En 1997, Idarat se targuait dans une
publicité d’avoir développé 13 restaurants
et cinq hôtels quatre étoiles en
seulement trois ans, d’avoir servi 300 000
clients en 1996 et de vouloir doubler ce
nombre l’année suivante. Depuis cette
date, qui marque l’apogée de la société de
gestion au nom indissociable de celui de
son créateur, Béchara Nammour, plus rien
n’a été aussi spectaculaire sinon sa chute.
Idarat était divisée en deux filiales :
Idarat Management et Idarat Investment
Corporation. La première s’occupait de
gérer restaurants et hôtels ; la seconde
détenait des participations (souvent
minoritaires) dans le capital des différents
projets, auxquels étaient associés
de nombreux investisseurs, attirés par la
“patte” Béchara Nammour.
Le fondateur et directeur général du
groupe, qui était déjà dans l’hôtellerie et
la restauration en France et aux États-
Unis, a développé son premier restaurant
au Liban en 1983. L’ouverture de La
Mie Dorée est la première d’une longue
série d’aventures, émaillées de succès
mais aussi de fermetures. Inaugurée en
1992, Al Dente est la plus ancienne
enseigne labellisée Idarat.
La période 1997-1998 scelle le règne
d’Idarat sur le secteur libanais de l’hôtellerie.
Béchara Nammour en était
L’ouverture de La Mie Dorée en 1983 marque le début de l’aventure libanaise de Béchara Nammour dans la restauration.
devenu le roi, tout particulièrement à
Beyrouth. Fort de cette réputation, il
vend des parts d’Idarat Investment
Corporation à plusieurs particuliers. Le plus
gros investisseur place un peu moins de
quatre millions de dollars. En parallèle,
Nammour convainc la SFI (Société financière
internationale, groupe Banque mondiale)
d’entrer dans son capital et de lui prêter 10
millions de dollars.
À ce moment, Idarat avait réalisé un
chiffre d’affaires de 25 millions de dollars
et rien ne laissait présager son
écroulement quelques années plus tard.
La chute a été d’autant plus fracassante
que cette société était devenue le symbole
du renouveau touristique libanais
après la fin de la guerre. D’où probablement
l’intérêt financier pour l’opération
de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri,
peut-être directement, et en tout cas à
travers la Banque Méditerranée. Celle-ci
récupère Idarat en 2003 lorsque la
société dépose le bilan, après la fermeture
de plusieurs restaurants et hôtels.
Les raisons de l’échec sont multiples :
endettement, cannibalisme commercial,
démarrage trop précoce, cible de clientèle
peu diversifiée, ou encore coûts
opérationnels trop élevés dus à une
structure administrative lourde. En effet,
au lieu de réaliser des économies
d’échelle, Idarat a alourdi ses charges en
embauchant à tout-va.
La gestion de la trésorerie a particulièrement
été défectueuse, alors que la restauration
est généralement considérée
comme un métier pourvoyeur de liquidités.
En fait, les établissements en
consomment tout autant, notamment
lorsqu’ils accusent des baisses de fréquentation.
Idarat était dans ce cas, car
certains de ses restaurants étaient
moins remplis que d’autres. La société a
rapidement manqué de liquidités, cellesci
étant absorbées par des frais financiers
élevés : elle finançait ses investissements
par des emprunts contractés à
des taux prohibitifs (plus de 13 % sur le
dollar). Ainsi, même si les restaurants
faisaient le plein, les revenus suffisaient
à peine à couvrir les agios. L’exemple du Café d’Orient est parlant à cet égard. Le
restaurant réalisait un chiffre d’affaires
annuel de trois millions de dollars, mais ses
comptes restaient dans le rouge, plombés
par un prêt de cinq millions de dollars de la
Banque Méditerranée, assorti d’un intérêt
de 12 %, selon les informations d’un
ancien cadre qui a requis l’anonymat.
Outre son coût élevé, la structure d’Idarat
était conçue de façon pyramidale, tous les
pouvoirs étant concentrés à la tête, c’est-àdire
au niveau de Béchara Nammour. Ce
manque de flexibilité a alourdi le processus
décisionnel, empêchant la société de saisir
certaines opportunités de segmentation de
clientèle ou encore certaines opportunités
géographiques.
Par exemple, Idarat ne s’est jamais développé
rue Monnot ou au centre-ville (à l’exception
de la tentative avortée de la
Brasserie d’Orient) et n’a pas vu venir le
boum de la région de Gemmayzé. Idarat a
par ailleurs toujours visé la même catégorie
de clientèle, au risque souvent de cannibaliser
son offre commerciale. Le
Rabelais, ouvert en 1994, a ainsi souffert
du lancement en 1997 du Capital Grill un
peu plus haut dans la même rue. De même,
trop proches les uns des autres, les restaurants
de la rue Abdel Wahab Inglizi se sont
concurrencé les uns les autres (Al-Mijana,
Al Dente, J. Paul’s, Albergo).
De façon générale, le succès d’Idarat a
Idarat a bouleversé le paysage libanais, mais a commis trop d’erreurs qui l’ont poussé à la faillite.
certes été fulgurant à ses débuts (le marché
encore vierge a applaudi l’arrivée
d’une offre de qualité internationale), mais
le groupe n’a pas su s’adapter à l’apparition
de concurrents, dans un secteur pourtant
réputé pour sa versatilité.
D’autre part, les prix moyens des restaurants
sont restés relativement élevés,
alors que le marché était demandeur de
menus proposant un meilleur rapport
qualité/prix. L’introduction tardive de
cartes de fidélité n’a pas réussi à infléchir
la tendance. Idarat n’a pas su entreprendre
cette diversification, continuant
de se positionner exclusivement sur le
créneau haut de gamme. Cette stratégie
de niche n’était pas adaptée à un marché
encore en développement.