Une zone franche dédiée aux sociétés de logistique a été inaugurée au port de Beyrouth le 12 juillet dernier. Ce projet n’ouvre pas seulement de nouvelles perspectives aux sociétés concernées. À terme, il devrait doper l’activité de transit et consolider le rôle régional du port.

La zone franche du port de Beyrouth, qui couvre une surface de 85 000 mètres carrés, s’est élargie en juillet dernier de quelque 30 000 mètres supplémentaires. Jusque-là, seuls les industriels et quelques commerçants exploitaient le site, exonéré de taxes douanières et de TVA. La zone industrielle compte 156 entrepôts, mais seuls les plus grands industriels libanais ont pu se permettre d’investir dans cette zone aujourd’hui saturée à 95 %.
Quant aux commerçants, regroupés dans un bâtiment de quatre étages, ils bénéficient du marché “duty free”, destiné uniquement aux clients de passage.
Mais avec la globalisation, il est devenu intéressant pour toutes les entreprises en général de pouvoir accéder aux zones franches sans y investir massivement, en sous-traitant les services de stockage, de distribution et de transport. C’est là qu’interviennent les sociétés de logistique, qui se chargent d’acheminer la marchandise : de la matière première auprès des fournisseurs au consommateur final, en gérant la totalité de ce qu’on appelle “la chaîne logistique”.
« Nous nous sommes rendu compte, il y a quelques années, qu’aucune société de logistique n’était représentée dans la zone franche du port à cause de la réglementation : les compagnies qui y sont installées peuvent uniquement faire entrer la marchandise dont elles sont propriétaires, alors que les sociétés de logistique traitent des marchandises pour le compte de tiers », explique le PDG du port de Beyrouth, Hassan Koraytem.
La construction du terminal de conteneurs, commencée au début des années 90, ayant permis de dégager 30 000 mètres carrés supplémentaires, le port a décidé d’incorporer cette surface à la zone franche en la dotant d’un régime propre pour permettre les opérations logistiques. On est certes loin des cinq millions de mètres carrés du centre de distribution du port de Dubaï, dans la zone franche de Jebel Ali, mais c’est un début. Contrairement à la zone franche traditionnelle, où des entrepôts déjà construits ont été loués par le port de Beyrouth, cette fois seuls les terrains ont été proposés « pour permettre aux sociétés de construire des entrepôts en fonction de leurs besoins », explique Hassan Koraytem. Selon lui, la totalité de la surface a été louée à neuf sociétés. Pour le moment, quatre d’entre elles (Aramex, Fast, Net Logistics et Beirut Cargo Center-BCC) ont déjà leurs entrepôts, dont ils sont propriétaires, et celui de GIFCO est en construction.
Le port de Beyrouth prélève annuellement près de 200 000 dollars par entrepôt, ainsi que d’autres frais imposés en fonction du volume de marchandises traitées.
Pour les sociétés de logistique, c’est une telle opportunité qu’elles n’ont pas hésité à investir entre 750 000 et deux millions de dollars chacune pour s’installer dans la zone. « C’est un énorme avantage de pouvoir manipuler les cargos sans passer par les douanes, explique Bruno Sidler, président de la Eagle Global Logistics (représentée en Syrie et au Liban par Net Logictics), pour la région Europe, Afrique et Moyen-Orient.
L’exonération fiscale des marchandises et la proximité du port permettent en effet aux sociétés de logistique d’étoffer largement leur gamme de services.
D’abord, « nous pouvons désormais faire du port de Beyrouth un centre régional de dégroupage et de groupage, explique Asmahan Zein Abboud, directrice de Aramex au Liban. Les sociétés de logistique réunissent les conteneurs à Beyrouth, divisent ou réunissent la marchandise, puis l’acheminent au Liban et dans les pays voisins ».
La deuxième opportunité est de pouvoir proposer des services d’assemblage léger (light assembly). « Les sociétés de logistique peuvent réunir des composants d’origines géographiques différentes dans le centre de la zone franche, les assembler, puis les redistribuer », explique le PDG de Net Logistics, Mourad Aoun.
Le projet présente également un intérêt pour les importateurs locaux, ajoute Robert Paoli, représentant des sociétés de logistique dans la zone franche et directeur de Fast : « Les clients peuvent stocker la marchandise au port et ne payer les droits de douane et la TVA qu’au moment où ils en ont besoin. » Ce service serait d’ailleurs très demandé actuellement, en raison de la situation politique qui empêche les distributeurs de se projeter dans l’avenir.
Mais l’ambition ultime des principaux concernés par le projet est d’encourager les multinationales à adopter Beyrouth comme centre de distribution régionale, du moins pour le Levant. D’autant que les sociétés de logistique ont investi dans des centres de standard international, que ce soit au niveau de la sécurité ou de la manutention.
« Nous pouvons espérer concurrencer Jabel Ali à petite échelle, estime Mme Abboud, surtout que le temps de transit est plus court à Beyrouth qu’à Dubaï. »
En effet, depuis que deux transporteurs mondiaux ont fait du port libanais leur centre régional de transbordement, le temps et le coût du transport de et vers Beyrouth se sont largement réduits. Il faut aujourd’hui entre huit et 10 jours pour parvenir d’un port européen à Beyrouth, contre 15 à 20 jours pour arriver à Dubaï. De l’Extrême-Orient à Beyrouth, le temps de transport est également passé à 13 jours tout au plus.
Si les multinationales répondent à l’appel, cela permettra aussi de développer le transport air-mer (de l’Extrême-Orient à Beyrouth par mer, puis de Beyrouth en Europe par avion), ce qui entraînerait une baisse du coût du transport aérien de marchandises.
« Le Liban possède un vrai potentiel régional. Dans l’industrie logistique, les ressources humaines sont cruciales. Or, le pays bénéficie d’une main-d’œuvre très adaptée aux exigences du métier : un profil international et une grande capacité à interagir avec différentes cultures, affirme Sedler. Il est évidemment trop tard pour rattraper Dubaï, mais le Liban peut devenir le centre du Levant. Pour le moment, la majorité des grandes entreprises ont un seul centre de distribution dans la région. Mais si la situation en Irak se stabilise, et si la Syrie avance sur le chemin des réformes, ces deux marchés exploseront et le Liban deviendra incontournable. »
D’autant que la tendance mondiale est à la « décentralisation de la distribution, en créant des centres sous-régionaux, pour répondre aux exigences de rapidité des consommateurs », ajoute Aoun.
Mais pour espérer attirer des compagnies internationales à Beyrouth, il faut un minimum de stabilité sécuritaire, des infrastructures de transport plus développées, en particulier routières. Il faut aussi simplifier et réduire le coût des formalités administratives, dans le cadre d’une stratégie gouvernementale globale, souligne un professionnel du secteur.
En attendant, les sociétés de logistique pensent déjà à leur futur combat : l’ouverture de zones franches logistiques à l’aéroport de Beyrouth et aux frontières libanaises.