Le Liban a la réputation d’être un pays cher. Mais il existe désormais une exception pour confirmer la règle : l’Internet. Ceci grâce à la bataille acharnée que se livrent les fournisseurs d’accès, à la grande joie des consommateurs.
La Banque Audi a déclenché le processus avec l’accès gratuit. Byblos ne tarde pas à réagir, puis le Crédit Libanais se met de la partie, en attendant d’autres banques. Bref, l’offensive est lancée, fin septembre, à la veille du Termium’99. Les autres réagissent, Cyberia, l’une des pionnières du secteur, casse d’un coup le prix de la connexion mensuelle illimitée, qui passe de 29 à 12,99 $.
Rude choc pour les nouveaux venus. Terranet, qui existe depuis juillet 99, réplique avec force en lançant sa formule à 9,99 $. Data Management enchaîne avec 11 $. « Le marché de l’Internet n’est pas encore stable du point de vue prix, affirme Joumana Aoun, responsable marketing chez Data Management, et il faut tout le temps suivre la tendance pour ne pas se retrouver hors du marché ».
L’accès tombera à 5 dollars
Du coup, tous les autres fournisseurs d’accès suivent et nous assistons à une véritable démonstration de force dont l’enjeu premier est le prix. Ce dernier étant la preuve de la solidité financière des concurrents, puisque seuls les plus forts – ou les soutenus par une banque – peuvent se permettre d’offrir des tarifs aussi réduits. Les autres seront donc éliminés d’emblée de la course, qui promet d’être de longue haleine.
« Il se peut que les prix baissent encore et je ne serai pas étonné si la connexion mensuelle illimitée tombe à 5 $. Il existe trois compagnies (entendre les plus anciennes) qui veulent écraser les autres et elles sont prêtes à tout… », dévoile Imad Tarabay, PDG de Lynx, lancée il y a seulement six mois, et déjà, d’après lui, numéro 5 du marché.
La chute des prix a certainement permis de doper le nombre des connectés. Il y aurait au Liban près de 100 000 connectés, mais il n’existe pas de chiffres précis, faute de statistiques fiables dans ce domaine. D’autant plus que les banques se sont mises de la partie en proposant des packages Internet + PC ou des comptes Internet à des prix plus que réduits. Déjà, les concurrents ont estimé le nombre des nouveaux internautes par le Net Account de Audi à 8 000 en six semaines.
« Notre chiffre d’affaires est bien au-delà de nos estimations et nous sommes en élargissement continu de notre réseau », annonce Imad Tarabay. Ce qui entraîne des dépenses supplémentaires pour les ISP’s (Internet Service Providers).
Le nombre croissant de connectés nécessite un élargissement continuel de la bande passante. Or, au prix actuel, une économie d’échelle ne compense pas vraiment les dépenses qu’elle entraîne. Personne ne gagne vraiment à partir des “Dial Up Account”, un des fronts les plus déterminants de la guerre entre les différents fournisseurs d’accès. « À moins d’avoir 80 000 à 90 000 connectés », estime Abude Omari, PDG de Cyberia. « Les prix ont été tellement réduits que ce n’est plus rentable », reprend-il. De même que Fadi Ghazzawi, directeur marketing à Terranet : « Nous sommes tous en train de perdre de l’argent dans cette histoire ».
Pour Georges Jaber, consultant spécialisé en Internet et réseaux de télécoms à Navlink, le marché de l’Internet au Liban est en pleine anarchie. Les prix actuels ne compensent pas les dépenses des fournisseurs et ne sont pas justifiés. Premièrement l’investissement initial en équipement technique est considérable. Deuxièmement c’est un domaine où les ressources humaines (95 personnes qualifiées chez Cyberia) coûtent énormément cher et troisièmement il ne faut pas oublier les grandes sommes dépensées dans les divers plans de communication et campagnes publicitaires.
« Aux États-Unis, reprend Georges Jaber, America OnLine compte 22 millions d’abonnés qui paient 20 $ par mois. Sachant que l’équipement technique y est moins cher et qu’elle bénéficie d’une très large économie d’échelle ». Une constatation mondiale s’impose aujourd’hui : de plus en plus, la tendance est à l’accès Internet gratuit. Ceci est rendu possible en Europe et aux États-Unis grâce aux pourcentages que reçoivent les fournisseurs sur les factures de téléphone. La redistribution des revenus générés par l’Internet est tout à fait logique, puisque les fournisseurs d’accès sont les plus gros clients des compagnies télécoms. Au Liban, chaque fournisseur loue plusieurs centaines de lignes auprès des P & T. Cyberia, à elle seule, possède 2 300 lignes téléphoniques. De plus, avec le développement du commerce électronique, la pub est devenue une source de revenus importante. Aujourd’hui 35 % des échanges commerciaux aux États-Unis se font via le “Net”.
Compenser les pertes
Au Liban, on n’en est encore pas là. La redistribution des revenus générés par les taxes des P & T n’existe pas, et la publicité sur le “Web” en est encore à ses balbutiements. Pourtant Cyberia travaille déjà sur le développement de l’Internet comme média à part entière. Elle offre une large cible au client. Mais la pub sur le “Net” dépend étroitement du commerce électronique. Le marché libanais est encore au stade des ébauches. Mais Data Management a déjà lancé sa boutique virtuelle “Made in Loubnan” qui vend des produits artisanaux, des CD, des fleurs…
Comment donc les fournisseurs d’accès compensent-ils leurs pertes provoquées par la baisse des tarifs ? Certains, comme Cyberia, sont consultants en Internet dans divers pays de la région, dont l’Arabie saoudite. D’autres développent des services à valeur ajoutée : “Domain Name”, “Web Hosting”, lignes dédiées pour les entreprises… Les grandes compagnies ont aussi de solides assises financières qui les soutiennent. Inconet est détenue à 50 % par la Banque Audi, Data Management est soutenue par la Banque Byblos, Cyberia, par un fonds monétaire koweïtien. Enfin, le Crédit Libanais soutient Data Management et Terranet à la fois.
Pour les nouvelles venues, la situation est plus difficile. Chez Lynx, on avoue : « Les deux premières années, il ne faut pas espérer faire des profits. Au contraire, on perd de l’argent et il serait suicidaire de se lancer sur le marché ignorant cela ». De un, il faut compenser son investissement initial et de deux, on ne bénéficie pas d’une économie d’échelle. Malgré la chute des prix fracassante, Cyberia, qui revendique 40 000 abonnés, demeure un des 4 ou 5 favoris à la course. C’est donc un investissement à long terme, même pour les anciens ISP. Les estimations au Liban pour la fin de l’année 2000 sont de l’ordre de 200 000 internautes. C’est donc un marché très ouvert et en pleine expansion.
« Notre courbe est exponentielle », affirme-t-on chez Terranet. De plus, avec la convergence d’Internet et des télécoms, notamment celle des images et des données dans les réseaux de télécom, déjà largement entamée, l’Internet va devenir de plus en plus un service grand public, sauf que la transmission de la voix (communication téléphonique) n’est plus possible, légalement. D’autant plus, que le commerce électronique se dirige aussi vers une tendance grand public, ainsi que les PC qui font aujourd’hui partie des biens de consommation de masse.
À long terme, l’affaire sera sûrement juteuse pour quelques fournisseurs d’accès. Mais la question qui se pose est celle de savoir combien de ISP le marché peut-il comporter ? Selon Georges Jaber, « il y aura forcément une consolidation du secteur. 4 ou 5 fournisseurs suffisent au marché libanais qui est de taille assez réduite. Les autres risquent d’être absorbées par les plus grands ».