croyant
accéder au nec plus ultra, paient entre trois
et six dollars le litre, alors que la qualité
n’est pas prouvée. Mais la pression est à la
baisse sur les prix, car, d’une part, les
Libanais ne sont pas informés des niveaux de
qualité et, d’autre part, contrairement à ce qui
se passe sur le marché international où l’huile
extravierge est vendue deux fois plus cher
qu’une huile vierge, les deux qualités sont à
peine différenciées au Liban, l’une étant proposée
à 3,2 dollars et l’autre à deux dollars en
moyenne. L’importation, souvent frauduleuse,
d’huile syrienne, écoulée entre 1,2 et 1,9
dollar, oblige par ailleurs les producteurs libanais
à s’aligner, même si ces tarifs ne cou- vrent pas leurs coûts de production.
La tendance est appelée à s’accentuer,
étant donné le déséquilibre croissant entre
l’offre et la demande qui risque de faire
chuter les prix à des niveaux insoutenables
pour les agriculteurs. Selon les prévisions
de la FAO, la production d’huile d’olive sera
de 20 000 tonnes en 2010 et de 25 500
tonnes en 2020, soit 35 à 45 % de plus
qu’aujourd’hui. En parallèle, la demande
devrait atteindre seulement 19 200 tonnes
en 2010 et 22 200 tonnes en 2020, contre
16 500 tonnes aujourd’hui, les Libanais
n’étant paradoxalement pas de grands
consommateurs d’huile d’olive par rapport
à leurs voisins méditerranéens.
Les excédents ne sont pas un phénomène
spécifique au Liban. La production mondiale
a en moyenne évolué de 2 % par an durant
les deux dernières décennies, alors que la
consommation n’a progressé que de 1,7 %.
Dans la course engagée entre les producteurs
pour se partager le marché, le Liban
n’a qu’une alternative : se différencier par la
qualité faute de pouvoir le faire par les prix.
EXPORTATION RÉUSSIE
Certains acteurs ont décidé de relever le
défi. Le but est à la fois d’augmenter la
productivité et la qualité. Moyennant
l’adoption de certaines techniques, le rendement
des oliveraies libanaises pourrait
atteindre 10 000 kg/ha, alors que 80 % des
producteurs libanais plafonnent actuellement
entre 1 500 kg/ha et 5 000 kg/ha,
pour une qualité moyenne.
Ces objectifs sont tout à fait réalisables,
selon Nadine Richani, directrice des programmes
de Mercy Corps, une ONG financée
par USAid. Le secteur a en effet beaucoup
d’atouts et il suffit simplement de le
perfectionner. Mercy Corps a ainsi lancé un
projet de deux ans, dans le sud du Liban,
destiné à former les producteurs afin
d’augmenter leurs revenus et les inciter à
fabriquer une huile extravierge correspondant
à la demande des fins gourmets.
La Fondation René Moawad est engagée
dans un processus similaire. Elle a embauché
un expert italien chargé d’évaluer la
qualité des pressoirs libanais. Selon
Tommaso Piccardi, le matériel utilisé n’est
pas assez performant et les techniciens
manquent de savoir-faire. Résultat, alors
que l’olive libanaise est « très bonne » et
que les analyses chimiques donnent d’excellents
résultats, la qualité de l’huile n’est
pas optimale. Il préconise donc de moderniser
les équipements, car le retour sur
investissement est possible en cinq à six
ans. La productivité des lignes de fabrication
modernes est en effet trois fois supérieure
à celle des pressoirs classiques. Les
nouvelles techniques permettent en outre
de vendre les 16,6 litres (unité de mesure
locale) à un minimum de 80 dollars, alors
que le prix du bidon varie actuellement
entre 40 et 120 dollars.
Investir dans la qualité est en tout cas le
seul moyen pour le Liban de se positionner
sur le marché mondial, estiment les
experts. La Fondation René Moawad en a
fait l’expérience avec l’exportation réussie
d’une huile d’olive produite à Batroun et
commercialisée par la chaîne de magasins
Olivier & Co. « L’huile libanaise a été classée
troisième derrière celle de Toscane et
d’Espagne », se félicite Nabil Moawad.
La Fondation a réédité l’expérience, à
une plus grande échelle, en partenariat
avec le groupe Obégi et l’ONG américaine
SRI International en lançant en juin
dernier une série d’huiles d’olive extravierge
baptisées “Traditions du Liban”,
étiquetées en fonction de leur origine
géographique. Financé à 70 % par
USAid, le projet est un exemple des
synergies possibles entre différents
acteurs. La Fondation Moawad a assuré
le suivi technique des agriculteurs ?
Un verger abondant, mais vieillissant
L’olivier est présent partout sur le territoire libanais :
- Il représente 20 % de la production agricole végétale en valeur et 15 % du total,
élevage inclus.
- 56 % des exploitations agricoles s’y consacrent à titre principal ou secondaire.
Ce ratio atteint 82% à Nabatieh.
- Il occupe 21 % de la surface agricole utilisée du Liban. Le ratio atteint 45 % à Nabatieh
et n’est que de 3 % dans la Békaa.
- Il est planté dans 200 000 parcelles, soit 40 % des parcelles agricoles libanaises.
- Il emploie 110 000 oléiculteurs à temps plein ou partiel.
Mais le verger n’est pas très productif :
- Il vieillit : 16 % des oliviers ont moins de 10 ans. Plus de 36 % des oliviers ont
plus de 50 ans. Dans le Mont-Liban et au Liban-Nord, ce ratio est de 50 %,
alors que la production commence à fléchir à partir de 70 ans.
- Les variétés traditionnelles permettent d’extraire seulement 20 à 25 % de leur poids
en huile d’olive, alors que le rendement des plants importés d’Espagne et d’Italie est
plus élevé.
- Les trois quarts des 435 pressoirs opérationnels au Liban sont des unités
traditionnelles. Seule une centaine d’unités utilise des technologies modernes.
Source : Rapport réalisé pour le ministère de l’Agriculture par un projet de la FAO. C
Seule la moitié de l’huile libanaise est comestible
L’étiquette “vierge
extra” sur une bouteille
d’huile d’olive garantit
que le taux d’acidité est
inférieur à 1 %. Plus ce
taux est faible, plus la
qualité est élevée. Mais
les analyses chimiques
ne suffisent pas à évaluer
les huiles d’olive.
Un jury de dégustation
classe les produits en
fonction de leurs propriétés
organoleptiques
(caractères olfactifs et
gustatifs).
Au Liban, la production
de la qualité extravierge
représente moins de
3 000 tonnes, soit 10 %
du total, alors qu’elle
pourrait atteindre plus
de 10 000 tonnes si un
effort était réalisé pour
moderniser les techniques
de transformation.
En termes de revenus,
le potentiel de
hausse est de 30 millions
de dollars par an.
Le Liban n’exploite pas son potentiel d’exportation vers l’Europe
L’importation d’huile
d’olive en provenance
de l’Union européenne
est protégée par des
droits de douane de
70 %, l’Accord d’association
conclu avec
Bruxelles prévoyant une
période de transition de
12 ans avant la libéralisation
des échanges. Le
Liban n’a ainsi importé
qu’une seule tonne
d’huile d’olive extravierge
en 2005. En
revanche, l’exportation
vers le marché unique
est autorisée à hauteur
de 1 000 tonnes. Ce
quota n’est pas rempli
par les producteurs libanais,
même si entre
2002 et 2004, les exportations
d’huile d’olive
extravierge sont passées
de huit à 42 tonnes, soit
une hausse d’à peu près
420 %. Si le Liban exportait
1 000 tonnes, cela
représenterait un marché
de 3,5 millions de
dollars, contre 147 000
dollars actuellement.
Les importations en provenance
de Syrie, grand
producteur d’huile d’olive,
sont nettement plus
élevées, les prix étant
très compétitifs. Elles
sont passées de 33
tonnes en 2004 à 532
tonnes en 2005. On estime
cependant à 2 500
tonnes les importations
informelles.
Part de chaque Part de chaque catégorie
catégorie au Liban en Espagne
Total de l’huile à qualité comestible 51% 91%
- Huile d’olive extravierge 10% 40%
- Huile d’olive vierge 30% 23%
- Huile d’olive ordinaire 11% 28%
Total de l’huile d’olive lampante (acidité > 3,3 %) 49% 9%
Total de l’huile d’olive produite 100% 100%
Sources : Lipsos, FAO, ministère de l’Agriculture, 2003.
L’huile d’olive n’est pas
si prisée des Libanais
Pays Consommation annuelle
d’huile d’olive
par habitant (kg)
Grèce 18,7
Italie 12,6
Espagne 8
Syrie 6,4
Liban 4,8
Jordanie 3,9
situés dans le Nord. Une fonction également
remplie par des ONG dans d’autres
régions du pays. Le groupe Obégi a,
quant à lui, pris en charge le marketing,
la publicité et la commercialisation du
produit, à travers l’une de ses sociétés,
Dove Processing, qui a ensuite cédé la
marque à sa filiale al-Wadi al-Akhdar.
Les producteurs qui participent au projet,
coordonné par SRI International, ont la garantie
de vendre leur huile entre 4,4 à 4,5 dollars,
à condition de respecter un cahier des
charges. Mise en bouteilles par la Fondation,
l’huile est vendue à al-Wadi al-Akhdar entre 5
et 5,5 dollars, selon la qualité. À charge pour
le groupe agroalimentaire de l’exporter.
OBJECTIF : LES LIBANAIS
DE LA DIASPORA
La stratégie d’al-Wadi al-Akhdar est claire :
cibler les Libanais de la diaspora et, plus
globalement, les consommateurs à fort
pouvoir d’achat, en leur proposant des
huiles d’olive issues de différents terroirs
libanais. « Les quantités produites au Liban
ne permettent pas de rivaliser avec des
pays comme l’Espagne, l’Italie ou la Grèce,
explique Serge Zarka, directeur export du
groupe agroalimentaire. En revanche, en
se positionnant sur des niches, l’huile
libanaise a pénétré les marchés français,
suédois, canadien et américain. Elle
devrait bientôt s’exporter en Autriche, en
Grande-Bretagne, au Brésil et en
Argentine. » Quel que soit le succès de
cette entreprise, il ne suffira pas à faire
tache d’huile sur l’ensemble de la filière
faute d’implication de l’État, car les agriculteurs
n’ont pas les moyens, seuls, d’effectuer
les investissements nécessaires.
Sur les 435 pressoirs traditionnels en fonction
au Liban, seuls 145 peuvent être
modernisés. Le coût de l’opération représenterait
50 millions de dollars (350 000
dollars par ligne de production).