Produire du papier dans un pays désertique ; passer au travers des guerres et des révolutions : autant de défis que le Libanais Louis Gemayel a relevés pour développer la plus importante usine de papier d’Iran.

produit 50 000 tonnes de papier par an,
compte 300 employés et a augmenté sa
capacité de production de carton à
200 000 tonnes par an en 2004. Avec un
chiffre d’affaires annuel de 12 à 15 millions
de dollars, les affaires vont si bien que
Gemayel peine à satisfaire la demande
locale. « L’Iran est un pays en expansion,
explique-t-il. Au lendemain de la guerre
Carton valise, carton ondulé ou à reliure,
papier, recyclage... À 78 ans,
Louis Gemayel parle de ses activités
professionnelles avec la même passion
qu’à 17 ans, l’âge auquel il a repris – avec
succès – l’entreprise paternelle à Téhéran.
Aujourd’hui, Karizek SA, la société commerciale
et industrielle qu’il a fondée en
1954 s’étend sur 120 000 mètres carrés,
avec l’Irak, qui a fait un million de morts, la
politique d’incitation à la natalité qui a été
adoptée a porté en quinze ans la population
de 30 à 70 millions de personnes, dont
60 % ont moins de 35 ans. Cela se répercute
évidemment sur la consommation. »
Le succès de Karizek est toutefois tempéré
par l’instabilité iranienne, qui affecte directement
ses activités. « Le président
Du papier dans le désert
Pour fabriquer du carton dans un pays
désertique, Louis Gemayel a d’emblée
opté pour une politique d’intégration
verticale complète. Faute de trouver de
l’eau et du bois, deux composantes
essentielles de son produit, il a commencé
par recycler des papiers usagés dont
il a confié la collecte à des équipes privées
et misé sur une matière première
sèche, fabriquée dans ses ateliers : la cellulose
de paille de blé cuite.
Mais Louis Gemayel a parachevé véritablement
son autonomie lorsqu’il a réussi
à fabriquer lui-même son papier. La première
papeterie d’Iran est née à Karizek,
l’oasis qui a donné son nom à la société,
achetée en 1954. Avec une capacité de
production annuelle de 4 000 tonnes,
l’usine ne trouve pas suffisamment de
débouchés, si bien qu’en 1960, une
nouvelle cartonnerie est importée de
France pour consommer les excédents
de papier.
L’industriel a aussi investi dans une usine
chimique spécialisée dans la production
d’amidon – utilisé dans la fabrication du
papier – et de gluten (à destination de
l’industrie agroalimentaire). Ahmadinejad vient de décréter une augmentation
de 40 à 50 % du salaire des
ouvriers, déplore Gemayel. Faute de
pouvoir répercuter ce surcoût sur les
prix, de nombreuses usines sont
contraintes de fermer boutique. Les
industriels sont hébétés. »
L’année iranienne venant à peine de commencer
(le 21 mars), il est encore trop tôt
pour mesurer l’impact de cette décision sur
l’économie du pays, déjà affectée par une
concurrence chinoise grandissante.
« L’avenir n’est pas très clair… », constate
Louis Gemayel, un peu inquiet, même s’il
en a vu d’autres…
LA FIBRE DU PAPIER
Chez les Gemayel, on a l’esprit d’entreprise
de père en fils. En 1921, Gemayel
père, un commerçant libanais – inconnu
mais culotté –, trouve le moyen de revendre
au chah d’Iran l’ensemble du parc automobile
de l’armée française du Levant, en échange
d’un monopole sur l’importation de boissons.
En 1939, lorsque la guerre éclate, il est
obligé de cesser ses juteuses importations et
se tourne, en 1942, vers la production de cartons,
s’inspirant de ses cousins de Bickfaya
Les relations commerciales entre
Beyrouth et Téhéran sont particulièrement
maigres. En 2005, les importations
libanaises en provenance d’Iran ne représentaient
que 0,2 % du total de ses
achats à l’étranger, alors que la part de
ses exportations vers l’Iran ne dépassait
pas les 1,3 %. Certes, l’année dernière a
été particulièrement mauvaise sur le plan
économique local, mais les chiffres
n’étaient pas meilleurs en 2004 (l’Iran
représentait moins de 2 % des échanges
extérieurs libanais). De plus, les transactions
restent focalisées sur quelques produits
très spécifiques. Le Liban achète à
l’Iran des noix diverses (46 % des importations),
des tapis (19 %) et du tabac
(5 %) ; côté exportations, l’essentiel des
ventes porte sur des fertilisants chimiques
et des minéraux (89 % du total).
Des échanges commerciaux infimes
entre Beyrouth et Téhéran
déjà versés dans le domaine. Dès 1945, Louis
reprend l’usine qui ne se porte pas bien et
se découvre une véritable fibre industrielle :
en trois ans, il éponge les dettes, restaure
l’outil de production et importe une cartonnerie
moderne de France. De 220 tonnes
par an, la capacité de production passe à
1 500 tonnes.
En 1953, lorsque des ouvriers occupent
son usine à la faveur du coup d’État du Dr
Mossadegh, soutenu par le Parti communiste,
le patron en profite pour suivre un
stage de papeterie à Grenoble, en France.
Dès son retour en Iran en 1954, il décide de
grandir encore. À aucun instant Gemayel
ne baisse les bras. Même lorsqu’on lui offre
la possibilité de monter une papeterie à Rio
de Janeiro, il refuse, craignant de ne plus
jamais vouloir revenir en Orient.
Quand Khomeyni prend le pouvoir en 1978,
Gemayel n’interrompt pas ses activités.
« Je suis né en Iran en 1928, de parents
libanais, explique-t-il. Mais je dispose de la
nationalité iranienne. Je ne pouvais donc
pas être mis à la porte. D’autant que j’étais
bien intégré grâce à de nombreuses oeuvres
sociales. » Chrétien du Liban, il dit n’avoir
jamais eu l’impression d’être rejeté. « En
Iran, les minorités religieuses représentent
moins de 5 % de la population, elles ne sont
donc pas perçues comme une menace. »
Parfaitement fondu dans le paysage iranien,
Louis Gemayel garde malgré tout un
pied ailleurs (ses six enfants et 18 petitsenfants
sont dispersés sur la planète). Il n’a
par ailleurs jamais rompu les liens avec le
Liban où il se rend au moins une fois par
mois pour suivre l’évolution de ses multiples
oeuvres caritatives. L’industriel a
notamment fondé le village d’enfants SOSBhersaf,
ainsi que les centres Longue Vie et
Mont Joli pour personnes âgées…
Centradis, filiale du groupe Dagher
Hayeck, agent de Peugeot et Citroën, a
importé depuis un an près de 200 voitures
Peugeot fabriquées en Iran, par
Iran Khodro. Selon Marc Rassi, directeur
des ventes chez Centradis, « il
s’agit essentiellement de modèles
Peugeot 206 et Samand (équivalant à
la Peugeot 407). Les modèles de fabrication
iranienne ont été très bien
accueillis par le consommateur libanais
puisqu’il s’agit de matériel français
assemblé en Iran ». La différence
au niveau des prix est significative.
« La 206 fabriquée en France est vendue
à partir de 12 500 dollars et celle
provenant d’Iran à partir de 10 900
dollars. » Le dernier lot expédié à
Beyrouth par la société iranienne est
estimé à trois millions de dollars, selon
le quotidien iranien Tehran Times.
Par ailleurs, le groupe Iran Khodro
Industrial est en train d’installer en
Syrie une usine d’assemblage de
Samand d’une capacité annuelle de
5 000 unités. La première phase des
travaux sera achevée d’ici à quelques
mois. Plus de 30 000 voitures seront
proposées sur le marché syrien et à
d’autres pays de la région.
Le Liban a importé 200
Peugeot iraniennes