Avec un budget annuel estimé à environ 500 millions de dollars, la Finul renforcée devrait représenter une bouffée d’oxygène pour l’économie libanaise.
Le rôle de la nouvelle Force intérimaire
des Nations unies au Liban (Finul) est
avant tout militaire et politique. C’est en
tout cas ainsi que le conçoivent les auteurs
de la résolution 1701 adoptée en août par le
Conseil de sécurité. Mais la nouvelle Finul
aura aussi un impact non négligeable sur
l’économie libanaise, en particulier celle du
sud du pays.
Un chiffre permet de mesurer cet impact : le
budget de la Force devrait quintupler et
représenter approximativement 500 millions
de dollars par an, selon Jean-Pierre
Ducharme, chef des services de logistique.
Par comparaison, la Finul “ancienne version”
fonctionnait avec une centaine de millions de
dollars par an, alors qu’elle ne comptait que
2 000 Casques bleus. Le budget prévisionnel
établi avant la guerre pour l’exercice juillet
2006-juin 2007 était précisément de 94 millions
de dollars. Le fait de porter les troupes
à 15 000 hommes gonfle mécaniquement
chaque poste de dépense. D’autant plus que
la Finul “I” dont le mandat a été fixé par les
résolutions 425 et 426 de l’ONU était dans
une logique de contraction des dépenses. Par
exemple, l’un des objectifs que s’était fixé la
mission pour l’exercice 2006/2007 était de
réduire de 25 % son parc de véhicules.
Le travail d’évaluation des besoins budgétaires
a été achevé par les équipes en place
au Liban, il doit encore être examiné et, le
cas échéant, avalisé par l’ONU.
En attendant, la Finul qui a été brusquement
confrontée à l’augmentation de ses effectifs a
puisé à hauteur de 50 millions de dollars
dans le fonds d’urgence débloqué par le
secrétariat général des Nations unies.
C’est à l’Organisation internationale qu’il
revient en effet de financer les forces spéciales
qui opèrent en son nom sur divers
théâtres d’opérations. Dans certains cas,
comme pour les bataillons ghanéens et
indiens par exemple, la Finul s’occupe de
tout, y compris de fournir les équipements
militaires, etc. Dans la plupart des autres cas,
un protocole d’accord est conclu avec le pays
participant à la Force dans lequel sont
détaillées précisément les prestations en
hommes et matériels qui sont mises à la disposition
de la Finul.
LE PERSONNEL
ET LES ÉQUIPEMENTS MILITAIRES
Le protocole fait généralement l’objet d’une
négociation. Par exemple, si un pays X propose
un hôpital de campagne, ce n’est pas sûr
que la Finul l’accepte si elle en dispose déjà
d’un. Lorsque les contributions sont arrêtées,
elles donnent droit à des rémunérations
octroyées en fonction d’un barème. Un fusil
coûte par exemple un dollar par jour à la Finul.
Chaque pays contributeur reçoit un millier de
dollars par Casque bleu mobilisé, à charge pour
lui, s’il le souhaite, de compléter éventuellement
la solde versée à ses militaires, voire de lui verser
un montant inférieur. L’échelle des salaires
des militaires français, rémunérés une fois et
demie de plus que dans l’Hexagone, varie ainsi
entre 2 000 et 8 000 euros par mois. Des
primes sont aussi prévues en fonction des compétences
spécialisées de certains soldats.
Au total, 38 millions de dollars avaient été affectés
au paiement du personnel militaire dans le
budget 2006/2007 sur la base d’une Finul composée
de 2 000 Casques bleus. Un calcul élémentaire
permet de porter ce poste de dépenses
à 285 millions de dollars pour la Finul renforcée,
mais il ne s’agit que d’une estimation, car le
montant final dépend de la nature des troupes.
Cette partie du budget influe indirectement
sur l’économie libanaise, mais son impact
n’est pas négligeable pour autant : les
Casques bleus consacrent inévitablement
une partie de leur revenu à des dépenses
locales diverses. « Même si vous assurez
tous les besoins des militaires, c’est inévitable
qu’ils sortent de leur base pour aller
manger au restaurant par exemple, lorsqu’ils
sont en permission », explique Jean-Pierre
Ducharme. La présence dans le Sud d’une
quinzaine de milliers d’hommes au pouvoir Dix ans après Cana,
Israël ne paye toujours pas
Dix ans après l’opération Raisins de
la colère, l’Assemblée générale des
Nations unies continue de réclamer
1 117 005 dollars à l’État hébreu,
au titre de la prise en charge des
dépenses occasionnées par le bombardement,
le 18 avril 1996, du
camp de Casques bleus stationnés
dans le village de Cana, qui avait
fait 102 tués parmi les civils réfugiés
dans l’enceinte de la Finul. En
dépit des huit résolutions réaffirmant
la responsabilité israélienne
et prévoyant le versement de la
somme à la Finul, les 11 lettres
envoyées par le secrétariat général
à la mission permanente d’Israël, et
dont la plus récente date du 16
janvier 2006, sont restées sans
réponse.
d’achat relativement élevé par rapport à celui
de la population locale devrait donc dynamiser
les petits commerces locaux. « Je
connais un photographe qui vit très bien des
services rendus au bataillon indien : en particulier
pour les cérémonies de remise de
médaille. » Les vendeurs de souvenirs ont
aussi la cote. Sur l’artère principale de
Naqoura, où est actuellement situé le quartier
général de la Force, les échoppes commencent
à revivre, alors que certaines avaient
baissé le rideau au fur et à mesure de la
réduction des effectifs de la Finul I, entamée
à la suite du retrait israélien du Sud du Liban,
en 2000. Le village situé à la pointe sud du
pays bénéficie aussi indirectement de la présence
de cette base, car elle a probablement
accéléré la décision de réhabiliter la route qui
y accède. Les travaux sont en cours et
devraient contribuer à désenclaver la région.
Il semble aussi évident que la présence de
1 000 Français à Bint Jbeil aura un impact
économique sur la population locale, par
exemple.
LOGISTIQUE :
60 JOURS DE DÉLAI
En vertu des accords conclus entre l’ONU et
les pays contributeurs de la Force, cette dernière
est tenue d’assurer tous les besoins
logistiques des Casques bleus, que ce soit la
maintenance des véhicules, l’approvisionnement
en eau sanitaire, électricité, alimentation,
boissons, carburant ou autres. Mais
cette obligation n’est effective qu’au bout du
60e jour de présence des troupes sur le terrain
des opérations. Pour le logement, le
délai est plus long. Il donne le temps à la Finul de s’organiser, même si elle assiste au
mieux les bataillons qui sont censés se
débrouiller seuls pendant deux mois.
TERRAINS :
L’ÉTAT ACCUMULE LES ARRIÉRÉS
La première des missions de la Finul est
d’identifier les bases qui vont accueillir les
troupes. Il revient à l’État hôte, à savoir le
Liban, d’assumer les frais de location des
espaces et les édifices nécessaires à la Force
de l’ONU. Mais celle-ci effectue elle-même
les repérages préalables sur le terrain, en
collaboration avec un comité militaire libanais
dont le rôle est de faciliter la transaction entre
l’État et les propriétaires des lieux. « Aucun
terrain n’est réquisitionné, les baux sont toujours
signés avec le consentement des propriétaires.
Et il est même arrivé que nous restituions
un terrain à l’un d’entre eux, à sa
demande », déclare Jean-Pierre Ducharme.
Au total, la Finul qui occupe actuellement
moins de deux millions de mètres carrés a
identifié plus de six millions de mètres carrés
supplémentaires dans tout le Sud du Liban,
dont plusieurs parcelles qui, regroupées,
totalisent 800 000 mètres carrés, devraient
permettre le déménagement du centre logistique
de Naqoura vers Tyr. Cette ville est plus
centrale par rapport aux différentes zones
d’opérations, sachant que le théâtre de ces
dernières a été géographiquement étendu
par rapport à celui de la Finul I. La base de
Naqoura devrait, quant à elle, se transformer
en quartier général pour l’un des bataillons
de la Force.
Pour les propriétaires fonciers du Sud, cette
demande nouvelle est une véritable manne.
D’autant que la Finul valorise souvent les parcelles
qu’elle occupe, en réalisant à ses frais
des travaux de nivellement par exemple, ou
en ouvrant une route d’accès, étant entendu
qu’elle rembourse tout dégât éventuel. « Je
viens de signer un appel d’offres pour de
l’asphalte destinée aux bases italiennes et
nous devrions consacrer deux millions de
dollars à l’achat de gravier », dit Jean-Pierre
Ducharme, à titre d’exemple.
Mais en pratique, les propriétaires rechignent
à louer leurs parcelles, car l’État s’est révélé
un bien mauvais payeur. « La majorité d’entre
eux n’ont pas eu pleine satisfaction », dit très
diplomatiquement Jean-Pierre Ducharme,
pour qui ce problème est prioritaire. « Les
troupes arrivent et nous devons les accommoder
», explique-t-il. Les pressions sur le
gouvernement libanais ont eu lieu au plus
haut niveau afin de débloquer la situation. Le
Conseil des ministres a pris la décision de
régler les arriérés dus aux propriétaires, mais
le travail de documentation des sommes
dues ne serait pas encore achevé, dit-on de
source proche du dossier.
« Ces problèmes ont compliqué la première
phase du déploiement, qui a été très serrée,
mais nous demeurons optimistes », déclare
Jean-Pierre Ducharme.
LOGEMENT :
DEMANDE DE PRÉFABRIQUÉS
Pour loger les Casques bleus – qui dorment
généralement sous des tentes au cours ??
Une part du gâteau est attribuée aux entreprises libanaises
Hors dépenses strictement militaires, la
Finul a consacré environ 17 millions de
dollars à des contrats d’approvisionnement
divers dont 60 % ont été conclus
avec des entreprises libanaises lors de
l’exercice 2005-2006. Des sommes
importantes sont donc en jeu et elles
devraient nettement augmenter avec l’arrivée
de nouvelles troupes, déclare le
directeur des achats Christian Gronnerod.
Si une société souhaite travailler avec la
Finul, elle doit se faire enregistrer en
envoyant un e-mail à l’adresse suivante :
unifilprocurement@un.org avec une présentation
succincte de ses activités. Dans
une deuxième étape, elle recevra un questionnaire
précis et il lui sera notamment
demandé de fournir des comptes audités.
« Cette condition fait fuir certains candidats,
mais je peux leur assurer que nous ne
sommes que deux à prendre connaissance
des documents qui restent confidentiels »,
confirme Christian Gronnerod.
L’enregistrement est en tout cas nécessaire
pour participer aux appels d’offres lancés
par la Finul. Au total, sa base de données
comporte 700 à 800 fournisseurs
locaux et 10 000 noms de sociétés internationales.
L’attribution des contrats se fait en fonction
de deux types d’évaluation. La première
est strictement technique. Il s’agit
notamment de vérifier la conformité
avec des normes internationales. Les
candidats qui remplissent le cahier des
charges techniques sont présélectionnés
et ensuite départagés en fonction de
l’offre financière. « Il n’y a pas de préférence
a priori pour les entreprises libanaises,
mais celles-ci sont avantagées par
leur proximité, à condition qu’elles satisfassent
les exigences du cahier des
charges », précise le chef des achats. des six premiers mois –, la Finul a recours à
des préfabriqués.
Plusieurs sources d’approvisionnement sont
possibles, explique Jean-Pierre Ducharme.
La Finul peut puiser – moyennant finances –
dans les stocks stratégiques appartenant à
l’ONU et positionnés en Italie. Elle peut aussi
avoir recours à un contrat d’approvisionnement
universel dont les termes ont été négociés
à New York. Mais si les conditions de
livraison ne lui conviennent pas, en termes de
délai notamment, la Finul a la possibilité de
lancer ses propres appels d’offres. Par
exemple, dans le budget de 2006/2007 qui a
été approuvé avant la décision d’extension de
la Finul à 15 000 hommes, il était prévu de
commander pour près de 200 000 dollars de
préfabriqués (11 unités de 21 mètres carrés
chacune, cinq bâtiments de trois modules et
quatre de six modules). Ce poste de dépense
devrait exploser dans la version révisée du
budget 2006/2007.
ALIMENTATION :
CHANGEMENT DE FOURNISSEUR
Les dépenses alimentaires devraient également
augmenter fortement. Elles représentaient
4,3 millions de dollars dans le budget
initialement prévu pour 2006/2007. Mais audelà
de l’inflation prévue, c’est aussi une nouvelle
méthode d’approvisionnement qui va être
inaugurée cette année par la Finul. Au lieu
d’une dizaine de fournisseurs divers, la Force
ne va plus traiter qu’avec une seule société, à
charge pour elle ensuite de sous-traiter éventuellement
certains approvisionnements. Il
s’agira pour elle de fournir en vrac de
grandes quantités de viande, de lait, de riz
et de céréales ou de fruits, légumes, par
exemple, mais aussi une certaine quantité
de plats cuisinés ou de rations de combat.
La taille du contrat et surtout le niveau de
spécialisation requis écartent a priori les
sociétés libanaises. Jean-Pierre Ducharme
confirme que le choix s’est porté sur un
groupe étranger, sans en révéler l’identité.
De source autorisée, Le Commerce du
Levant a appris qu’il s’agit de l’un des trois
groupes suivants : Es-ko, Prime Foof et
Sodexho. Seul ce dernier est déjà basé au
Liban, mais le dossier de candidature a été
présenté par le département du groupe spécialisé
dans la défense.
La définition des besoins se fait en coordination
avec chacun des unités qui établissent
leur menu en fonction de leurs préférences
culinaires – les Indiens ne mangent pas de
boeuf – à condition de respecter deux critères :
l’apport quotidien d’un soldat doit se situer
autour de 4 500 calories et le coût des repas
ne doit pas excéder 4 à 7 dollars par soldat par
jour. « Nous fournissons la nourriture aux soldats
qui se chargent de la cuisine. »
La concentration de l’approvisionnement alimentaire
n’est pas une décision propre à la
Finul, explique le directeur des achats,
Christian Gronnerod. « Le siège estime qu’il a
intérêt à centraliser l’expertise de la gestion de
ce type de contrats. »
DES EMPLOIS LOCAUX
Le personnel civil de la Finul est actuellement
composé de 120 fonctionnaires internationaux.
Davantage encore que les militaires,
ces salariés contribuent à dynamiser l’économie
locale, car le logement et le transport
sont à leur charge. Ce personnel va plus que
doubler pour accompagner l’expansion de la
Finul. « Nous comptons aussi doubler les
effectifs libanais qui sont actuellement de
339 personnes », précise Jean-Pierre
Ducharme.
« Nous embauchons du personnel administratif,
des techniciens, des mécaniciens, des
conducteurs, des secrétaires, etc. Le salaire
est de 2 000 dollars par mois en moyenne. »
Avec près de sept cents familles à sa charge,
la Finul devrait ainsi devenir l’un des plus
gros employeurs du Liban.
La Finul a déjà commencé à approvisionner la plupart des nouveaux contingents de Casques bleus en carburant. Les besoins initialement
prévus pour 2006/2007 représentaient un budget de quatre millions de dollars. Le montant est en train d’être révisé à la hausse,
mais les estimations précises sont difficiles, car les quantités commandées vont dépendre du nombre et de la nature des véhicules utilisés
aussi bien que des distances parcourues.
Pain d’Or : baguette et croissants pour les Casques bleus
Seul boulanger-pâtissier libanais à être
certifié ISO 9001 et à disposer d’une
logistique capable de produire et de livrer
des produits en grandes quantités sur
tout le territoire, Pain d’Or est l’un des
fournisseurs de la Finul. Il est en contrat
depuis trois ans avec le commandement
central à Naqoura. C’est donc tout naturellement
que la société a démarché les
contingents nouvellement arrivés. « Nous
leur fournissons tout ce que le commandement
central ne peut leur livrer, soit
parce qu’une demande est trop spécifique,
soit parce que la commande
n’entre pas dans le budget de Naqoura,
explique Ziad Coussa, directeur des
ventes. Pain et viennoiseries frais ou surgelés,
sandwiches, pâtisseries et même
des chips… Nous fournissons les
Espagnols, les Belges, les Italiens et les
Français, selon des accords passés séparément
avec chacun. »
Ces accords n’ont aucun caractère
exclusif et ne sont pas non plus définis
dans le temps, mais Coussa n’est pas
inquiet : « Nous sommes les seuls à
correspondre aux exigences très pointues
de la Finul, pour laquelle le respect
de certains critères, comme la certification
ISO, est incontournable. »
Avant de s’engager, chaque contingent
a d’ailleurs envoyé une mission d’inspection
extrêmement pointilleuse sur
le site de production à Choueifat, afin
de vérifier, entre autres, le respect des
normes sanitaires et d’hygiène. De
plus, Pain d’Or dispose dans le Sud
d’une flotte de dix camionnettes, ce
qui lui permet de garantir une grande
flexibilité dans ses livraisons. Si Ziad
Coussa reste muet sur les quantités
livrées et le montant des commandes,
il concède que « même pour un grand
producteur comme Pain d’Or, la Finul
constitue un client très important. »
Elle pourrait contribuer à hauteur d’environ
10 % de son chiffre d’affaires.
N. B.